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  • À la loupe

    Grèce : quid de la mobilisation un mois après le naufrage de Pylos

    Le mois dernier, le naufrage d’un chalutier au large de la Grèce a fait plus de 600 morts et disparus. Des survivants au naufrage et des associations dénoncent la responsabilité des gardes-côtes grecs et se mobilisent pour faire la lumière sur les conditions du naufrage.

    « Assassins » titre une banderole lors suite à l'appel national à manifester pour les victimes du naufrage, le 13 juillet 2023. (Crédits : Elza Goffaux pour GuitiNews)

    Téléphone à la main, Ali Hassan fait défiler sa galerie. Il me montre plusieurs photos de son jeune frère : seul en tenue d’écolier, entouré de ses amis ou bien assis dans le salon familial. Âgé de 22 ans, il quitte son village d’origine, au Pakistan, avec deux autres jeunes hommes. Tous trois disparaissent quelques semaines plus tard dans le naufrage du chalutier Adriana au large des côtes grecques, le 14 juin dernier. 

    Un mois après le naufrage, Ali Hassan marche au côté d’associations et de militants lors d’une manifestation organisée dans le centre d’Athènes ce 13 juin. En réponse à un appel national à la mobilisation, le cortège passe par le Parlement grec, puis se rend devant les bureaux de l’Union européenne. Les manifestants demandent que justice soit faite pour les survivants et les familles des disparus. 

    Ali Hassan cherche son jeune frère de 22 ans, disparu dans le naufrage.

    « Pylos n’est pas un accident, c’est un meurtre de masse »

    Une des membres du Comité contre le crime d’Etat à Pylos prend la parole. « Pylos n’est pas un accident, c’est un meurtre de masse, assène-t-elle. C’est le résultat d’une stratégie systématique de l’Etat grec et de Frontex ». Le naufrage du chalutier a fait plus de 600 morts et disparus, un des plus grands drames en Méditerranée ces dernières années. A bord du bateau, des personnes venues d’Egypte, du Pakistan, de la Syrie et de Palestine. 

    Les circonstances dans lesquelles le bateau a chaviré restent floues : les gardes-côtes grecs n’ont pas filmé la mission de sauvetage, bien que cela soit obligatoire, et affirment que les passagers de l’Adriana ont refusé toute aide.

    Des survivants témoignent, quant à eux, d’une tentative de refoulement vers l’Italie. Alors que les garde-côtes tentaient de les tracter, le navire aurait chaviré. Cette version des faits est réfutée par les autorités. 

    Le cortège de la manifestation au départ de la place d’Omonia dans le centre d’Athènes.

    Plus de 200 familles pakistanaises cherchent des proches disparus 

    Quelque 350 ressortissants pakistanais se trouvaient à bord du chalutier affirme le ministère de l’Intérieur pakistanais. Seuls douze d’entre eux ont survécu au naufrage. Javed Aslam, président de la communauté pakistanaise en Grèce, accompagne Ali Hassan et les autres familles de disparus. « Il y avait un bateau avec 50 ou 60 places et plus de 700 personnes dessus, devant les yeux [des gardes-côte], s’insurge-t-il. Eux auraient pu les sauver, mais c’est un refoulement qui leur a fait perdre la vie ». 

    Et, la démarche pour retrouver des proches se révèle particulièrement ardue. « Au téléphone, ma mère et mon père me demandent tout le temps où ils sont », partage, ému, Ali Hassan, installé en Grèce depuis plus de sept ans désormais. Afin de pouvoir identifier les victimes, les familles doivent effectuer des tests ADN. Pour les disparus, il faut alors rassembler des preuves pour déterminer s’ils étaient bien à bord du chalutier. Javed Aslam estime que ce sont plus de 200 familles au Pakistan et une cinquantaine en Europe qui recherchent leurs proches. 

    Du côté des survivants du naufrage, la priorité est aux procédures d’asile. Après avoir été détenus dans un entrepôt à Kalamata, ils ont été déplacés au Centre d’accueil et d’identification de Malakasa. Des conditions « inacceptables » pour Eleni Spathana, avocate qui accompagne les survivants du naufrage et membre de l’association Refugee Support Aegean (RSA). « Certaines personnes se réveillaient la nuit dans le conteneur métallique [à Kalamata] et avaient l’impression d’être encore dans le bateau », rapporte-t-elle.

    Bien que perçus comme vulnérables, les survivants n’ont pas bénéficié du soutien psychologique nécessaire. Les procédures d’asile ont été faites rapidement, sans qu’ils ne puissent consulter d’avocats. Les entretiens pour leur demande d’asile ont été menés dans des préfabriqués, par téléphone, sans la présence physique d’un interprète, souligne l’équipe de RSA.

    Le chalutier Adriana a coulé au large de la ville de Pylos, dans la nuit du 13 au 14 juin, 13 heures après que les gardes-côtes aient repéré le bateau.

    « Ce sont les gardes-côtes eux même qui se sont mis dans une position difficile »

    Des survivants ont été amenés à témoigner auprès des autorités grecques quelques heures après leur arrivée sur le territoire. Les récits présentés par les gardes-côtes ne font pas mention de la corde utilisée pour tracter le chalutier, bien que les témoins affirment l’avoir mentionné. Des journalistes ont aussi soulevé des tournures de phrase identiques dans chaque témoignage recueilli. 

    Après avoir nié l’existence d’une quelconque corde, les garde-côtes ont expliqué avoir tenté d’attacher le bateau pour mener une opération de sauvetage. Pour Lefteris Papagiannaki, directeur du Centre grec pour les Réfugiés qui apporte une aide juridique aux survivants, ce n’est pas la première fois que les autorités grecques se contredisent.

    « Leurs propos ne sont pas fiables, souligne-t-il. Ce sont les garde-côtes eux même qui se sont mis dans une position difficile. Et, on a déjà vu ça dans le passé ». 

    Il y a un an, la Grèce a été jugée coupable par la Cour européenne des Droits de l’homme dans l’affaire du naufrage de Farmakonisi, où onze personnes étaient mortes noyées suite à l’intervention des garde-côte grecs dans la mer Égée en janvier 2014.

    Athènes a été accusée de violation du droit à la vie. Ce jour là, les autorités grecques n’avaient pas mis en place les mesures de sauvetage nécessaires : alors qu’ils essayaient de ramener le bateau vers la Turquie, dans un opération de refoulement, les gardes-côtes avaient retardé l’operation de secours. De plus, ils n’étaient pas équipés pour une mission de sauvetage. Autant d’éléments qui rappellent le naufrage de Pylos. Une fois sur le sol grec, les garde-côtes avaient infligé des traitements dégradants et inhumains contre les survivants du naufrage.

    Une mission de sauvetage sans gilets 

    Si, pour le moment, aucune victime du naufrage au large de Pylos n’a porté la plainte au niveau européen, il existe un précédent juridique. « La Grèce a un historique négatif sur les questions de responsabilités », note ainsi Danai Angeli, avocate au barreau d’Athènes et membre de l’Initiative des avocats pour le naufrage de Pylos. Comme l’affaire de Farmakonisi, la Grèce pourrait être jugée pour non-respect du droit à la vie. 

    La Grèce ayant entrepris officiellement le sauvetage du chalutier, les garde-côtes auraient dû mettre en place l’ensemble des mesures nécessaires. Pourtant, les bateaux affrétés n’étaient pas équipés pour ce type d’opération et les garde-côtes n’ont pas distribué de gilets. Ils n’ont entrepris une mission de sauvetage qu’une fois que l’Adriana ait coulé. 

    Aussi, pour l’avocate, du point de vue du droit international, la demande d’aide est-elle un facteur non-décisif pour entreprendre un sauvetage en mer. Quand bien même les passagers auraient refusé d’être secourus, la Grèce était obligée d’intervenir. « Il est clair que les garde-côtes n’étaient pas prêts à sauver tous ces gens », glisse-t-elle. 

    Le cortège arrive près des bureaux de l’Union européenne à Athènes, le 13 juillet 2023.

    Maintenir la pression sur les autorités grecques

    Les eurodéputés ont demandé la mise en place d’une enquête internationale indépendante sur les conditions du naufrage, doutant de la crédibilité d’une investigation interne en Grèce. Le procureur du tribunal naval du Pirée avait été épinglé lors du naufrage de Farmakonisi pour avoir archivé l’affaire. 

    Bien qu’une plainte au niveau européen ne pourrait impliquer des sanctions pénales contre la Grèce, les familles pourraient percevoir des compensations et être soutenues. « On peut rendre justice à ces gens, les indemniser, explique Danai Angeli. Mais, le but de toute cette enquête c’est que la situation change, que les politiques changent et que cette tragédie ne se reproduise pas ». 

    « Ici noyés, là-bas bombardés, les réfugiés sont les damnés de la terre », peut-on ainsi lire sur cette banderole lors de la manifestation du 13 juillet dernier à Athènes.

    Les associations et les avocats comptent sur la pression politique et médiatique pour faire la lumière sur les conditions du naufrage et trouver les responsables. « Pour ce naufrage, il va falloir beaucoup de courage et une grande mobilisation », confie Javed Aslam.

    Des mouvements que la Grèce a déjà vu par le passé, contre le parti néo-nazi Aube Dorée par exemple. Le président de la communauté pakistanaise espère un mouvement antiraciste important, afin que les victimes du naufrage ne tombent pas dans l’oubli et l’indifférence. 

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