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    Turquie : no country for Syrians

    Au moins 3,5 millions de Syriens vivent sur le territoire turc. Problème ? Les autorités ne leur reconnaissent pas le statut de réfugié. Depuis trois semaines, les déportations ne cessent de se multiplier. Beraat Gökkus, journaliste turc en exil à Paris, revient pour Guiti News sur l'instauration d'un climat de haine anti-syriens, sur la mécanique du "bouc-émissaire" et sur les départs "volontaires" vers la Syrie.


    « Hébergez-les chez vous dans ce cas! », commente un certain Ergun Y.

    « Il faut tous les renvoyer chez eux« , argumente Özer A.

    « Les personnes qui se disent gênées par la situation n’ont qu’à les accueillir chez eux« , renchérit Ruslan B.

    Voici un florilège de commentaires lus sous une interview d’Amjad Tablieh, un Syrien déporté par la Turquie il y a quelques jours. D’après cette interview de Rabia Çetin pour Euronews, Amjad, 18 ans, qui a oublié sa carte d’identité chez lui, s’est vu expulsé de la Turquie vers El Nusra, un groupe jihadiste du Nord de la Syrie. Suite à la publication de cet entretien, la Turquie a reconnu qu’il y avait eu méprise et le jeune Amjad Tablieh a pu regagner la Turquie.

    Cette haine qui prolifère à l’encontre des Syriens sur les réseaux sociaux est loin d’être isolée. On ne peut qu’être frappé par l’expansion et l’acceptation de ces discours de haine sur l’ensemble du territoire turc, et même au sein de la profession journalistique.

    « On ne veut pas de Syriens (chez nous) » (suriyelileriistemiyorouz) en première place des recherches twitter en Turquie le 27 juillet dernier.

    Ce samedi 27 juillet, alors que des associations de protection des droits de l’homme organisaient une manifestation pacifique à Istanbul en soutien aux Syriens, un groupe de nationalistes s’est infiltré pour les attaquer.

    Le président populiste turc, Recep Tayyip Erdogan, qui a récemment subi le plus gros revers politique de sa carrière est tout à fait conscient de cette colère du peuple, et n’hésite pas à l’instrumentaliser. « Concernant la question des réfugiés, alors que nous avons pris notre part de responsabilité, l’Europe n’a, elle, pas tenu ses promesses« , martelait ainsi l’ancien homme fort d’Istanbul il y a encore quelques jours.

    L’accord conclu le 18 mars 2016 entre la Turquie et l’Europe, prévoit qu’Erdogan ne renvoie pas les Syriens ou d’autres migrants en direction de l’Europe. En échange, le vieux continent s’était engagé à débourser six milliards d’euros.

    Un rappel du président turc, qui intervient trois jours après la déclaration ostensiblement anti-migrants de son ministre de l’Intérieur Süleyman Soylu: « L’année dernière, nous avons déporté au total 56 000 clandestins. Cette année, nous allons en moyenne en déporter 80 000, soit 40 à 50 % de plus qu’en 2018. Nous devons faire ces déportations. » La Préfecture stambouliote a surenchéri en déclarant que les Syriens n’étant pas enregistrés à Istanbul, allaient être redirigés vers les villes où ils ont initialement été enregistrés. Quant aux nouveaux arrivants, Istanbul leur est définitivement exclue, même quand ils sont censés bénéficier d’une protection de la Turquie.

    En Turquie, plus de 3,5 millions de Syriens, mais aucun n’est réfugié

    De toute évidence, la Turquie a abandonné il y a un moment déjà sa politique de « porte ouverte » à destination des syriens. Certes, depuis le début de la guerre civile, elle reste le pays qui a accueilli le plus de ressortissants syriens : au moins 3.5 millions d’entre eux se trouvent désormais sur son sol. Seulement, les syriens ne sont pas considérés par la Turquie comme réfugiés ou demandeurs d’asile, mais seulement comme « invités », ou bénéficiaires d’une « protection temporaire ». Ainsi, il est tout à fait faux d’affirmer que dans le monde, la Turquie est la nation qui accueille le plus de réfugiés syriens, puisqu’ils ne sont pas considérés comme tels.

    La Turquie est bel et bien signataire de la Convention de Genève de 1951, mais avec une particularité. En acceptant cet accord, la Turquie a également exigé une délimitation géographique : ne sont considérés comme réfugiés que les ressortissants d’un pays membre de l’Union européenne…

    Fake news, crise économique, les prétextes à la non-intégration des Syriens

    Comment expliquer, outre cette question administrative, ce déferlement de haine contre les syriens ? Il faut d’abord regarder du côté de l’économie. En temps de crise, la figure du « bouc-émissaire » a bon dos. Elle est responsable des malheurs de notre société. C’est la faute de « l’autre », de « l’étranger ». Des migrants. C’est le cas en Europe, aux Etats-Unis, et Ankara ne déroge pas à cette règle.

    Une seconde explication est à chercher du côté de la prolifération de « fake news » sur les réseaux sociaux. D’après celles-ci, les Syriens bénéficieraient de nombreux avantages en termes de santé et d’éducation. Des avantages bien entendus interdits aux Turcs.

    L’humiliation en Turquie ou la mort en Syrie

    La politique syrienne de la Turquie explique aussi cette monomanie. Le parie du président turc, l’AKP, a largement sous-estimé la durée de la guerre civile, gageant que la chute de Bachar-el-Assad était imminente, et que les Syriens rentreraient dans leur pays. Cela ne s’est pas passé ainsi. La guerre perdure.

    Selon l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme, au moins 750 civils sont morts sous les bombardements russes et syriens depuis la fin du mois d’avril. Parmi eux, 190 enfants. Les Nations Unies estiment ainsi que depuis cette date environ 400 000 personnes ont été déplacées.

    Il semblerait désormais que la Turquie tente de renvoyer les Syriens à Damas. D’après un article publié par le Guardian le 29 juillet, le Liban s’est joint à la Turquie pour ofrcer des ressortissants syriens à signer des papiers faisant état d’un retour « volontaire » en Syrie.

    Un article qui vient corroborer ce qu’un ami photographe de guerre syrien, résidant en Turquie, m’expliquait récemment. « Depuis trois semaines, 10 000 Syriens ont été déportés. Ce n’est pas juste à Istanbul. Ça se passe partout. Même quand tu as des papiers en règle, ils s’en fichent. »

    Cet ami possède un statut de réfugié en France. Son épouse, elle, ne parvient pas à obtenir de visa pour venir à Paris. Depuis trois ans, il reste donc en Turquie à ses côtés. Seulement, il n’est pas enregistré. Si la police turque l’attrape, il sera forcément déporté. Mais, cet ami, autrefois tombé amoureux de la Turquie, me répète désormais: « Au lieu d’être humilié en Turquie, je préfère mourir à Idlib.« 

    Illustration à la Une : Le 27 juillet, une manifestation pacifique pour dénoncer les déportations des Syriens a été perturbée par l’infiltration d’un groupe de nationalistes. Crédit: Rabia Çetin

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