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  • C'est leur histoire

    Exilé et précaire, se déplacer dans la ville #1 : vivre « à la frontière »

    Problématiques économiques, peur du contrôle, discriminations… Dans cette série d’articles, Guiti News revient sur la difficile mobilité des personnes exilées en situation de précarité dans la ville de Paris. Focus sur les hommes sans-papiers, entre crainte de la police et trajectoires détournées.

    Dans un métro parisien, Ahmad Dialle regarde tout autour de lui en avançant, nerveux. Il n’a pas payé son titre de transport. D’ordinaire, il se déplace plutôt à pied – hormis quand il parvient à récupérer des tickets grâce à des associations-. Mais, aujourd’hui entre la pluie et la distance qu’il doit parcourir, il se dit qu’il n’a pas d’autre choix.

    À quinze ans, l’adolescent se comporterait presque comme un fugitif pour un simple ticket de métro non validé. « Un jour, je suis rentré chez moi en bus et j’ai croisé des contrôleurs, ils se sont dirigés directement sur moi. L’un d’entre eux m’a demandé mon ticket, j’ai répondu que je n’en avais pas. Il m’a ensuite demandé mes papiers. J’ai expliqué que j’étais migrant et que je n’avais rien. Ensuite, il a appelé la police. Aussitôt arrivée, elle m’a dépouillé, m’a posé un tas de questions… Je leur ai annoncé que j’étais mineur. Alors, ils m’ont laissé partir », se souvient Ahmad.

    Cet l’événement l’a traumatisé. Depuis, il s’était juré de ne plus frauder dans les transports. N’ayant pas été reconnu mineur par les services d’aide sociale à l’enfance, il est considéré comme un sans-papier.

    Cartographier la ville pour éviter les contrôles

    La crainte d’Ahmad, beaucoup la connaissent et l’éprouvent. Anthropologue, Stefan Le Courant en parle dans son livre « Vivre sous la menace » (Ed. Seuil). Alors qu’il est bénévole dans un centre de rétention, ce dernier se rend compte que la plupart des personnes arrêtées, enfermées ne sont pas expulsées. Une observation confirmée par les chiffres.

    « J’ai réalisé une enquête ethnographique auprès des personnes qui subissaient cet enfermement, pour comprendre les effets de cette politique sur elles, les conséquences sur leurs trajectoires et concrètement ce que cela voulait dire de vivre au quotidien avec le spectre de la possible expulsion », explique-t-il.

    Pour le chercheur, ces personnes vivent constamment « à la frontière », dans la peur de se faire expulser. Pour éviter l’expulsion, différentes stratégies se mettent en place. « J’ai pu observer que nombre de personnes savaient où étaient les contrôles policiers les plus fréquents, ils cartographiaient la ville », reprend-t-il. Ils sont ainsi nombreux, par exemple, à éviter les gares internationales dans lesquelles les policiers n’ont pas besoin de justifier leurs contrôles.

    Martin* fait des détours tous les jours. Il ne prend jamais, par exemple, le métro à Saint-Michel (arrêt desservi par le RER C, permettant de faire le lien avec le RER B et les lignes 4 et 10 du métro parisien, NDLR.). Pourtant, le jeune homme habite sur la ligne du RER C et pour ses trajets quotidiens, pouvoir faire ce changement lui faciliterait la vie. Il préfère prendre d’autres chemins, quitte à se rajouter une heure de trajet. En se confiant à Stefan Le Courant, il explique « qu’à Saint Michel, il était très proche de lieux touristiques, mais aussi du Quai des Orfèvres où se trouvait l’état-major de la police ».

    Une crainte constante

    Pour les étrangers en situation irrégulière, les déplacements sont ainsi limités. Ils n’occupent pas l’espace de la même manière. À cette difficulté de déplacement, s’ajoute la peur constante.

    Dans les rues de la capitale française, Ahmad Dialle a l’impression de devenir paranoïaque, tant il craint continuellement de croiser un policier. « Je n’ai pas envie d’être expulsé. Au-delà de ces problèmes de transport, je galère aussi pour trouver comment me loger, quoi manger… ».

    Stefan Le Courant explique que certains de ses sondés parviennent désormais à reconnaître les policiers en civil. « On peut faire un parallèle avec la façon dont les policiers reconnaissent les sans-papiers dans la rue, car des procédés similaires sont utilisés : l’observation attentive de la foule et la réduction des individus à quelques traits discriminants », avance le chercheur.

    Géographe, Joanne Le Bars dédie son travail de recherche aux trajectoires des femmes exilées dans la ville. Cette dernière se rend compte que les femmes sont, elles, peu controlées. « Les policiers n’arrêtent pas beaucoup les femmes, ce sont surtout des jeunes hommes racisés », précise-t-elle. (Aucune des femmes interrogées par Guiti n’ont d’ailleurs partagé cette même peur du contrôle policier, elles partagent plutôt des craintes d’être discriminées, NDLR.).

    Pour Le Courant, cette obsession vis-à-vis des forces de l’ordre a un impact sur les déplacements, mais aussi sur la psychologie des personnes, restant aux aguets.

    « Je n’aime pas quand on me pose des questions sur ma situation »

    Adama* est aujourd’hui régularisé. Toutefois, chez lui l’impression de vivre à la frontière reste vivace. Au téléphone, d’une voix faiblarde et tremblante, il explique : « Quand je rencontres des nouvelles personnes, je n’aime pas qu’on me pose des questions sur ma situation ou mon voyage, je trouve ça intrusif et ça me donne l’impression que je parle à la police ».

    Dans le cadre de ses recherches, l’anthropologue est marqué par le sentiment de défiance généralisée chez les personnes en situation irrégulière. « En rencontrant mes interlocuteurs, on voit que le doute est très prégnant,  l’enquête ethnographique ne peut se dérouler que sur le temps long permettant la création d’une relation de confiance ».

    Les problématiques de mobilité dans la ville sont corrélées à des problématiques financières, alors que « la vie coûte cher à Paris », insiste Ahmad.

    Ce sont toutes ces raisons qui ont poussé le jeune homme à déménager pour s’installer dans une plus petite ville. Il vit à présent chez un proche. « Quand on rejette votre demande de régularisation, ça devient très compliqué même pour payer ce fameux ticket de métro », conclut-il.

    *Les prénoms ont été modifiés

    Photos : Federico Iwakawa, Justine Segui et image libre de droit Pexels,Herryway Pixabay

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