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    Chroniques d’Haïti #8 : haro sur le fantasme d’une malédiction

    Le 14 août dernier, Haïti a de nouveau été frappé par un séisme dévastateur, faisant plus de 2.200 victimes. Tandis que l'île traverse une crise sociale et politique persistante, où six habitants sur dix vivent dans la pauvreté, cette énième catastrophe naturelle vient alimenter une croyance populaire séculaire : le pays serait maudit. Victime d'un mauvais sort, dont il ne parviendrait décidément jamais à se défaire.

    Photo à la Une : Port-au-Prince en 2010, après le séisme faisant plus de 300 000 victimes. © CC Flickr Colin Crowley


    Catastrophes naturelles, crises politiques, chômage, insécurité, misère, manque d’infrastructure… Depuis des décennies, les difficultés se conjuguent au pluriel sur l’île d’Hispaniola.

    Si bien que l’exil est souvent entrevu comme la seule issue. Nombre d’haïtiens tentent de gagner la République Dominicaine voisine, voire d’autres pays du continent américain pour ceux qui en ont les ressources.

    De la survivance d’une malédiction

    Ceux qui restent, le font soit par activisme – espérant accompagner un changement notable – , soit parce qu’ils ne s’imaginent pas mieux lotis ailleurs tout simplement. Plus que résignés, fatalistes, d’aucuns plongent allègrement dans la superstition, invoquant une terrible et persistante malédiction qui plonge Haïti dans le chaos depuis des décennies.

    « Chay sot sou tèt li tonbe sou zepÒl », dit-on ainsi en créole. Ce qui signifie littéralement : « De la tête, la charge est tombée sur les épaules ».

    Dieu aurait abandonné son peuple. Il le punirait. Victime d’un mauvais sort, le pays voit l’émergence de figures se faisant passer pour des prophètes. Dans les médias, ces derniers vont jusqu’à appeler à la mort de responsables politiques pour contrer la guigne.

    Certains ont même présagé, quelques jours avant l’assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet dernier, sa disparition proche. D’autres encore, affichant une position anti-vaccins, ont prétendu à des heures de grande écoute que ceux-ci allaient transformer les hommes en vampires.

    Célèbre écrivain haïtien, Gary Victor ironisait ainsi sur le caractère viscéralement chaotique d’Haïti. « Un jour viendra où nous, les Haïtiens, nous serons les héros du monde. Ce jour-là, ce sera l’apocalypse. Pour la fin du monde, c’est nous qui missionnerons des experts partout. C’est nous qui enverrons, cette fois, nos ONG et nos 4×4 dans tous les pays riches. Pensez, l’apocalypse, ça nous connaît! Finalement, on est peut-être simplement en avance sur l’humanité… »

    Aux Cayes, après le passage dévastateur de l’ouragan Matthew en 2016, faisant plus de 1000 morts. © CC Flickr United Nations Photo

    ... à ses racines économiques

    Spécialiste d’Haïti, Chantal Guy, balaie dans La Presse, média indépendant québécois, ces superstitions pour lier la conjoncture actuelle de l’île à son héritage colonial. « Haïti ne fait que subir les conséquences, qui ne cessent de s’accumuler, dans un cercle de plus en plus vicieux, du traitement qu’on lui a réservé depuis son indépendance, en 1804 ».

    Et d’ajouter : « la République naissante a convenu de payer à la France une « compensation » astronomique pour la perte de sa vache à lait sucrière, l’équivalent de milliards de dollars aujourd’hui, et ce, jusqu’en 1947 ».

    C’est cette dette qui explique, insiste Chantal Guy, le retard de développement économique et démocratique de l’île.

    Selon l’indice de développement humain (IDH), Haïti est classé 168e sur 189 pays, avec une pauvreté qui atteint 59% de la population.

    En 2014, dans la partie nord de l’île, des inondations font des milliers de personnes déplacées. © CC Flickr United Nations Photo

    Les stigmates du séisme de 2010

    Celle qui a longtemps été surnommée la république des ONG a donc été à nouveau frappée le 14 août dernier par un séisme de magnitude 7.2 et un cyclone. Le bilan partiel dans les départements touchés (Sud, Nippes et Grand’Anse) fait état de 2.200 morts, 12300 blessés et plus de 59 000 habitations détruites.

    Quelques jours plus tard à peine, les autorités annonçaient l’arrivée d’un cyclone sur le territoire exhortant les civils à se protéger un maximum. Et surtout, à ne pas  « réoccuper les maisons qui sont endommagées », insistait Eric Calais, géologue français.

    Dans le sud d’Haïti, un camp a ainsi été créé au sein duquel les sinistrés trouvent refuge. Un camp immortalisé par le photo-journaliste haïtien Richard Pierrin, mettant en lumière le désespoir de ressortissants tentant péniblement de s’abriter en plaçant leur imperméable sur la tête.

    Tandis qu’il prenait des photographies, Richard Pierrin dit avoir assisté à un vol de vivres, sous les yeux de policiers présents pour sécuriser l’endroit.

    « Les policiers m’ont forcé à supprimer les images où ils figuraient. J’ai été obligé de le faire pour sauver ma peau », affirme ainsi le reporter sur son compte twitter. Son téléphone aurait également été saisi.

    « Les policiers m’ont forcé à supprimer les images où ils figuraient. J’ai été obligé de le faire pour sauver ma peau », affirme Richard Pierrin sur son compte twitter.

    Quize jours après le séisme, l’aide humanitaire se fait encore attendre. Et, avec cette nouvelle catastrophe naturelle ressurgit le spectre du séisme du 12 janvier 2010.

    Avec une magnitude de 7.0 à 7.3, le tremblement de terre avait touché de façon directe près de 1,5 million de personnes, soit 15 % de la population nationale. Le département de l’ouest, Port-au-Prince, avait été particulièrement frappé.

     Le tremblement de terre du 14 août dernier a fait au moins 2 200 victimes. © Capture d’écran France 24

    Plus de 300 000 personnes avaient perdu la vie et autant avaient été blessées, selon les autorités. Un traumatisme national, qui portait encore des stigmates une décennie plus tard. Car, près d’1,3 million d’Haïtiens vit encore dans des abris provisoires de la zone métropolitaine de la capitale.

    Un nouveau séisme, qui vient rappeler donc, plutôt qu’une quelconque malédiction, l’incapacité des autorités à prendre de réelles mesures pour éviter des pertes considérables et à (re)construire le pays.

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