[Cinéma] : « Aya », quand la montée des eaux force au déracinement
Après un master en réalisation cinématographique à Bruxelles, Simon Coulibaly-Gillard parcourt l’Afrique de l’Ouest dès 2007 caméra au poing, du Sénégal au Bénin. Il y tourne trois courts-métrages : « Anima » (2013), « Yaar » (2014), primé au Festival dei Popoli à Florence, puis « Boli Bana » (2017). En 2021, son premier long-métrage « Aya » est présenté en clôture de la sélection ACID au Festival de Cannes. Cette fiction aux allures de documentaire suit Aya, jeune adolescente ivoirienne attachée à sa terre et à son mode de vie malgré leurs lentes disparitions dues à la montée des eaux.
Après avoir réalisé une trilogie documentaire sur les cosmogonies, les relations sensibles et poétiques entre un peuple et sa terre en Afrique de l’Ouest, Simon Coulibaly-Gillard nous offre un premier long-métrage de fiction empruntant aux dispositifs du documentaire.
Le paradis de l’enfance perdu pour toujours ?
Au cœur du récit, Aya, une adolescente de 14 ans, qui grandit avec sa mère sur l’île de Lahou-Kpanda en Côte d’Ivoire, à une cinquantaine de kilomètres d’Abidjan. Cette jeune fille pleine de joie vit au rythme des vagues, des jeux et des travaux quotidiens, chérissant le sable de son île et l’insouciance de son enfance heureuse.
Pourtant, l’océan en grand démiurge, mange petit à petit sa plage, engloutissant un peu plus son paradis terrestre. Ses aînés lui rappellent que jadis une grande ville se tenait debout là où ne subsistent plus qu’un village, quelques bateaux de pêche, et un cimetière, et dont on vide jour après jour les tombes.
Le film s’ouvre sur un long plan fixe sur un arbre submergé par les eaux du Golfe de Guinée. Soudain, un enfant plonge dans cet océan paisible, éclatant de rire et invitant Aya à le rejoindre. Ce préambule annonce d’emblée les deux destinées analogues du film : celle de la disparition de l’île – problématique climatique, sociale et géologique -, et celle d’Aya, poussée dans l’âge adulte par sa mère, arrachée à son île par nécessité.
La fiction se sert des éléments du réel – l’effective disparition de l’île, les interprètes originaires de Lahou-Kpanda parlant l’avikam, l’exhumation réelle des morts, les us et coutumes locales – à la façon d’un documentaire, pour les cristalliser autour d‘un personnage fictionnel central, Aya.
À la question qui anime tous les habitants : « Faut-il rester jusqu’au bout et tenter de sauver l’île ? », Aya répond franchement qu’elle ne partira pas. Malgré la sentence des anciens, qui voient bien que l’île s’éteint à petit feu. Malgré les avertissements du chef du village une nuit de tempête, déconseillant à ses compatriotes de marcher le long de la plage ou dans le cimetière, Aya n’en fait qu’à sa tête.
Qu’importe, le souffle de l’Océan impose son tempo : Aya va devoir grandir.
Parabole universelle de l’effacement et de l’arrachement
Cet arrachement à l’île, à la fois terre-mère et espace-temps de l’enfance, est vécu comme un déracinement profond et sans possibilité de retour. Le récit, doux et amer, plus optimiste qu’il n’y paraît, est mené par un réalisateur tenace qui assure à la fois l’image, le son, le scénario, et la direction artistique, entouré d’une petite équipe dont des pêcheurs locaux reconvertis pour un temps en perchmen.
À travers cette île grignotée par l’océan, en filigrane, se dessine aussi la relation mère/fille autant que le rapport cyclique entre la vie et la mort, ainsi que la dialectique qui mène de l’enchantement de l’amour au désenchantement de la coupure et de l’abandon. Le réalisateur réussit à tisser ensemble ces thématiques dont les échos résonnent dans le ressac des vagues tout à la fois apaisantes, menaçantes et réparatrices.
C’est dans l’eau que se matérialisent les rêves parfois angoissants d’Aya. C’est encore dans l’eau qu’elle se régénère et trouve la paix – bien qu’elle ne sache pas bien nager. Ces personnages naturels – le sable, l’océan – sont filmés comme des entités à part entière, qui occupent une place égale à celle des humains. La beauté authentique de l’île et de ses habitant.e.s est restituée avec beaucoup de justesse. L’interprète d’Aya, Marie-Josée Kokora – prix de la Meilleure Interprétation au 36e Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF) – nous éclaire de son talent mis en valeur par une mise en scène épurée.
Survivance de la culture Avikam
« Lahou », cet isthme coincé entre l’océan Atlantique, le fleuve Bandama et la lagune Tagba, large de 2 kilomètres dans les années 1920, s’étend désormais sur moins de 200 mètres. Il subit les conséquences conjointes du réchauffement climatique et du barrage de Kossou construit dans les années 1970 pour électrifier une partie du pays. Le fleuve étant privé de débit, il ne peut plus faire tampon face à l’océan de plus en plus agité. En décembre 2015, le village a été cité en exemple des lieux victimes du réchauffement climatique lors de la COP21.
Des annonces avaient bien sûr été faites, mais rien de concret n’a eu lieu depuis. Le projet WACA (West Africa Coasteal Areas), initié par la Banque Mondiale et développé en partenariat avec les populations d’Afrique de l’Ouest pour améliorer la gestion des ressources côtières communes et réduire les risques naturels, a choisi le Grand-Lahou comme ville pilote pour répondre à la problématique de l’érosion côtière. En 2022, les concertations entre habitant.e.s et décisionnaires se poursuivent toujours.
La fabrication artisanale de cet objet de cinéma impliquant les talents des personnes vivant à Lahou-Kpanda, mettant en scène la première héroïne Avikam, inscrit pour toujours ce peuple et ce territoire dans la mémoire cinématographique mondiale. Ce film sublime autant que nécessaire, nous immerge dans les problématiques brûlantes de notre siècle à savoir la question des réfugiés climatiques et celle d’une Afrique rongée par l’exode rural.
En salles depuis le 12 octobre 2022
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