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  • À la loupe

    Modèle associatif et son développement à l’ère du néolibéralisme

    Mise au travail au nom des valeurs, travail invisible, ou encore la place de l'État dans le monde associatif, ce livre analyse, par le biais de travaux français et internationaux, les transformations que le néolibéralisme vient faire peser sur le travail associatif. Entretien avec Maud Simonet et Matthieu Hély, coordinateurs de cet ouvrage collectif.

    Pourriez-vous nous raconter la genèse de ce livre ? Avant d’aller petit à petit vers les idées centrales ?

    Maud Simonet : Je crois qu’un point de départ de cet ouvrage, c’était de poser la question du rapport entre les associations et l’État dans la configuration précédente du capitalisme. Par exemple, on pose les questions de délégation : est-ce que les associations remplacent l’État ? Ou est-ce que les associations se substituent à l’Etat ? Toutes ces questions là, sont souvent abordées avec une conception de l’État qui est en faite un État qui serait un État social : l’État providence, l’État des Trente Glorieuses, c’est-à-dire celui qui met en place des politiques publiques, qui délègue au monde associatif. Or en vérité, nous savons par nos travaux, mais aussi par beaucoup d’autres travaux que nous lisons et suivons depuis un moment, qu’aujourd’hui nous ne sommes plus dans cette configuration-là. Nous sommes dans une configuration néolibérale avec un capitalisme qui a effectivement une manière particulière de s’affirmer, de mettre au travail. 

    Cela nous semblait important – et nous le disons dans l’introduction d’historiciser un peu la question associative. C’est-à-dire : « Et si nous pensions la place et le rôle des associations aujourd’hui, dans ce capitalisme néolibéral-làComment est-ce que le monde associatif est traité et participe à ce fonctionnement ? Qu’est ce que cela fait de se développer dans ce monde néolibéral là ? » Et nous avions tous les deux connaissance de nombreux travaux qui abordent ces questions là et qu’on avait envie de diffuser, de faire connaître, de traduire aussi !

    Fondés en 1985 par Coluche, les Restos du Coeur compte 73 000 bénévoles réguliers. Capture site web www.restosducoeur.org

    Le monde associatif est-il toujours perçu comme un contre-pouvoir dans ce cas-là ? 

    Matthieu Hély : Si nous insistons autant sur ce passage à l’État néolibéral, c’est en partie pour dire que ce n’est pas un État qui n’intervient pas, qui se serait retiré du soutien au monde associatif. C’est tout le contraire en fait ! Le soutien aux associations n’a sans doute jamais été aussi important ! Cela peut sembler contre-intuitif. C’est l’idée qu’il n’y a pas de désengagement de l’État, mais au contraire un réengagement de l’État sous d’autres formes, notamment sur le soutien via des politiques de structuration du monde associatif qui en changent un peu la nature.

    Maud Simonet : Il faut voir aussi ce que le monde associatif fait au capitalisme néolibéral, et dans les transformations du capitalisme aujourd’hui il y aussi ce discours autour du fait que le capitalisme serait la meilleure manière de régler les problèmes sociaux, économiques. Que l’État a fait son temps et que les entreprises, la recherche du profit, ne sont pas incompatibles avec l’amélioration du bien-être social. Tout ce qu’on a appelé le caring capitalisme. L’idée que les entreprises et le capitalisme seraient la meilleure manière de régler aujourd’hui les problèmes sociaux. Et dans ce discours et dans ces politiques capitalistes aujourd’hui, le monde associatif apparaît comme l’exemple, la face parfaite, la face civique, la face humaniste, de ce que pourrait être le capitalisme aujourd’hui. Donc il y a aussi une mobilisation en faveur du monde associatif par les entreprises, que l’on retrouve dans l’étude de Itamar Y. Shachar présente dans le livre, sur une association internationale qui est portée par une entreprise transnationale. 

    Il y aussi un intérêt au néolibéralisme à mettre en avant les valeurs associatives, le travail associatif, les organisations associatives, qui viennent et rendent parfois plus difficile cette dimension du contrepouvoir que l’on a longtemps pensé. Avec tout ce que ce capitalisme néolibéral fait au travail aussi à l’intérieur des associations comme l’évoquait Matthieu, de précarisation, de déformation des statuts. On en arrive à une difficulté aujourd’hui pour le monde associatif dans cette place de contre-pouvoir, qu’on lui a de manière assez évidente attribuée même si elle peut être plus difficile à jouer aujourd’hui.

    Pourriez-vous entrer dans le détail de ce que font ces pratiques aux associations ? Des exemples afin d’illustrer ?

    Maud Simonet : Je vais prendre l’exemple du travail de Caroline Cardoso « Maintenir le cap féministe face aux transformations du monde associatif » et la manière dont elle met en lumière tout ce travail de recherche de fonds qui est aujourd’hui indispensable. Un travail invisible qui n’est absolument pas pris en compte, et qui est en même temps un travail de visibilité. Il faut se montrer, il faut se faire voir. Il y aussi tout un travail relationnel qu’il faut faire, et où il faut parler de son association. Il faut aller à des évènements ! Il faut se donner presque un peu en spectacle. Et ce n’est pas facile d’assumer tout ce travail là pour une partie des militantes salariées, pour qui ce n’est pas le cœur du travail pour lequel elles ont signées. 

    16ème séminaire francophone de la collecte de fonds. Capture site web www.carenews.com

    C’est un travail indispensable, invisible, qui n’est pas rémunéré en tant que tel, et pas forcément pensé en tant que tel ! Et qui doit être pris en charge, qui n’est pas facile et qui finalement, est assez inégalitaire dans les compétences qu’il exige. Je pense que c’est pour moi une très belle analyse du travail, par la matérialité du travail justement ! Et en même temps, c’est un beau travail sur les transformations que la néolibéralisation vient faire peser sur le travail associatif.

    Matthieu Hely : Et j’ajouterai bien que ce travail un peu mondain, de relation avec les pouvoirs publics, et qui est très bien décrit dans le texte, pose aussi l’enjeu de comment les associations font pour maintenir leur autonomie politique. De ne pas être trop dépendant aussi de ces institutions.

    Vous dites dans l’ouvrage, que si le monde associatif souhaite incarner ce contre-pouvoir, il doit se réapproprier le travail. Vous dites exactement : « il faut politiser le travail, dans toute sa matérialité et toute sa conflictualité. » Qu’est ce que vous entendez par là ?

    Maud Simonet : Je pense que ce qu’on a voulu souligner là, ce sont deux enjeux, que l’on articule tous les deux dans nos travaux depuis un moment et puis dans nos discussions. C’est la dimension des conditions de travail dans le monde associatif. Que ce soit des salariés associatifs : ces gens avec l’éthos du public, les valeurs, les missions tâches dans des conditions de travail qui sont celles du privé, et pas forcément les plus enviables du secteur privé. Ou encore sur les enjeux du travail bénévole, du travail gratuit, des formes de sous-emploi, des statuts hybrides. On a montré toutes ces espèces de zones grises qui se construisent, au nom de valeurs et de l’engagement associatif. Alors que l’on est sur des formes de travail qui sont un peu en dehors du droit du travail, pas complètement rémunérées, avec certains droits sociaux mais pas tous. 

    On a beaucoup documenté ensuite les enjeux des conditions de travail dans le secteur associatif, et la manière dont finalement le monde associatif, avec les meilleures intentions du monde parfois, peut vraiment être, le cheval de Troie, ou en tout cas l’autoroute de la néolibéralisation du travail. Cela a été a minima le laboratoire d’expérimentation de toute une série de statuts dérogatoires au droit du travail : des emplois aidés au service civique au contrat d’engagement éducatif. Et donc, évidemment, si le monde associatif continue de participer pleinement à cette néolibéralisation du travail, cela pose des questions ! Jusqu’où accepte-t-on d’être le prestataire, l’exécutant ou le délégataire de ces politiques publiques ? La dissolution de l’association Genepi est un exemple assez intéressant d’une association qui, à un moment donné, dans son texte de dissolution, dit : on ne veut plus se faire les relais de la politique carcérale telle qu’elle est mise en place aujourd’hui par l’État. Donc on supprime. Tout simplement on se dissout. 

    Le Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées (Genepi) a accompagné pendant plus de quarante ans de nombreux détenus Capture site web Genepi

    Pour nous, ce sont toutes ces dimensions du travail associatif que le monde associatif doit penser, se réapproprier, pour sortir des contradictions, des formes d’instrumentalisation et des complicités dans lesquelles le monde associatif peut être pris, ou dans la manière dont il peut, malgré lui, prendre parfois des formes de déni de travail et qui pose peut-être plus de questions quand elles sont faites sous couvert de l’engagement et du militantisme associatif. Donc repenser la question du travail, et ne plus se penser uniquement comme un monde de l’engagement, des valeurs, de la citoyenneté… parce que cette question du travail revient par la fenêtre, derrière, et qu’il y a tout intérêt à ne pas en faire un déni et à se la réapproprier.

    Entretien réalisé par Aniss Ould Rabah, en collaboration avec Matthieu Albouy, chargé d’études en sociologie pour une association.

    • Maud Simonet est directrice de recherches en sociologie au CNRS.
    • Matthieu Hély est professeur de sociologie à l’université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines.
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