Deux mois avec Amadou : quand les tests osseux barrent la route à la reconnaissance de minorité
Il y a deux mois, nous avons suivi Amadou, un adolescent de 15 ans originaire du Sénégal vivant à la rue. Depuis, il est hébergé par l’association Utopia56, à Pantin, en Seine-Saint-Denis. Désormais, Amadou mène un autre combat : celui de la reconnaissance de sa minorité.
Un article de Rachel Notteau / Photographies : Federico Iwakawa
Amadou enfile la capuche de sa parka beige et baisse la tête. Masqué, seuls ses yeux sombres sont visibles, dévoilant un regard abattu. Dans la salle d’attente du tribunal judiciaire de Créteil (Val-de-Marne), l’adolescent se replie sur lui-même.
Ce 31 mars, Amadou a rendez-vous avec le juge des enfants pour savoir s’il sera reconnu comme mineur non accompagné (MNA), pour être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance du département.
Mais, il a peu d’espoir. La veille, Amadou a reçu le résultat du rapport des tests osseux et dentaires effectué le 5 mars. Non-concluant. C’est notamment sur ce rapport que le juge se basera pour déterminer sa minorité.
Vers 14 heures, il pénètre entre dans le bureau du juge. Il en ressort quelques minutes plus tard, avec une simple feuille sur laquelle est inscrite le mot « majeur ».
Une méthode inadéquate décriée par nombre de professionnels de santé
L’utilisation de ces tests est pourtant décriée par de nombreuses associations et professionnels du milieu médical. « On peut avoir un squelette adulte quand on est adolescent », affirme Patrick Chariot, médecin légiste à Bondy, en Seine-Saint-Denis (AP-HP) et professeur de médecine légale qui pratique cette méthode.
D’après lui, ces tests ne constituent qu’un « détournement d’outils pour qu’une personne autre qu’un magistrat range dans la case mineure ou majeure. Ce sont des prises de positions politiques ».
La méthode la plus répandue des tests osseux consiste à comparer la radiographie du poignet et de la main gauche aux données qui figurent dans l’atlas de Greulich et Pyle, publié dans les années 1950 aux Etats-Unis. Un atlas initialement conçu pour surveiller la croissance d’un enfant.
Or, les radiographies qui y apparaissent datent des années 1930 et sont basées sur des adolescents de type caucasien.
En 2005, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avait déjà émis des réserves quant à la pertinence de ces données scientifiques, arguant que des ressortissants africains ne possédaient pas nécessairement la même maturation osseuse.
Des tests conformes à la Constitution
« Le fait de regarder les dents de sagesse ou le squelette, n’a jamais été validé comme moyen pour déterminer un âge », complète le médecin légiste. Toutefois, Patrick Chariot effectue toujours ces tests osseux avec son équipe médicale en concluant que « l’âge de cette personne est compatible avec l’âge qu’elle déclare ».
Inscrits dans la loi française depuis 2016, les tests osseux sont ordonnés par une autorité judiciaire et avec l’accord de la personne exilée. Mais, certains pays européens, comme le Royaume-Uni, n’utilisent plus cette méthode.
Ces examens médicaux ont cependant été jugés conformes avec la Constitution par le Conseil constitutionnel en mars 2019. Tout en exhortant à ce que les tests ne soient utilisés qu’en dernier recours et en martelant qu’ils ne peuvent pas, à eux seuls, prouver l’état de minorité.
Une nouvelle attente
Pour Amadou, le périple vers la régularisation de sa situation est encore long. Il attend désormais les papiers administratifs que sa mère, restée au Sénégal, lui a envoyé. Ces documents lui permettraient de saisir un nouveau juge et de recommencer la procédure.
« Ils veulent aller vite car ils ont perdu beaucoup de temps sur la route de l’exil. Malheureusement la réalité est toute autre », abonde Thomas, bénévole chez Utopia56 qui a accompagné Amadou au tribunal.
Sur la route de l’exil, Amadou est passé par l’Espagne. Pays où il a été reconnu comme mineur. Mais ne parlant pas la langue, il a traversé la frontière pour atteindre l’Hexagone. En France, il s’attendait a un accueil similaire.
En vain. « J’aurais dû rester en Espagne. À cette heure-ci, je serais déjà à l’école », se mine-t-il, tout en tournant le dos au tribunal.
(Re)lire « 24 heures avec Amadou : le quotidien d’un enfant à la rue »
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