Les « délinquants solidaires » à l’honneur avec le prix « Alpes ouvertes »
Le 23 avril dernier, 80 personnes de toute l’Europe sont venues remettre le prix « Alpes ouvertes » aux « 7 de Briançon », à l’initiative d’une association suisse. La société civile dénonce leur condamnation pour « aide à l’entrée illégale d’étrangers en France », en reconnaissant a contrario leur « engagement pour le sauvetage ». D’autres « délinquants solidaires » y étaient présents.
Pierre Isnard-Dupuy et Destin Womeni
« A cette frontière franco-italienne, deux suisses, une italienne et quatre français se retrouvent dans la solidarité avec des africains ». C’est ainsi que Pinar Selek, sociologue turque réfugiée en France, désigne les « 7 de Briançon »[1]. Elle s’est exprimée ainsi, le 23 avril dernier, devant le local de la police aux frontières (PAF) de Montgenèvre (Hautes-Alpes). Ni la Lombarde – ce vent froid et humide soufflant depuis l’Italie – ni les dizaines de gendarmes en faction, n’ont dissuadé 80 personnes de venir remettre le prix « Alpes ouvertes », décerné par l’association suisse du Cercle des Amis de Cornelius Koch, aux « 7 de Briançon ».
En décembre 2018, Eleonora, Théo, Bastien, Lisa, Benoit, Mathieu et « Juan » ont été condamnés par la justice pour avoir agi à cette frontière de haute montagne. Ce 23 avril, diverses personnalités internationales sont venues dénoncer une Europe des États et des tribunaux qui barricade les frontières et poursuit les personnes solidaires des exilés.
« En signe de reconnaissance dans leur engagement dans le sauvetage en montagne »
« Ce prix suisse des droits humains est remis à des personnes ou à des groupes engagés pour le droits des réfugiés, des migrants et des minorités menacées en Europe », nous précise Claude Braun, membre de l’association et coauteur d’un ouvrage biographique sur » Cornélius Koch : Un chrétien subversif » [2]. Décédé en 2001, ce prêtre, surnommé en Suisse « l’abbé des réfugiés », avait lui-même connu l’exil dans son enfance, de la Roumanie à la Suisse. Il s’investissait dans l’accueil et s’insurgeait de la fermeture des frontières, en particulier entre l’Italie et la Suisse, de Côme à Chiasso. Il a créé le prix dans les années 1990. En 2019, c’est en « signe de reconnaissance pour leur engagement dans le sauvetage en montagne et dans la dénonciation des actes racistes et xénophobes », qu’il est remis aux « 7 de Briançon ».
Un an plus tôt, le 22 avril 2018, ils avaient participé à une manifestation transfrontalière au col de Montgenèvre, pour dénoncer la présence de militants d’extrême droite du groupe Génération Identitaire. Ces derniers avaient « pris possession » la veille du col voisin de l’Échelle, pour une opération ouvertement xénophobe. Parce que quelques personnes en situation irrégulière se sont jointes à la manifestation, le tribunal de Gap a en réponse considéré les « 7 » comme coupable « d’aide à l’entrée illégale d’étrangers en France ».
Le 13 décembre, ils ont été condamnés à 6 mois de prison avec sursis pour cinq d’entre eux et à 12 mois dont 4 fermes pour les deux autres. En attendant que la cour d’appel de Grenoble se prononce dans cette affaire, leurs peines ne sont pas exécutées. Les associations pour les droits humains et d’aide aux étrangers, considèrent cette condamnation comme un cas de plus de « délit de solidarité » qui touche les personnes aidantes des exilés à travers toute l’Europe.
Depuis trois années, les cols de l’Échelle (culminant à 1762 mètres) et de Montgenèvre (1854 m) voient passer des personnes exilées qui quittent l’Italie à la recherche d’un avenir meilleur en France. Elles prennent des risques en haute-montagne pour contourner les contrôles et parfois les violences des forces de l’ordre[3]. Depuis l’hiver dernier, c’est principalement le col de Montgenèvre, passage de la route de Turin à Briançon, qui est emprunté.
Les exilés voyagent à pied, le plus souvent de nuit, sur les treize kilomètres qui séparent le dernier village italien de Clavière, et la sous-préfecture des Hautes-Alpes, Briançon. Les cas d’épuisements, d’hypothermies ou de gelures sont fréquents. Parfois jusqu’à la mort. Quatre corps ont déjà été retrouvés dans cette région depuis mai 2018.
« La situation migratoire de la France touche un véritable seuil de barbarie »
Pour que « les montagnes ne se transforment pas en cimetière », selon les mots de l’association locale Tous Migrants, des Briançonnais et d’autres personnes venues de France et d’Europe, se rendent en maraude toutes les nuits. Aux abords de la station de Montgenèvre, ils secourent les exilés qu’ils parviennent à rencontrer, puis les mènent dans leur voiture, au Refuge Solidaire de Briançon – lieu de premier accueil, mis à disposition par la communauté de commune – malgré les risques de se faire arrêter par la police ou la gendarmerie.
« Nous sommes là parce que la situation migratoire de ce pays, prétendument les plus avancés et respectueux des droits de l’homme, voire mythifié comme terre d’asile, touche en réalité un véritable seuil de barbarie consciente et déterminé », expliquer Benoît Ducos qui fait partie des « 7 de Briançon »[4]. Le maraudeur fustige la brutalité de la frontière entre la France et l’Italie, dont les contrôles ont été rétablis en novembre 2015, après les attentats de Paris.
Dick Marty, ancien procureur du canton du Tessin et homme politique helvète s’insurge, quant à lui, de la condamnation à une amende de 1000 francs suisses d’un pasteur de son pays, nommé Norbert Valley, « pour avoir hébergé et donné à manger à un togolais ».
« On cherche à créer des masses de personnes irrégulières pour des voix faciles aux élections », alerte Don Giusto Della Valle à propos des politiques européennes de rejet des personnes exilées. Depuis 2011, ce prêtre catholique organise un centre d’accueil pour les personnes expulsées du territoire suisse ou sans- papiers en Italie, dans la ville frontalière de Côme. Le lieu fonctionne grâce à des dons de particuliers. Il a reçu le prix « Alpes Ouvertes » en 2017.
Sacha, qui vient de Berlin, est quant à lui poursuivi par la justice italienne pour « aide à l’immigration irrégulière », avec neuf autres membres de l’équipage du Iuventa. Ce navire de l’ONG allemande Jugend Rettet a secouru près de 20 000 personnes au large de la Libye de 2015 à 2017. « Nous n’avons fait que rechercher des personnes en mer et les sauver de la noyade », nous dit Sacha. Ils risquent jusqu’à vingt ans de prison.
L’expression, « Plutôt Hitler que le Front populaire » des années 1930, « s’est transformée, aujourd’hui, en « Plutôt les identitaires que les solidaires », affirme Pinar Selek. Malgré tout, l’intellectuelle, militante féministe et anticapitaliste, reste positive. Dans le sillage des « 7 de Briançon », « d’autres personnes, italiennes, turques, érythréennes, suisses, allemandes et autrichiennes prennent le relais. Les frontières de l’ancien monde s’effondrent. La camisole se découd. On y est presque », pose-t-elle avec détermination.
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[1] Lire ici l’intégralité du texte de Pinar Selek, publié sur Mediapart, à l’occasion de la remise du prix « Alpes ouvertes » aux « 7 de Briançon ».
[2] Claude Braun et Michael Rössler, Un chrétien subversif – Cornelius Koch, l’abbé des réfugiés, Éditions d’en bas, Lausanne, 2013.
[3] Lire à propos des violences policières et de l’atteinte aux droits des personnes à la frontière de Montgenèvre, une enquête de Pierre Isnard-Dupuy et de Rabha Attaf, publiée en novembre 2018 sur Bastamag.
[4] Accéder ici à l’intégralité de la déclaration de Benoît Ducos.
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