Politiques migratoires : ce que peuvent changer ou non les législatives
Si la majorité présidentielle Ensemble et la coalition de gauche la Nupes sortent en tête du premier tour des législatives (avec respectivement 25,8% et 25,7% des suffrages), c'est bien l'abstention qui continue à marquer des points (52,5 % des inscrits sur les listes électorales ne se sont pas déplacés). Soit autant de votes qui pourraient s'avérer utiles à l’opposition pour influer sur le parti présidentiel, et notamment en termes de politiques migratoires. Examen des scénarios possibles avec Catherine Wihtol de Wenden, politologue et directrice de recherche au Cnrs (Centre national de la recherche scientifique).
Guiti News : Trois forces politiques se sont démarquées lors du premier tour des élections législatives : Ensemble (LREM, MoDem, Horizons, Agir), la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale : EELV, LFI, PS, PCF) et le Rassemblement national. Selon vous, sur la base des différentes résolutions que chacune porte en termes de politique migratoire, en quoi le second tour de dimanche peut-il influencer le traitement des exilés en France ?
Catherine Wihtol de Wenden : Ça dépendra du parti qui sortira majoritaire des élections. Emmanuel Macron (Ensemble) parle peu d’immigration dans ses résolutions : il n’a jamais vraiment fait campagne dessus. L’essentiel de son programme serait d’adopter le Pacte européen de l’asile et l’immigration, qui est en débat depuis 2020, faute de consensus des pays de l’Union Européenne (UE), comme la Hongrie et la Pologne. L’accent de ce pacte est surtout sécuritaire : le programme portant sur la gestion de l’asile, davantage que sur celle de l’immigration. Il s’agit d’activer les politiques d’accord de réadmission avec les pays de départs ou de transit, ainsi que les politiques de retour, et en parallèle de renforcer Frontex dans le contrôle des frontières extérieures à l’UE.
Emmanuel Macron souhaite une gestion européenne de l’asile. Pour l’instant, point de nouveauté en la matière. Hormis avec la question ukrainienne qui a absorbé le débat et où on a vu une hospitalité se mettre en place, notamment venant des pays voisins.
Si la Nupes est bien représentée, cela aura une incidence sur les politiques actuelles. Jean-Luc Mélenchon disant par exemple vouloir mettre fin aux accords du Touquet (2003) conclus entre le Royaume-Uni et Nicolas Sarkozy – à l’époque, ministre de l’Intérieur. Ce sont ces accords qui assurent le contrôle des départs vers l’Angleterre par la France.
Pour l’instant, rien n’est fait. Mais, Mélenchon a annoncé que, puisque Londres a quitté l’UE, il enverrait vers les côtes anglaises les personnes situées aux abords de Calais pour aller vers le Royaume-Uni. Soit un plan assez radical, abondant dans le sens de ce que demandent les associations présentes dans la région.
Autre idée de la Nupes : accorder le droit de vote local aux étrangers non-communautaires, c’est-à-dire non-européens. 15 pays sur 27 ont déjà accordé ce droit de vote. Dans certaines communes, ils sont nombreux et s’ils ne s’expriment pas, la légitimité des élus en devient fragile. Si cette mesure était prise, les discours racistes et xénophobes auraient ainsi moins leur place en politique, puisqu’une partie des électeurs viendraient de l’étranger. Cette disposition fait partie du programme de la gauche depuis longtemps et constituerait en ce sens aussi une innovation. Pour le reste, ce serait une politique de régularisation beaucoup plus rapide des sans-papiers.
Enfin, si c’est le Rassemblement national qui possède une majorité conséquente, viendrait la réforme du droit de la nationalité. On reviendrait au droit du sang, qui est celui d’avant 1890. On serait dans une grande régression pour empêcher l’acquisition de la nationalité par le droit du sol, de la résidence. Dans le même temps, beaucoup de pays européens ont modifié leur droit de la nationalité pour mettre plus de droit du sol dans leur droit du sang initial. Cela constituerait ainsi une régression par rapport à nos voisins.
Marine Le Pen a également promu la mise en place d’une politique de reconduction à la frontière et de retours. Bref, de plus grande fermeture. Même si cela est difficile à mettre en œuvre, il s’agirait là d’une politique extrêmement répressive et dissuasive.
Quel est alors, d’après vous, le scénario le plus plausible pour la future Assemblée nationale ?
Je pense que le parti majoritaire va être renforcé pour ce deuxième tour : une partie des voix de la droite ne votant pas Le Pen peuvent voter pour lui. L’on peut aisément imaginer une remobilisation avec les quelques réserves de voix de la droite dite « modérée », qui vote habituellement LR. De son côté, la gauche sera sans doute très active sur tous les terrains, et ce peu importe les résultats des législatives.
La politique qui risque d’être mise en place reste le pacte européen sur l’immigration et l’asile, qui traîne depuis deux ans.
Pour le reste, va-t-on renégocier les accords du Touquet ? Ce n’est pas envisagé pour l’instant, même si ces accords sont dommageables pour la France. Il n’y aura sans doute pas de réforme de la nationalité non plus, sauf si le RN est très fort. Enfin, dans l’état actuel des choses, je ne crois pas trop non plus à la mise en place du droit de vote local pour les étrangers non-communautaires.
La Nupes était au coude-à-coude avec Ensemble pour le premier tour. Si une majorité de gauche semble compliquée à atteindre, peut-elle toutefois jouer un rôle d’opposition en bloquant les décisions du parti d’Emmanuel Macron ?
Certes, la Nupes a fait un bon score et la gauche a réussi à s’unir (une première depuis 1997 NDLR). Si l’on peut considérer qu’elle constitue le principal concurrent du parti de la majorité, elle ne bénéficie pas de beaucoup de réserves de voix pour le deuxième tour. Elle n’aura pas nombre d’électeurs supplémentaires, sauf sursaut d’abstentionnistes. C’est là, la seule hypothèse à imaginer qui permettrait à la gauche d’avoir plus de puissance.
Le parti de la majorité se retrouverait-il en difficulté pour mener sa politique d’immigration sans majorité absolue ?
Pas forcément. Malheureusement, il n’existe pas actuellement de forte mobilisation sur les questions migratoires. Les préoccupations se situent plutôt sur le pouvoir d’achat.
En réalité, nous n’avons pas assisté à une campagne pour les législatives. Et dans cette moindre médiatisation, il n’a pas été question d’immigration, même pour Marine Le Pen, qui a bel et bien gagné sur des thématiques de pouvoir d’achat. Depuis qu’Eric Zemmour a disparu, on ne surfe plus sur cette utilisation du mythe du grand remplacement.
Quant au pacte, la décision est européenne. Toutefois, Emmanuel Macron risque d’en faire son étendard, en arguant être parvenu à faire passer ce pacte en attente depuis deux ans.
Vous parlez d’une campagne presque inexistante pour les législatives, mais on peut aussi parler de la forte abstention qui n’aide pas à médiatiser les différentes propositions en termes de politique migratoire. Qu’en pensez-vous ?
Il existe effectivement une grande vague de dépolitisation, de lassitude vis-à-vis des systèmes parlementaires. C’est la réflexion abstentionniste de se dire « ce n’est pas pour nous ».
Winston Churchill disait que « la démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes ». Les personnes ont d’autres soucis plus essentiels, comme la crise environnementale ou encore la guerre en Ukraine. Nous ne sommes pas à l’abri des pandémies et des guerres. Et, les citoyens ne font pas nécessairement le lien entre leur vote et le possible impact sur ces événements. Ils ont marre de l’idéologie politique, de l’utopie et préfèrent ainsi parfois se réfugier même dans le religieux ou des croyances comme la collapsologie par exemple.
Croyez-vous ainsi que ce ras-le-bol ait un effet de l’opinion vis-à-vis de la politique migratoire ?
Cela peut être encourageant : les personnes ne souhaitent pas forcément plus de fermeté, et font le constat du manque de main-d’œuvre ou encore du vieillissement de la population. Nombre de citoyens peu politisés ont décidé d’accueillir des ukrainiens, n’agissant pas ainsi sur des questions idéologiques mais sur des convictions éthiques.
On n’a plus besoin de passer par le politique pour agir. L’État n’est pas nécessairement le premier acteur dans cette solidarité-là. Il se repose sur les collectivités, comme l’Anvita (Association nationale des villes et territoires accueillants), des collectifs citoyens, des associations militantes, de simples individus etc.
Il faudrait avant tout qu’il y ait un lien entre ces élus et la population des associations, ce qui n’est pas toujours le cas. Souvent, c’est d’un côté les élus qui décident et qui votent, et de l’autre les acteurs de terrain. Là se situe le problème.
Pour avoir un réel impact sur les élus, il faudrait mettre en place des mobilisations d’ampleur pour la régularisation des sans-papiers ou pour les personnes qui vivent dans la rue, par exemple. Je pense qu’on n’en est pas encore là.
Photographie à la Une : Arnaud Jaegers via Unsplash / Portrait de Catherine Wihtol de Wenden : SciencesPo
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