Plus de 500 personnes à la rue suite au démantèlement violent du campement de Saint-Denis
Ce 17 novembre, au petit matin, les forces de l’ordre sont entrées dans le campement d’exilé.e.s de Saint-Denis, situé aux portes de Paris, afin d’évacuer les quelques 2.400 personnes de différentes nationalités s’y trouvant depuis plus de trois mois. Une vaste opération qui a laissé sur le carreau plus de 500 personnes. Des personnes exilées se sont ainsi retrouvées à la rue, chassées par les forces de l’ordre et délogées de tous les lieux, où elles avaient tenté de s'abriter. L’installation temporaire de tentes place de la République pour alerter sur la situation, lundi 23 au soir, s’est soldée par une violente intervention policière. Des personnes exilées ont été frappées puis poursuivies dans la capitale et au moins deux journalistes ont été empêchés de faire leur travail et violentés.
« On était contents quand on nous a dit que le gouvernement allait nous mettre à l’abri »
Muhammed, 30 ans, arrivé sur le campement en août dernier, n’a toujours pas obtenu de rendez-vous à la préfecture pour sa demande d’asile. Ce jeune somalien a traversé la Méditerranée, depuis le Maroc jusqu’à l’Espagne, pour finalement franchir la frontière française et arriver à Paris à pied. « Je suis parti de Somalie vers le Tchad à pied. Après, j’ai pris l’avion pour le Maroc. Là-bas, j’ai été interpellé par la police et frappé de façon très violente. J’ai passé un an à l’hôpital. Ensuite, j’ai rejoint l’Europe », témoigne-t-il.
A la veille de l’évacuation, Muhammed nous dit son soulagement. Au moins, il ne va plus dormir dans la rue. « Finalement, on était contents quand on nous a dit que le gouvernement allait nous mettre à l’abri », confie-t-il.
Dans une ambiance de fin du monde, après plus de douze semaines à vivre sous des tentes dans des conditions indignes, certaines personnes exilées ont mis le feu à leur ancien habitat, dans l’attente des 50 bus supposés les emmener vers 40 structures d’accueil différentes.
Des personnes venues la veille de l’évacuation pour espérer obtenir un logement temporaire
Avec la nouvelle de l’évacuation du campement, la place de l’écluse est devenue la destination de nombreuses femmes en recherche d’opportunités pour obtenir un hébergement. C’est le cas de Rama, 40 ans, venue la veille de l’évacuation. « Je travaille en Ile-de-France, je n’ai pas d’hébergement. J’ai fait mes valises dès que j’ai été informée de l’évacuation », a-t-elle indiqué. Mère d’un bébé de moins d’un an, elle s’est installée dans une tente pour la nuit avec d’autres femmes qui ont à peu près la même situation et cherchent un logement à tout prix.
Ghafur, un afghan d’une quarantaine d’années, vivait à Clermont-Ferrand jusqu’à très récemment. « Je suis dans le campement depuis une semaine. J’ai décidé de venir, afin de trouver une solution d’hébergement. Je viens de perdre mon travail, ce qui a conduit à la perte de mon logement », nous a-t-il dit.
Humiliations et incompréhension
Ce mardi 17 novembre donc, dès 5 heures du matin, la police a entièrement ceinturé le camp. Les routes ont été fermées, l’accès aux quais également. Les équipes de nettoyage des sanitaires se sont mises à travailler dès 6 heures du matin, entravant l’accès aux personnes sur place.
Nous avons rencontré un groupe de femmes somaliennes. Elles nous ont expliqué le danger de vivre dans ce campement en tant que femmes : « Moi pas (pouvoir faire, ndlr) pipi. Moi, malade toute la nuit. Parce que si je vais aux toilettes, ils m’attrapent », nous raconte l’une d’elles en parlant des hommes présents sur le camp.
Souffrante, elle nous supplie de demander aux policiers de la laisser passer pour accéder aux toilettes des femmes, situées derrière le cordon de sécurité. Ils refusent catégoriquement : « c’est les ordres », pour lui suggérer d’utiliser les toilettes des hommes qui la terrorisent. Elle finit donc par faire ses besoins à côté de sa tente et des forces de l’ordre.
Les difficultés sont nombreuses pour ces femmes sur un campement constitué en immense majorité d’hommes. Souvent, elles doivent s’en remettre à la protection d’un autre homme – leur mari généralement – pour se déplacer, accéder aux points d’eau, aux toilettes ou aux distributions alimentaires. Conscientes de cette problématique, les associations d’aide aux personnes qui interviennent sur le camp se frayent un chemin jusqu’à leurs tentes pour leur apporter directement leur repas.
« Il est 8h30, les familles n’ont toujours pas été évacuées »
En principe, lors d’une évacuation, les familles et les femmes seules sont prioritaires. Il est déjà 8h30 ce matin-là, quand nous échangeons avec Marin Marx-Grandeboeuf, co-fondateur de Watizat – un guide pratique d’information destiné aux personnes exilées, traduit en anglais, arabe, pachto et dari. Présent sur le campement depuis le début de l’évacuation, il exprime sa colère et son incompréhension :
« Normalement, les évacs sont toujours organisées en coopération avec l’UASA (Unité d’assistance aux sans-abris, ndlr), la Mairie, tout ça. Et là, c’est la première évacuation où c’est uniquement la police qui coordonne. L’organisation, c’est une horreur. La police dit aux familles d’aller à droite et puis à gauche. Il y a des espèces de goulots d’étranglement qui créent des blocages. C’est l’angoisse. On passe une petite strate à chaque évac’. Ca fait déjà plusieurs fois que c’est encore plus dur en termes d’organisation, avec des personnes qui sont bousculées dans tous les sens. Celles qui ont des rendez-vous, on leur répond : ‘vous ne pouvez pas sortir, vous pouvez ne pas rentrer’. Il est 8h30 et les familles n’ont toujours pas été évacuées », fulmine-t-il.
Et si les choses prennent autant de temps, c’est aussi en raison de la menace terroriste. Toutes les personnes montant dans les bus, enfants compris, sont fouillées par la police.
Violences et destruction du matériel
Manque d’organisation et de communication envers les personnes patientant dans le froid – et sans nourriture – depuis des heures, incompréhension sur la marche à suivre : cette attente prolongée finit par provoquer des tensions importantes.
Le nombre de places disponibles en hébergement temporaire a été sous-estimé, et tout le monde ne sera pas pris en charge. Pour disperser les personnes sur place, la police se met à asperger les personnes qui attendent avec du gaz lacrymogène « la violence verbale et physique de la police est sans nom, j’ai vu un papa avec son bébé sur les épaules se faire gazer à bout portant. Je ne me remets pas de ça », poursuit Marin.
Une significative montée de l’engagement de la société civile
Rarement une opération d’évacuation avait mobilisé autant d’associations. Plus de 200 bénévoles appartenant à différentes structures évoluaient sur le camp. A l’instar d’Utopia56, qui s’est organisée pour pouvoir récupérer le matériel et le laver. Ses membres, présents dès 4 heures du matin, organisent des tutos pour expliquer comment plier une tente deux secondes, rassemblent les couvertures et tout le matériel qui peut être sauvé afin de le transporter plus tard dans les voitures des bénévoles.
C’est sans compter sur la décision de la sous-préfète de Saint-Denis, Anne-Coste de Champeron, de détruire l’ensemble du matériel soigneusement, plié, rangé, organisé pendant des heures.
Avec le confinement, les associations ont constaté une montée de la mobilisation de la société civile.
C’est le cas de Hugo, 29 ans. Saint-Denis, c’est sa première évacuation. Ingénieur, il a rejoint le collectif les maraudeurs en janvier 2020 : « Ça faisait longtemps que j’avais envie de m’engager. J’ai vu un mec qui a posté un message sur twitter, et je me suis dit c’est parti. Maintenant, j’y vais une fois par semaine, j’aime bien les trucs qui se répètent ! ».
Son but du jour est non seulement de récupérer le matériel que le collectif a distribué ces derniers mois, mais surtout d’«essayer que tout se passe bien entre les exilés et la police ».
De son côté Katarina, une étudiante allemande en échange à Sciences Po, a décidé de s’engager en voyant l’hiver arriver et les déplorables conditions d’hygiène du campement. Une fois par semaine, elle se rend sur place avec Titouan, également membre de Sciences Po Refugee Help : « on distribue du matériel, des vêtements chauds, des tentes quand on en a, mais c’est rare ! Et on vient aussi donner des infos. Des équipes fournissent des conseils juridiques auprès des migrants ».
Pour certain.e.s c’est devenu une occupation à plein temps. A l’instar de Rabiha, 44 ans, agente à la RATP. Elle travaille en horaires décalés, dort très peu et se consacre sur son temps libre à trois associations. Elle reconnaît : « Je me suis un peu trop investie, je prépare des repas et viens les distribuer aux familles les matins et l’après-midi. On essaye d’aider au mieux possible. Je travaille avec d’autres associations auprès de personnes qui ne savent ni lire, ni écrire.”
« Une montée de l’engagement qui ne fait que mettre en avant l’absence de l’Etat et son incapacité à mettre en place des dispositifs justes et protecteurs de la dignité humaine », s’insurge un responsable associatif.
Retour à la rue pour plus de 500 personnes exilées
Une semaine après le démantèlement du campement, quelque 1 700 personnes ont pu être hébergées dans plus de 40 lieux différents. Là encore, elles se retrouvent dans des conditions éprouvantes. À Porte de la Villette, où 200 personnes sont accueillies dans un centre Coallia, impossible de dormir pendant plusieurs nuits : il fait trop froid et les gestionnaires refusent d’allumer le chauffage. Du côté de la caserne de Versailles, les bénévoles ont reçu plusieurs plaintes leur signalant qu’il était interdit aux personnes de sortir sans justificatif de type rendez-vous médical. Des vidéos que nous avons pu consulter montrent également l’état déplorable des sanitaires.
Dans un rapport paru fin octobre, le Secours catholique, Utopia 56 et Action contre la faim, estiment que suite aux opérations de démantèlement des campements en région parisienne « 45 % des personnes qui ont eu accès à un hébergement en ont bénéficié pendant moins d’un mois ».
Reste que, sur l’entièreté du campement, ce sont plus de 500 personnes qui sont désormais à la rue. Les lieux prévus pour les accueillir manquent encore de place. « L’Etat semble avoir sous-estimé les besoins et les remet dans une situation de précarité encore plus importante, puisqu’ils n’ont plus de tentes, ni de quoi se protéger du froid, toutes leurs affaires ayant été jetées ou brûlées », renchérit un autre responsable associatif.
La violence est poussée plus loin puisque la police les empêche de s’installer à un autre endroit. Comme le montrent les vidéos tournées par Brut la semaine dernière, la situation est extrêmement préoccupante pour ces personnes qui doivent errer dans les rues, particulièrement à l’approche de l’hiver. Ils tentent de se cacher dans les parcs, dans les squares, à n’importe quel endroit qui leur permette d’être à l’abri de la police et de pouvoir dormir quelques heures.
Lundi 23 novembre au soir, sur la symbolique place de la République, en plein cœur de Paris, près de 500 personnes exilées accompagnées d’associations et d’avocats ont installé des tentes, afin d’alerter sur la situation. Mais aussi d’exiger du gouvernement 1000 places d’hébergement supplémentaires en urgence. Les forces de l’ordre sont rapidement intervenues pour évacuer la place et saisir les tentes, avant de disperser personnes exilées, bénévoles et journalistes dans une violence inouïe. S’en sont suivies des heures de poursuite dans Paris jusque tard dans la nuit pour chasser les exilés en dehors de la capitale.
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