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    Municipales en Turquie : récit d’une défaite historique pour Erdogan

    Une première en 25 ans. Ce dimanche 31 mars, les élections municipales turques, qui ont atteint un taux de participation de 83%, ont été marquées par la défaite retentissante du parti islamo-conservateur au pouvoir, l’AKP. Beraat Gokkus, journaliste turc en exil à Paris, analyse pour Guiti News les raisons de ce revers historique.

    Image d’illustration. Le Président turc Recep Tayyip Erdogan à Mexico en 2015. CC : Flickr / Presidencia de la República Mexicana

    « Si tu gagnes Istanbul, tu gagnes la Turquie », résume un dicton politique turc. Et, durant plus de deux décennies, Istanbul était bel et bien la chasse gardée du président Recep Tayyip Erdogan, successivement avec son parti du Bien-Etre (RP), puis avec celui de la Justice et du développement (AKP). Mais, il n’en est plus rien. C’est l’opposition, avec le parti kémaliste du CHP (Républicain du Peuple), et son candidat Ekrem İmamoğlu, qui avec 24 408 voix a vaincu Binali Yıldırım, le candidat de l’AKP. Outre Istanbul, Erdogan perd aussi Ankara, la capitale de la Turquie, et Izmir, la troisième plus grande ville du pays.

    Or ce résultat, l’AKP ne le digère pas. Il signe aussi symboliquement la fin de l’histoire d’amour entre Recep Tayyip Erdogan et Istanbul. Car c’est bien cette ville-monde qui a vu naître politiquement le leader. C’est à Istanbul qu’il arrache sa première victoire politique, en devenant maire en 1994. Avec ce mandat, il réussit à « entrer dans le cœur » des Stambouliotes. Quelques années plus tard, il devient Premier ministre du pays, porté par le parti qu’il a créé avec ses amis, d’anciens islamistes, et désormais nouveaux « démocrates conservateurs », selon leur propre formule.

    Ces élections paraissent ainsi signer le divorce entre le Président turc et sa ville chérie, qu’il n’a eu de cesse d’appeler « mon amour »

    Erdogan VS Erdogan

    Avant d’analyser les raisons de cette défaite historique, revenons sur les forces en présence lors des élections. Après la tentative de putsch en 2016, Erdogan a tenté de mettre en œuvre une unité politique. Il s’est donc associé aux ultra-nationalistes du MHP pour ces élections. Contre eux, dans l’opposition, les Kémalistes du CHP et l’İyi Parti, l’autre parti ultra-nationaliste turc. Memesi le parti pro-kurde et HDP, un parti de gauche, n’ont pas souhaité créer de coalition et n’ont présenté aucun candidat à Istanbul.

    De façon indirecte, le HDP a ainsi apporté son soutien au CHP et à l’İyi Parti. Peu de temps avant le jour des élections, Selahattin Demirtaş, l’ancien leader de HDP, aujourd’hui emprisonné, a en outre publié un message pour appeler ses soutiens à voter. De plus, les électeurs traditionnellement centristes, pas franchement militants, et peu enclins au changement, ont eux aussi voté contre Erdogan.

    Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’Erdogan n’a pas laissé faire campagne les candidats de son parti l’AKP, dans les grandes villes. Il était omniprésent. Et a donc éclipsé le candidat d’İstanbul, Binali Yıldırım, l’ancien Premier ministre de la Turquie. C’est cette méthode de campagne,
    sciemment choisie par le Président turc, qui s’est finalement retournée contre lui.

    Une défaite aux racines économiques…

    Ce revers historique a différentes causes. Et il ne faut pas, à mon sens, aller chercher du côté de quelconques velléités démocratiques, d’une demande de plus grande liberté. Non, ce revers historique s’explique surtout par l’état des finances du pays. La Turquie est en récession. C’est ce qu’affirment de nombreux économistes. Pourtant, Erdogan le réfute. Mais, force est de constater que les prix, eux, ont sensiblement augmenté en 2018. Cela concerne les produits de première nécessité comme les pommes de terre, les tomates, les fromages, les oignons…

    Une récession économique qui s’explique aussi par des événements politiques, et plus précisément par des tensions avec les Etats-Unis. Après une crise diplomatique majeure avec Washington, cristallisée autour de l’affaire Andrew Brunson (du nom du pasteur américain détenu plus d’un an et demi en Turquie ndlr), le dollar américain a, en 2018, gagné une valeur historique, dévaluant ainsi la livre turque. Et, les taux de change ont été sensiblement modifiés.

    Pour justifier ces problèmes économiques, le président turc a toujours eu recours à la même rhétorique : il s’agit d’une opération menée par des ennemis extérieurs pour le déstabiliser lui, et le pays. Cela est un leurre. Depuis son élection, Erdogan a verrouillé l’économie. Il dirige tout. Il a lui- même nommé le Président de Banque Centrale de Turquie, avant de désigner son beau-fils Ministre de l’Economie, puis a perdu la confiance des investisseurs étrangers qui ont pris la fuite.

    Et les initiatives du gouvernement pour tenter de pallier à l’inflation ont non seulement été perçues comme vaines, mais aussi comme cyniques. A l’image de ce marché alimentaire voulu par Erdogan permettant d’acheter des produits de tous les jours à un prix modique. Ce dernier a suscité le mécontentement et la colère tant les files d’attente étaient longues et les produits rationnés. Par exemple, dans ce marché qualifié par Erdogan lui-même de « files d’attente pour la richesse », un citoyen ne peut pas acheter plus de trois kilos de pommes de terre…

    … Et diplomatiques

    Ces élections municipales apparaissent donc comme une sanction assénée au Président Erdogan. Outre la récession, le mécontentement populaire s’est cristallisé autour de la politique extérieure du gouvernement, et particulièrement sur la politique en Syrie.

    La Turquie est en effet le pays qui a accueilli le plus de refugiés dans le monde. Aujourd’hui, près de 3,9 millions de réfugies y vivent, dont une immense majorité de Syriens (95%). Une situation qui ne satisfait pas nombre de citoyens turcs, qui estiment que l’arrivée de réfugiés syriens a considérablement changé la démographie du pays.

    L’Affaire Sainte-Sophie, ou la division par l’exemple

    Je l’ai dit déjà, le Président turc a développé pendant sa campagne électorale une rhétorique très agressive. En renommant par exemple la coalition de ses opposants (« la réunion de la Nation ») « la réunion des inférieurs ». Il a en outre affirmé que cette coalition travaillait avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), une organisation séparatiste militaire, reconnue comme une organisation terroriste par l’Union européenne et les Etats Unis.

    Erdogan martèle à longueur d’élections ces discours de haine pour polariser la société turque. Force est de constater que cette fois cela n’a pas fonctionné. Et l’Affaire qui a entouré la fameuse basilique Sainte-Sophie à Istanbul en est une parfaite illustration. Le Président turc a fait savoir qu’il voulait changer son nom pour qu’on la désigne désormais « mosquée de Sainte-Sophie », en garantissant la gratuité de l’entrée. Convertir le musée Sainte-Sophie en mosquée est le vieux rêve de tous les islamistes en Turquie depuis les années 1930. Cette obsession pour Sainte-Sophie montre bien que pour gagner les élections, les candidats doivent proposer des projets qui intéressent l’ensemble des Stambouliotes, et non une mince partie de la population.

    Ces élections municipales résonnent donc comme un espoir. Malgré les inflexions autoritaires du gouvernement, les valeurs républicaines, ne restent pas lettre morte. Les citoyens turcs, en se rendant aux urnes, ont envoyé un message fort au Président. Un élan qui doit survivre à 2023, et à la potentielle nouvelle candidature d’Erdogan à la tête du pays.

    Image d’illustration. Le Président turc Recep Tayyip Erdogan à Mexico en 2015. CC : Flickr / Presidencia de la República Mexicana

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