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    Notice : comment être un bon migrant ?

    Une lutte sans fin pour la justice, l'égalité et la dignité. Dans son pays d'accueil, celui qui vient d’arriver doit remuer ciel et terre pour être considéré comme un bon migrant, celui qui a raison d’être là.

    Du déclassement professionnel chez les nouveaux arrivants.

    « En Europe, quand on parle d’immigrés, on a en tête un certain caractère qui leur est associé et notamment la classe sociale. Quand on pense à un immigré, on ne pense pas à un Anglais qui travaille dans la finance », pose Manon Torres, doctorante en sociologie à l’EHESS, École des hautes études en sciences sociales à Paris, spécialiste de l’action publique locale en matière d’égalité.

    Mais alors, qu’est-ce qui fait de nous un bon migrant ? Notre couleur de peau ? Notre foi religieuse ? Notre origine ethnique ? On peut – sans trop s’avancer – assumer qu’en Europe comme ailleurs, le fait d’être blanc, riche et catholique nous immunise contre une terrible maladie : être étranger.

    Trevor Noah, humoriste, auteur à succès du New York Times et animateur du Daily Show, le résumait ainsi, badin : « Quand on parle d’ « immigrant » aux Etats-Unis, la plupart du temps on fait référence à quelqu’un qui vient du Mexique. Les gens (en Amérique) ne pensent pas que Chris Hemsworth [célèbre acteur Australien] ou Justin Bieber [célèbre chanteur Canadien] sont des immigrants ».

    Un visa, tu auras

    Tu as un visa, tu es entré de manière “légale” ? Alors, félicitations, tu es un bon migrant! Tu pourras apporter de la valeur ajoutée à ton pays d’accueil.

    Dans le cas contraire, tu représenteras – à peine arrivé – un fardeau. Tu deviendras la cible privilégiée des médias conservateurs et des politiciens de droite et d’extrême-droite, qui vont n’avoir de cesse de te décrédibiliser.

    Car, tu as eu l’outrecuidance de ne pas venir « de la bonne façon ». Prépare-toi déjà à faire preuve de gratitude. D’une montagne de gratitude.

    Car, on te le rappellera sans cesse : tu ne respectes pas la loi.

    De ton accent, tu te débarrasseras

    « C’est quoi cet accent là ? », m’a demandé sans détour un serveur derrière son comptoir l’été dernier, alors que j’étais à Douarnenez (Finistère) pour couvrir un festival de cinéma avec ma collègue Justine Segui.

    Oh, bien sûr ce n’était pas la première fois que l’on m’interrogeait sur mes origines. Et, ce ne sera pas la dernière. Procurant à chaque fois la même sympathique sensation : celle de pas être à sa place en France. « Le fait de poser systématiquement la question “D’où viens-tu?” s’inscrit dans une tendance de la société. Mais aussi dans le discours politique et public sur ce qui constitue la nation et sur ce qui est en dehors…», appuie Manon Torres, doctorante en sociologie.

    Alors, pourquoi cette fixette sur l’accent ? Une des raisons pour lesquelles un immigrant va en permanence se sentir comme un étranger dans son nouveau pays, c’est la langue. La violence symbolique autour d’une langue utilisée comme outil de domination. Un bon immigrant parle parfaitement français. Un étranger hésite, trébuche, ne parvient pas à gommer son accent. Son histoire.

    T’assimiler, tu devras…

    Si – notamment après la deuxième guerre mondiale- la France a volontiers ouvert ses portes aux immigrants pour qu’ils participent à reconstruire le pays, ces derniers ont ensuite été considérés comme de la nourriture périmée dont il fallait se débarrasser. Combien d’entre nous ont vécus dans des conditions misérables ? Tenus loin de la ville et de ses possibilités ? Combien d’entre nous ont souffert de la violence ? Autant d’émeutes, de violents incidents racistes, facilités par une couverture médiatique biaisée des immigrants. Ces derniers ne souhaitant pas s’intégrer. Ne voulant pas ressembler à la population française.

    Car, un bon immigrant c’est quelqu’un qui a réussi à assimiler la culture et l’histoire de son pays d’accueil. Quelqu’un qui a épousé la façon de vivre des Français.

    « Au début de XXe siècle, la France a accueilli une immigration du sud de l’Europe. Italiens, Portugais, Espagnols… se retrouvant souvent dans des bidonvilles. Or, ces groupes-là ont été blanchis avec le temps, dans le sens où le racisme envers eux a progressivement cessé. L’une des raisons est religieuse : ces personnes venant majoritairement de pays catholiques. Désormais, l’un des cercles majeurs de la racialisation et du racisme en France est l’hostilité envers la religion musulmane », explique Manon Torres.

    … et ton héritage, tu nieras

    Être enfant d’immigrant n’est pas non plus un long fleuve tranquille. Son existence est, elle aussi, semée d’embûches.

    Certes, tu es né dans ce pays. Mais, il continue à te traiter comme un étranger. Ton accent, ta couleur de peau, ta foi… Etranger tes parents étaient, étranger tu resteras.

    Le fait que tu sois né ici ne semble pas signifier grand chose pour beaucoup de quidams. Pourquoi on continuerait à te demander tes origines sinon? Des origines que parfois tu ne connais même pas ?

    Et, ô bonheur, cette essentialisation, cette stigmatisation n’est pas propre aux autorités. Elle est l’apanage de toute une société. Tu te sens exclu lors d’entretiens d’embauche, de visites d’appartements…

    Mais, tu prends sur toi. Car, tu n’as pas vraiment d’autre choix.

    Un héros, tu seras

    En 2018, lorsque la France remporte la Coupe du monde, 19 des 23 joueurs constituant l’équipe sont immigrés ou enfants d’immigrés. Mais peu importe. A ce moment-là, dans l’euphorie collective, tout ce petit monde est reconnu comme français. Plus de couleur. Fantastique. Mais, on a quand même du mal à prononcer les noms de famille. Faut pas déconner.

    La même année, Mamoudou Gassama, jeune malien, escalade à mains nues un immeuble parisien pour sauver un garçon de 4 ans, risquant de tomber du balcon. La scène enregistrée, le courageux jeune homme devient une sensation en ligne. Spider man est né. Il est reçu par le président français Emmanuel Macron à l’Elysée, il est régularisé, devient français, trouve un travail chez les pompiers.

    Mais, toi qui me lis, que faire si tu n’es pas footballeur ? Que faire si tu ne commets pas un acte d’une extrême bravoure ? Que vaut notre vie si nous ne sommes pas des héros ? En réalité, cher lecteur, tu l’auras compris. Être un bon immigrant, un bon français, est une possibilité inatteignable. Non de notre propre fait, non. Mais, comment pouvez-vous être bon quand votre simple existence irrite ?

    Cet éditorial délivre un point de vue personnel du journaliste et n’engage pas la rédaction.

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