Mon art ou rien! : portrait de trois femmes exilées
Elles s’appellent Ahlam, Aida et Afia. Elles peignent, elles chantent. Elles vivent. Chacune à sa façon témoigne dans son oeuvre d’exil et de résilience. En cette journée internationale du droit de la femme, nous avons eu envie de les interroger sur leur rapport à l’art et à l’identité.
Ahlam Jorban, 26 ans, artiste de rue
Vivre à Paris, c’est un rêve qui se réalise. A mes yeux, la France a toujours représenté un havre de liberté et un paradis pour les artistes. En tant que femme et artiste de rue, j’ai toute latitude de m’exprimer, comme je l’entends. Je suis Yéménite. Dans mon pays, tout vous est interdit quand vous êtes une femme. Votre corps, votre visage, vos actes sont soumis à la volonté masculine. Les hommes entendent contrôler votre vie. Et si vous vous écartez de ce qui est décidé pour vous, vous êtes perçue comme mauvaise, impure.
En grandissant au Yémen, je me suis sentie victime d’une triple exclusion. D’abord, en tant que fille unique élevée par une mère célibataire. La communauté nous avait en horreur. Ensuite, en raison de mes origines somaliennes et éthiopiennes, j’ai subi le racisme de plein fouet. Enfin, le simple fait d’être une femme vient encore renforcer l’exclusion. Adolescente, ces sentiments de rejet me tourmentaient, et je n’arrivais pas à les exprimer. Personne n’était prêt à m’écouter. L’art était alors le seul moyen de le faire. J’ai commencé à réaliser des croquis, puis quand l’art des graffitis s’est démocratisé, en mai 2011, en pleine Révolution arabe, j’ai investi les rues. Je suis devenue la première artiste femme faisant des graffitis au Yémen. A cette époque, je produisais essentiellement des œuvres politiques, revendicatrices sur l’ensemble du monde arabe (concernant la Syrie, la Palestine, le Yémen évidemment etc).
J’ai quitté le Yémen il y a trois ans pour gagner la Jordanie. Là, j’étais en sécurité, mais aucun futur ne s’offrait à moi. Il m’était impossible d’y travailler ou d’y étudier. Je suis restée, perdue, là-bas pendant deux ans. Quand j’ai eu la possibilité de venir en France, cela a rendu ma mère très heureuse. J’avais déjà rencontré de nombreux problèmes à cause de mon art. J’ai été agressée alors que je peignais dans la rue, par la police armée, pour m’intimider : « Si tu ne t’arrêtes pas, on va te tuer ».
Je suis heureuse d’être en France, je m’y sens libre. Mais, pour l’administration en tant que réfugiée (Ahlam a obtenu ce statut la semaine dernière), nous ne sommes que des numéros. En réalité, je n’ai jamais su quelle identité j’avais. Au Yémen, malgré mon passeport, je ne me suis jamais sentie yéménite. Je ne me sens pas non plus appartenir à la communauté somalienne ou éthiopienne, où l’on me répète que je suis arabe. En gagnant la France, je pensais aussi gagner une identité. Enfin ! Mais ici non plus, je ne sens pas acceptée. En fait, je crois bien que je n’ai aucune identité (rires).
Aida Nosrat, 35 ans, chanteuse, compositrice et violoniste
J’ai quitté l’Iran en 2016. En tant que femme chanteuse et musicienne, je ne pouvais pas y travailler. Je n’y étais pas autorisée selon les lois islamiques édictées par le gouvernement actuel. Je suis donc partie avec mon mari, guitariste, qui est également compositeur. Nous travaillons ensemble au sein du groupe que nous avons fondé, Manushan. Pourquoi la France ? Je n’ai pas vraiment choisi, l’Univers l’a fait à ma place (rires).Je recherchais depuis longtemps un moyen légal pour gagner l’Europe, je ne voulais pas être réfugiée. La chose a été possible grâce à l’ambassade de France, via un parcours unique, le Passeport Talent. Il permet de résider en France pendant trois ans et d’y travailler légalement.
Avant mon arrivée à Paris, j’étais une personne complètement différente. En Iran, je n’avais aucune existence sociale. Je ne me considérais pas tellement comme une femme, j’apprends aujourd’hui à l’être en France. Mais, ce que j’apprécie surtout c’est que l’on me traite comme un être humain tout simplement, avant de m’assigner un quelconque genre. Ici, je peux chanter librement, et c’est capital pour moi. A Téhéran, je devais cacher de nombreux aspects de ma personnalité, prétendre être quelqu’un d’autre. Ou feindre des croyances. J’ai toujours ressenti un paradoxe entre celle que je devais être aux yeux de la société iranienne et celle que je pouvais être dans ma famille. Avec un père communiste, j’ai grandi dans la liberté la plus totale. Ma famille prônait l’ouverture. Mais, je m’en souviens très bien, enfant, mes parents m’ont appris à ne pas être moi-même en société. A l’instar des relations avec les garçons. J’avais des amoureux, des amis garçons bien sûr. Mais en dehors du foyer, je devais me plier aux règles sociales et prendre de la distance avec eux.
Je suis entrée à 17 ans dans l’orchestre symphonique de Téhéran. Je continuais à agir de manière très libre. Et me comportais de la même façon avec les filles et avec les garçons. Mais, progressivement les hommes au sein de l’orchestre ont commencé à me traiter de pute. Alors, j’ai commencé à me renfermer sur moi-même.
J’étais une excellente violoniste, très créative. Je ne voulais pas me cantonner au classique, alors de façon autodidacte, je me suis ouverte à d’autres genres comme le jazz ou la musique gipsy. Ce qui a renforcé la fureur des hommes de l’orchestre. Jaloux, compétitifs, ils me traitaient avec condescendance. J’ai finalement été mise à la porte de l’orchestre. Pour une raison stupide. Alors que nous participions à un festival en Allemagne, j’ai été interviewée, puis prise en photo pendant que je répétais. Sur la photo, mon hijab n’était pas assez serré. C’est cette photo qui a été mise en couverture du programme du festival. Mes problèmes sont arrivés après ça. D’abord, l’on m’a reproché de ne pas respecter la loi islamique. Puis, l’on m’a accusé d’avoir bu de l’alcool. Faux évidemment. Ils cherchaient à se débarrasser de moi à tout prix.
Même s’ il est vrai que je déteste suivre des règles auxquelles je ne reconnais aucune logique, cet épisode m’a particulièrement marqué. Je me suis sentie ostracisée. Avec mon mari, nous avons quitté Téhéran, avant de gagner la France des années plus tard. Aujourd’hui, je me vois comme un papillon, je continue ma mutation, et me sens plus forte !
Afia Rezk, peintre, 39 ans
J’ai quitté la Syrie pour des raisons politiques. Mon père est écrivain et il s’est exprimé contre le régime en place. En Syrie, il est de toute façon compliqué de travailler comme écrivain et comme artiste en général. La dictature n’autorise aucune réflexion critique. Moi ? Je suis peintre. J’utilise la technique du collage pour mes tableaux. J’ai déjà été exposée en Syrie, au Liban, en Suède. Mais, en Syrie, je ne pouvais pas vivre de mon art. C’est pour cela que j’ai préféré travailler comme médiatrice culturelle auprès de femmes isolées et d’enfants. Je leur inculquais le travail manuel, le dessin, les sensibilisais à l’art. Mais, cela aussi, ça posait problème au régime. Je craignais en permanence les représailles. Je savais bien qu’on était suivis de près, observés, épiés. C’était de l’intimidation permanente. La police est même venue plusieurs fois à la maison, pour nous interroger.
Avec mon père, mon frère et ma sœur, nous avons pris le chemin de la France il y a neuf mois. Je suis désormais reconnue comme réfugiée. A Paris, je me sens libre. Et, je crois que ça rend mon travail meilleur. Dans mes tableaux, j’aime représenter le motif de la porte, ou plutôt les choses qui peuvent se trouver derrière elle. Je m’inspire des femmes auprès de qui j’ai travaillé en Syrie. Des femmes perdues, mais qui sont dans l’expectative d’un avenir meilleur. Elles attendent la lumière. Et demeurent optimistes et fortes.
Personnellement, en quittant la Syrie, j’ai laissé de nombreuses choses derrière moi. Des choses que j’aimais. Mais, j’ai envie de me construire une nouvelle vie à Paris. D’ailleurs, j’apprends la langue depuis quelques mois, à la fois à l’atelier des artistes en exil et aux Beaux-Arts. J’espère la parler couramment très bientôt !
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