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    [Cinéma] « Les Filles d’Olfa », l’ovni méthodique signé Ben Hania

    Au bout de la baguette magique de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania, un docufiction hybride aux portes du réel sur la dislocation d’une famille engloutie par l’Etat islamique.

    La réalisatrice Kaouther Ben Hania au festival de Cannes. © Fanny de Gouville

    Présenté en compétition officielle au dernier festival de Cannes, et flanqué d’une mise en scène magistrale, « les Filles d’Olfa » raconte l’histoire de cinq femmes: quatre soeurs et leur mère célibataire, Olfa.

    Alors que cette femme plus forte qu’une armée réunie élève ses filles seule en Tunisie dans les années 2010 en plein Printemps arabe, les deux ainées Rahma et Ghofrane, trop souvent prises pour cible par la poigne de leur mère, finissent par se réfugier dans l’extrémisme délétère de l’Etat islamique.

    Un fait divers tragiquement banal

    Cet ovni sur la Croisette s’inspire d’un fait divers tristement récurrent à Tunis à l’aube des années 2010 : le départ de milliers de ses jeunes ressortissants pour le califat. Circonspecte, la réalisatrice prend alors attache en 2016 avec Olfa Hamrouni, qui avait médiatisé son histoire personnelle, fustigeant les autorités de n’avoir pas empêché ses filles de rejoindre la Libye, alors qu’elles avaient connaissance de l’imminence du départ.

    « J’avais besoin de comprendre ce qu’il se passait. Comment pouvait-on en arriver là ? Mais, je ne savais pas comment le raconter pendant longtemps, je ne parvenais pas à savoir comment creuser, quel format adopter. J’ai mis de côté mon film « L’homme qui a vendu sa peau » et j’ai passé beaucoup de temps avec Olfa et ses filles cadettes, Eya et Taysir Chikaoui », nous confie Kaouther Ben Hania.

    Nihilisme ? Absences d’horizons ? Nul n’est en mesure d’affirmer avec certitude ce qui a séduit tant de jeunes à grossir les rangs de l’EI, mais l’angoissant contexte politique et économique de la Tunisie a pesé dans la balance.

    A l’époque des faits, les filles d’Olfa n’allaient plus à l’école : elles avaient rejoint leur mère à Tripoli pour travailler en tant qu’employées de maison.

    Bande-annonce « Les Filles d’Olfa » de Kaouther Ben Hania

    De Brecht à Ben Hania : un dispositif de génie

    Dès les premiers plans des « Filles d’Olfa », le spectateur est plongé dans une sorte d’incertitude quant à l’objet filmique devant lequel il se trouve.

    Est-ce une fiction ? Un documentaire ? Une pièce de théâtre filmée ? Qui sont les personnages ? S’agit-il d’actrices professionnelles?

    Les frontières sont poreuses, jusqu’à ce qu’Olfa prenne la place qui lui revient à l’écran : le questionnement devient alors accessoire. L’on comprend alors que dans cette salle de préparation HMC (Habillage Maquillage Coiffure), la comédienne ultra-populaire Hend Sabri, l’Olfa d’une vie réelle et celle du grand écran se partagent un rôle en simultané. L’une guide quand l’autre interprète. Et, vice-versa.

    Quid de la violence originelle

    A différentes échelles, il est autant question d’amour que de violence dans cette poignante oeuvre. Infiltrée dans la vie réelle et répliquée de cette famille de femmes, la caméra de Ben Hania capte avec brio la sororité qui règne au sein du clan.

    Pleurs et rires cohabitent au gré des corrections qu’Olfa infligent à ses filles dans la fleur de l’âge, ne cherchant qu’à s’épanouir. Mais loin de juger sa protagoniste, la réalisatrice retrace, entre interviews et reconstitution, l’origine de ce caractère aussi rigide qu’aimant qui fait d’Olfa un personnage de cinéma plus vrai que nature.

    Nichée au coin d’une chambre à coucher, Olfa montre à Hend Sabri la façon dont elle dû battre son mari le soir des noces alors qu’elle refusait de s’offrir à lui malgré les sommations de sa propre soeur à la prendre de force. 

    « Ma mère ne m’a jamais frappée, mais elle ne m’a jamais protégée non plus. Je crois que je ne veux pas que mes filles disent que je ne les ai pas élevées. J’en ai honte oui, mais c’est comme un poids que j’ai retiré de mes épaules pour me réconcilier avec moi-même », témoigne ainsi Olfa en conférence de presse cannoise, devant les regards gênés de journalistes peu habitués à tant de transparence. 

    Eya et Taysir Chikaoui à la conférence de presse des « Filles d’Olfa » au 76ème festival de Cannes

    « On me reproche ma violence, mais tout le monde reste muet quand ma petite-fille de 8 ans est en prison »

    Au coeur du combat d’Olfa, le rôle passif de l’Etat tunisien dans le rapatriement des enfants nés en Syrie et grandissant dans des camps ou en prison avec leurs mères. Selon l’Association pour les Tunisiens bloqués à l’étranger, quatre enfants ont ainsi été rapatriés cette année par l’Etat suite aux revendications des familles, mais dix-huit seraient encore bloqués en Libye. Quand quelque 170 autres se trouvent dans des camps en Syrie.

    « J’ai patienté pendant huit ans : aujourd’hui, je fais porter ma voix. Mes filles se sont égarées, mais elles ne devraient pas porter cette responsabilité seules. En premier responsable, je place l’Etat tunisien qui n’a rien fait pour les empêcher de partir, alors qu’elles étaient encore mineures et que je les avais alertés. En second, j’assume la responsabilité. Je voudrais juste qu’elles aient un procès équitable. Aucune loi ne devrait permettre à un enfant de huit ans de grandir en prison », abonde Olfa.

    Et d’ajouter : « Je lance un appel à toutes les organisations des droits de l’Homme et à chaque personne qui a un tant soit peu d’humanité pour que ma fille Fatma (petite-fille d’Olfa en réalité – NDLR) rentre chez elle. Ils doivent nous soutenir, il y en a des centaines comme elles et les laisser ainsi ne fera que faire naitre cette violence que vous me reprochez ».

    Récompensé à plusieurs occurrences, dont le Prix du Cinéma positif et une mention du Prix François-Chalais récompensant un film voué aux valeurs du journalisme, « Les Filles d’Olfa », n’a pas fini de faire parler.

    En salles depuis le 5 juillet 2023.

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