L’« immense gâchis » des jeunes majeurs sous OQTF
« Nous le vivons mal. Nous nous investissons pour chaque jeune. Et, c'est un coup d'épée dans l'eau quand l'un d'eux est expulsé », alerte Mehdi Bennani, éducateur spécialisé dans un centre accueillant des mineurs non accompagnés en région parisienne. Travailleurs sociaux, élus locaux et associations s'inquiètent d'une délivrance désormais « quasiment automatique » d'OQTF (obligation de quitter le territoire français). Arguant, a contrario, d'une intégration réussie des jeunes personnes en exil. '
Texte : Justine Segui et Sofia Belkacem. Illustration : Al’Mata.
L’an passé, l’histoire de Laye Fodé Traoré avait provoqué un émoi national. À peine majeur, l’apprenti boulanger de nationalité guinéenne, était sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). La grève de la faim de son maître d’apprentissage Stéphane Ravacley et une intense mobilisation citoyenne (relayée par des personnalités de premier plan comme l’acteur Omar Sy) lui avait permis de rester à Besançon (Franche-Comté).
Rebondissant sur son engagement, Stéphane Ravacley déclarait : « Je le fais pour lui, mais aussi pour tous ces gamins qui arrivent, qu’on protège tant qu’ils sont mineurs et qu’on jette à 18 ans ».
En France, le Code de l’entrée, du séjour et du droit d’asile (CESEDA) prévoit, via son article L.611-1, la possibilité par les préfectures d’expulser les ressortissants étrangers du sol national. En 2020, 108 000 OQTF (dont ces jeunes majeurs) ont été arbitrées dans l’Hexagone. Une décision prise par la préfecture notamment quand la demande de carte de séjour a été refusée.
« Après un parcours quasi sans-faute, ils s’entendent dire que leur papier sont faux et irrecevables »
Ainsi, si la loi protège les mineurs jusqu’à 18 ans, une fois majeurs, ils peuvent être exposés à une expulsion.
Souhaitant dénoncer une situation « absurde », des responsables politiques nantais (Loire-Atlantique) ont initié une tribune rejoints par 440 élus de régions, de départements et de villes. Dans le journal Le Monde, les signataires estiment que les OQTF à destination des néo-majeurs n’ont pas de sens. « On refuse un avenir à des jeunes qui ont pourtant répondu à toutes les attentes de la société d’accueil tant en termes d’apprentissage et de scolarisation, que du point de vue de l’intégration sociale et professionnelle », expliquent-ils.
C’est également cette intégration socioprofessionnelle réussie que souhaite mettre en lumière l’Anvita (association des villes et territoires accueillants). « Nous avons de nombreux exemples concrets, tangibles, que cela fonctionne », insiste ainsi sa coordinatrice nationale Léa Enon-Baron. Et de prôner un pragmatisme financier : « Certes, tout cela a un coût. Mais précisément, cela n’a pas de sens de renvoyer ces jeunes une fois qu’ils sont formés et intégrés ».
Même son de cloche du côté d’un certain nombre de travailleurs sociaux, à l’instar de Mehdi Bennani*. Cet éducateur spécialisé officiant dans un centre qui accueille des mineurs non accompagnés en région parisienne, dit constater une augmentation significative du nombre d’OQTF dans son établissement ces dernières années. « Rien que sur l’année 2021, huit jeunes ont reçu une OQTF sur 60 hébergés. Soit un taux de 10%. Autrefois, c’était à la marge, un ou deux majeurs pouvaient être soumis à cette demande de quitter le territoire. Or, désormais, ces jeunes qui obtiennent un CAP (certificat d’aptitude professionnelle) ou autre diplôme, qui ont signé des contrats de travail avec des entreprises et qui ont un parcours quasi sans-faute, s’entendent dire que leur papier sont faux et irrecevables ».
Alors, le couperet tombe. Une fois le jeune majeur notifié de son refus de demande de carte de séjour, il peut être placé en résidence surveillée pour pointer régulièrement au commissariat de police, avant d’être emmené dans un centre de rétention administrative (CRA).
« Un coup d’épée dans l’eau »
Pour les responsables politiques signataires de la tribune, avec ces OQTF « l’État français envoie un message d’une grande violence ». Ils en sont convaincus, cette situation constitue « un immense gâchis qui affecte les individus et la collectivité dans son ensemble ».
De son côté, Mehdi Bennani analyse également ces OQTF comme la manifestation d’une « volonté politique, avec des décideurs qui ont plutôt tendance à considérer que la prise en charge des mineurs non accompagnés coûte trop chère ».
Sur un registre plus personnel, l’éducateur spécialisé explique combien ces procédures représentent un échec pour l’ensemble de l’équipe de travailleurs sociaux du centre.
« Nous le vivons mal. Nous nous investissons pour chaque jeune en déployant des services et un grand nombre d’outils pour les accompagner au mieux. Et, c’est un coup d’épée dans l’eau quand le jeune est expulsé...»
Tout de même, Mehdi Bennani se réjouit de « petites victoires », citant l’exemple récent d’un majeur, dont le recours a été accordé. « C’est une chose très rare. Heureusement, il a pu reprendre le cours de son apprentissage », souffle-t-il, soulagé.
Plaidoyer pour « faire autrement »
Quid des alternatives ? Les 440 élus demandent à l’Etat français de prendre en compte, lors de l’examen de la demande de carte de séjour, la motivation des personnes exilées. En outre, les signataires arguent que cette délivrance d’OQTF « quasiment automatique » n’est pas efficace. Prévoyant que les individus placés sous OQTF « ne quitteront pas le territoire français, ni volontairement, parce que leur vie est désormais ici, ni de manière forcée, parce que l’État n’en éloignera que très peu voire aucun », expliquent-ils.
Et d’alerter sur les dérives de la situation : privés d’accompagnement, ces jeunes se trouveraient exposés à un « danger permanent », entre travail au noir et exploitation par des réseaux.
Associations de terrain et élus persistent et signent : il est possible de « faire autrement ».
*Le nom a été changé pour préserver l’anonymat.
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