« On est laissés-pour-compte » : dans un centre d’hébergement, on suit la présidentielle de loin, avec crainte
Dans la cour parisienne des Cinq toits, centre d’hébergement d'urgence accueillant des personnes exilées, certains débattent politique avec vigueur, quand d’autres ne s’en préoccupent pas. À trois jours du second tour, rencontre avec les résidents du centre. S’ils ne peuvent pas voter, ils restent politisés. Et plutôt inquiets quant à l'issue du scrutin.
Accolés à une table de tennis de table, dans la cour des Cinq toits, trois amis discutent. Ce 20 avril, quelques heures seulement avant le débat d’entre-deux-tours qui oppose Marine Le Pen et Emmanuel Macron, Atiqkhanm Hadlawan, Ahmad Akbari et Mageed partagent leurs vues sur cette élection présidentielle – leur première depuis leur arrivée en France.
« Si Macron est élu, c’est mieux parce que sa politique migratoire est bien meilleure que celle de Marine Le Pen. Et, il n’est pas raciste », lance l’un d’eux. Réfugiés, tous trois sont originaires d’Afghanistan. S’ils ne peuvent pas voter, ils tiennent tout de même à se tenir informés de la situation politique hexagonale, et se disent inquiets de l’issue du scrutin.
Au cours de cette campagne présidentielle, l’immigration est revenue comme une marotte. « Immigration zéro », théorie du « grand remplacement », volonté de réformer la politique migratoire à l’aide d’un référendum. Les candidat(e)s d’extrême droite l’ont évoqué à maintes reprises pour légitimer leurs positions sécuritaires, quitte à proposer des mesures non conformes au droit (voir l’article ci-après ndlr).
Quant aux personnes en situation de migration, peu ou prou donnent leur avis. Tant elles ne se sentent pas légitimes à l’idée de discuter politique française.
« Peu de personnes ici nous parlent de l’élection », confie une jeune éducatrice du centre d’hébergement d’urgence, tandis qu’elle surveille, alerte, les quelques bambins consciencieusement affairés à la chasse aux œufs de Pâques dans le jardin.
« Ils n’ont pas la possibilité d’agir »
Dans le centre d’hébergement, où vivent 350 personnes (isolées ou en famille), le temps est presque estival. « Je pense que l’élection les préoccupe, mais ils n’ont pas la possibilité d’agir alors qu’ils sont directement concernés par l’issue du scrutin », continue l’éducatrice, avant de partir retrouver les enfants, les bras chargés de poules en chocolat.
Adnan Mullah* prend un bain de soleil dans la cour de cette ancienne caserne. « Je suis attristé parce que je ne connais pas les politiques en France. Je ne peux pas voter, je suis réfugié. J’imagine que, dans mon cas, certains seraient mieux que d’autres mais je ne sais pas qui et dans tous les cas, je n’y peux rien », reconnait-il. Avant de conclure : « je laisse les Français choisir ».
Michaël Gozlan, responsable communication du lieu, sort de son bureau pour gagner le jardin, alors qu’un conseil de l’horloge, réunion mensuelle rassemblant les différents responsable et partenaires du centre, s’y prépare. Il parle peu de politique avec les résidents. Pourtant, à ses yeux, l’issue du vote pourrait changer cette habitude. « J’imagine que si Mme Le Pen gagne, on va devoir expliquer ce qu’il risque de se passer : les budgets pour les centres d’hébergements comme ici sur les Cinq toits risquent d’être très limités. Et, c’est précisément le genre de lieux qui peuvent fermer », confie-t-il, un tantinet agité. Avant de rejoindre la réunion, il se retourne pour lancer : « On espère que les gens vont faire ce qu’il faut ».
Une inquiétude face à l’élection
Si certains préfèrent ne pas se prononcer, il existe pourtant bel et bien un consensus auprès des personnes qui suivent la campagne.
À l’instar de Moustafa Ishag, qui discute avec ses amis dans la cour. « Je pense que tout le monde ici est contre Marine Le Pen », explique le jeune soudanais, avant de s’installer à une table de jardin.
À la fin du conseil de l’Horloge, tout le monde regagne son bureau. Il est 17h et les enfants rentrent de l’école accompagnés de leurs parents. Quelques femmes s’attablent en terrasse alors que le soleil brille encore, pour commencer à discuter.
Parmi elles, Kamgate Mandiara, jeune maman originaire de Côte d’Ivoire, nous dit son inquiétude quant à l’élection de dimanche. « En groupe, on parle souvent de l’élection, raconte-t-elle en regardant ses amies qui opinent de la tête, Les candidats proposent des réformes et des lois, et pour nous qui sommes venus ici, qui sommes étrangers, ça nous fait peur. En arrivant en France, on a pu trouver une politique d’accueil qui n’était pas trop mal, mais si quelqu’un d’autre est élu, on ne sait pas ce qu’il peut se passer ».
« C’est aussi pour mes enfants que j’espère que Marine Le Pen ne sera pas élue »
Foufana Adama, lui, surveille d’un œil attentif ses enfants jouer dans la cour. Egalement originaire de Côte d’Ivoire, ce père de famille vivant en France depuis plusieurs années, s’informe grâce à la télévision. « C’est aussi pour mes enfants que j’espère que Marine Le Pen ne sera pas élue », dit-il.
D’autres trouvent le moyen de se sensibiliser à la politique par les réseaux sociaux. « Facebook, Instagram, Tiktok… On utilise les nouvelles technologies », sourit Ahmad Akbari. S’il pense le président sortant plus apte à proposer une politique d’accueil qui leur serait favorable, il espère qu’il fera mieux qu’au cours du quinquennat en cours. « Nous aimerions qu’ils se préoccupe plus de nous, qu’il nous aide. On est énormément laissés pour compte », conclue-t-il.
*Le nom a été modifié
Cet article vous a intéressé ?
Abonnez-vous à Guiti News à partir de 2€/mois*