Les pays européens fouillent les portables des demandeurs d’asile
Aucune loi européenne ne réglemente si et dans quelles circonstances les autorités des pays membres peuvent se saisir des données des téléphones portables des demandeurs d’asile pour les analyser. Les pratiques varient donc d’un pays à l’autre, mais ont en commun de s’immiscer très souvent dans la vie privée des réfugiés, alors que le téléphone […]
Aucune loi européenne ne réglemente si et dans quelles circonstances les autorités des pays membres peuvent se saisir des données des téléphones portables des demandeurs d’asile pour les analyser. Les pratiques varient donc d’un pays à l’autre, mais ont en commun de s’immiscer très souvent dans la vie privée des réfugiés, alors que le téléphone portable est souvent leur bien le plus précieux.
Depuis l’Allemagne, Adèle Cailleteau / Dessin : Gaspard « Doudou » Njock
Montre-moi ton téléphone et je te dirai si tu peux rester. Ainsi pourrait-on résumer les lois émanant ces dernières années de plusieurs pays européens rendant l’extraction et l’analyse des données contenues dans les téléphones portables des demandeurs d’asile légales ; elles doivent permettre aux autorités de vérifier l’identité des réfugiés.
En 2016, le Guardian révélait ainsi que le ministère de l’Intérieur britannique pouvait accéder aux données mobiles des demandeurs d’asile depuis 2013. Officiellement, cette mesure doit permettre de prévenir des crimes graves comme des trafics d’êtres humains, mais la loi n’en limite pas clairement l’usage à ces cas extrêmes. Et, c’est d’autant plus alarmant que la police britannique coopère avec des entreprises qui ont fait de l’extraction des données mobiles une spécialité. Elles sont en mesure d’accéder aux numéros de tous les contacts enregistrés, au journal d’appel, aux messages textes et images envoyés, aux vidéos, ainsi qu’à leur date et heure de création (assorti parfois de la géolocalisation), aux fichiers audio, aux mails, aux informations de navigation, aux données GPS, aux messages et contacts des applications de réseaux sociaux, aux codes de déverrouillage, et même aux données supprimées.
Le ministère de l’Intérieur britannique a fait un virement de 45 000 £ à l’une de ces entreprises – l’israélienne Cellebrite – dans son enveloppe consacrée au contrôle de l’immigration (« Immigration Enforcement ») du budget 2018, laissant penser que ces technologies sont également utilisées contre les demandeurs d’asile.
L’organisation de défense des droits humains Privacy International révélait aussi en avril 2019 que cette société prospectait les services d’immigration en mettant en avant sa capacité à identifier des activités suspectes ou illégales des demandeurs d’asile avant leur arrivée dans le pays concerné, grâce à l’analyse des données de leur téléphone portable.
Fouille des profils sur les réseaux sociaux
Le Danemark a également recours à l’enregistrement et à l’analyse des données mobiles des demandeurs d’asile, officiellement dans le but de prouver leur identité. C’est ainsi que 55 enfants réfugiés voyageant seuls s’étaient vu confisquer leur téléphone portable pendant une durée allant jusqu’à un mois en 2016, alors qu’il s’agit de l’unique outil leur permettant de garder contact avec leur famille.
D’après la version britannique du magazine en ligne Wired, les autorités danoises ont aussi accès au compte Facebook des demandeurs d’asile. La présidente du mouvement « Refugees Welcome Danemark » Michala Clante Bendixen raconte dans Wired UK le cas d’un réfugié dont la demande d’asile a été refusée, parce qu’un commentaire émanant de son compte Facebook avait été posté à une période qu’il affirmait avoir passé en prison. Expliquer que son frère aussi avait accès à ce compte Facebook n’avait rien changé…
Un dispositif coûteux pour peu de résultats
Les autorités allemandes sont quant à elles autorisées depuis le mois de septembre 2017 à fouiller les téléphones portables et autres outils électroniques des demandeurs d’asile, pour prouver leur identité quand ils ne peuvent pas le faire autrement.
Rien qu’en 2017, l’équipement permettant ces fouilles a coûté 4,8 millions d’euros, pour des résultats quasi inexistants, rapporte la plateforme allemande consacrée aux libertés digitales Netzpolitik. Entre septembre 2017 et mai 2018, 5 000 analyses des données mobiles ont été opérées. Dans un tiers des cas, les informations trouvées confirmaient les faits énoncés par les demandeurs d’asile et dans presque deux tiers des cas, les fouilles ne permettaient pas d’obtenir d’informations pertinentes. Dans une centaine de cas seulement, les données mobiles contredisaient les informations énoncées par les demandeurs d’asile – sur les 230 000 demandes déposées durant cette période-.
Quelques mois après l’Allemagne et un an avant l’Autriche, la Belgique a également rendu possible la fouille des téléphones portables des demandeurs d’asile, ainsi que leurs profils sur les réseaux sociaux pour prouver leur identité et leurs récits quant à leur parcours. Si le demandeur d’asile refuse cette pratique, il risque d’être incarcéré. Officiellement, cette loi belge avait pour but d’harmoniser les pratiques à l’échelle européenne…
Pour l’instant, en France, une procédure de demande d’asile ne peut pas entraîner l’extraction des données mobiles du demandeur.
Cet article vous a intéressé ?
Abonnez-vous à Guiti News à partir de 2€/mois*