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  • À la loupe

    Asile et immigration : quel bilan pour le quinquennat d’Emmanuel Macron ?

    Alors que l’immigration, qui s’est pourtant imposée comme thème de la campagne présidentielle, a été survolée lors du débat entre les deux finalistes, le bilan du président Emmanuel Macron tend à se caractériser par la dégradation des conditions d’accueil des personnes exilées.

    « On doit réussir à mieux protéger nos frontières », appuyait à nouveau Emmanuel Macron lors du débat de l’entre-deux-tours ce 20 avril. Cinq ans après son élection, le mandat du huitième président de la Cinquième République est émaillé de drames humains et de condamnations. 

    Eloigner les ressortissants extra-européens

    Dès les premiers mois du quinquennat, des mesures d’éloignement sont prises par le gouvernement d’Edouard Philippe à l’encontre des candidats à l’asile. « Nous reconduisons beaucoup trop peu », avait alors déclaré le chef de l’État aux préfets début septembre 2017. En 2019, selon le ministère de l’Intérieur, les expulsions ont atteint un pic avec près de 19 000 personnes expulsées ; avant de redescendre à 10 000 en 2021. Par comparaison, sous la présidence socialiste de François Hollande, quelque 13 000 renvois forcés avaient été opérés sur l’année 2016.

    Face à une obsession de la gestion des frontières, Gérard Collomb, alors ministre de l’Intérieur, s’était attelé à la tâche, donnant son nom à la loi Asile et immigration. Adoptée à l’été 2018, elle renforce l’arsenal de l’État en matière de gestion des flux migratoires. Et permet de rallonger la période de rétention des personnes en situation irrégulière (de 45 à 90 jours) ; de placer des enfants en centre de rétention, et de réduire par deux le délai de recours des demandeurs d’asile déboutés. « Les procédures sont plus rapides, mais il y a moins de droit pour les demandeurs d’asile, et une précarisation de l’accueil », analyse Me Aude Rimailho, avocate au Barreau de Paris, spécialiste du droit d’asile et du droit des étrangers. « Il n’y a pas de prise en charge psychologique à cause de la rapidité des procédures », ajoute-t-elle. 

    Un an plus tard, en 2019, la France réduit l’accès aux soins des étrangers. Un délai de carence de trois mois est à présent obligatoire pour que les ressortissants en situation irrégulière obtiennent l’Aide médicale d’Etat (AME). Son but ? Lutter contre le « tourisme médical ». Des mesures qui proviennent du plan immigration dévoilé par le gouvernement fin 2019.

    « Cela pose un véritable problème, car cela concerne des demandeurs d’asile qui ont un besoin de prise en charge immédiate », avait alors relevé Christian Reboul, de Médecins du Monde, auprès de nos confrères de RTL.

    Neuf fois condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme

    En 2020, la durée du maintien de leur assurance-maladie a été divisée par deux, la faisant passer de douze mois à six. Le délai d’expiration de l’assurance-maladie a été raccourci à deux mois pour ceux qui doivent quitter le territoire français définitivement.

    L’État, sous Emmanuel Macron, s’est également attelé à stigmatiser les mineurs non accompagnés. Suite à la loi de la protection de l’enfance fin 2021, ces jeunes ont obligation de se présenter en préfecture ; alors que le fichier biométrique et administratif a été rendu obligatoire dans tous les départements.

    En 2022, la France a été condamnée pour la neuvième fois par la Cour européenne des droits de l’homme pour « traitement inhumain et dégradant » concernant l’enfermement d’enfants dans les centres de rétention administrative – plus de 200 enfants étaient enfermés en 2018 selon l’Unicef.

    Une politique d’éloignement que l’on retrouve dans le programme électoral du président-candidat avec, notamment, une obligation de quitter le territoire français (OQTF) dès que le refus d’asile a été prononcé. 

    Une politique de non-accueil

    Cette politique de gestion migratoire concerne également les étudiants. Depuis la rentrée 2019, les étudiants extra-européens qui souhaitent s’inscrire à l’université ont vu leur frais de scolarité considérablement augmenter. Par conséquent, moins d’étudiants obtiennent leur visa d’études. Les titres délivrés aux étudiants ont, quant à eux, diminué : près de 85 000 en 2021 contre 90 000 en 2019, la pandémie de Covid-19 ayant bouleversé les mobilités.  

    A l’international, alors que Kaboul tombait aux mains des Talibans en août 2021, le chef de l’État s’est illustré par sa réticence d’accueillir les Afghans : près de 2 600 personnes ont été évacuées vers la France, quand le Royaume-Uni a accueilli près de 8 000 personnes, et l’Allemagne 4 000. Le Président de la République justifiait la nécessité de « nous protéger contre les flux migratoires irréguliers importants », lors de son allocution télévisée le 17 août. La droitisation du discours sur l’immigration du chef de l’État poursuivait sa marche. 

    En même temps, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, annonçait la réduction de 50 % de l’octroi de visas accordés aux ressortissants algériens et marocains, et de 30 % pour les Tunisiens, en réponse aux « refus » de ces pays de délivrer des laissez-passer consulaires nécessaires au retour des ressortissants en situation irrégulière. 

    De l’autre côté de la Méditerranée, de plus en plus d’embarcations tentent sa traversée depuis l’Algérie, la Libye ou le Maroc vers l’Europe. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a décompté 2 040 arrivées en Espagne par la route de la Méditerranée occidentale en août, et 3 951 en septembre, soit une hausse de 33 % par rapport à 2020, comme le révèle Médiapart.

    Violente hospitalité

    Le bilan d’Emmanuel Macron convoque également les images des tentes lacérées à Calais, des évacuations musclées sur la place de la République à Paris, ou à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis, 93). Régulièrement, les bénévoles des associations et les exilés exposent le harcèlement policier dont ils sont victimes : « A Calais, les violences et le harcèlement policier sont permanents. Plus de 1000 personnes exilées survivent dans des campements précaires détruits toutes les 48 heures », avaient alors alerté des associations dans un communiqué conjoint en novembre 2020

    Parallèlement, des journalistes français ont été entravés dans l’exercice de leurs fonctions en voulant couvrir les évacuations de campements de personnes en exil : aussi bien à Saint-Denis qu’à Calais. Quand, en même temps, le gouvernement tentait de faire adopter la loi dite « sécurité globale », jugée liberticide. Elle créait un délit pour la diffusion d’images des forces de l’ordre. 

    La Commission nationale consultative des droits de l’homme a dénoncé le 12 février 2021, la violation des « droits fondamentaux » des exilés à Calais et Grande-Synthe.  Selon l’Observatoire des expulsions de lieux de vie informels, sur les 1 330 lieux de vie informels expulsés entre le 1er novembre 2020 et le 31 octobre 2021, ces villes du littoral nord représentent à elles-seules 77 % des expulsions pour l’ensemble du territoire.

    Des morts qui auraient pu être évitées

    Le 23 novembre 2020, les forces de l’ordre ont démantelé un campement éphémère d’environ 500 tentes qui abritaient des centaines d’exilés, place de la République à Paris, pour dénoncer le manque de solutions d’hébergement. Les images de violences des forces de l’ordre à l’encontre des exilés ont été relayées sur les réseaux sociaux, provoquant l’indignation au sein de l’opposition. 

    Au-delà du démantèlement quasi-systématique des campements, l’année passée a également été marquée par un nouveau drame en mer, avec la mort de 27 personnes noyées dans la Manche, tandis qu’elles tentaient de gagner le Royaume-Uni. Les secours français avaient bien été alertés. Et, Emmanuel Macron l’avait alors assuré : « La France ne laissera pas la Manche devenir un cimetière ». 

    Pourtant, en Méditerranée, c’est plus de 23 000 morts et disparitions depuis 2014 et plus de 1 200 rien que sur l’année 2021. Dans un communiqué de presse, Médecins sans frontières a annoncé la mort de plus d’une centaine de personnes en Méditerranée centrale sur la première semaine d’avril 2022. Ce sont aussi celles de Faisal, Mohamed et Ahmed, trois algériens fauchés par un train près de Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), fin 2021. 

    En ligne droite depuis 2017

    Alors qu’Emmanuel Macron affirme vouloir « convaincre les gens » en expliquant que sa méthode « n’est pas celle d’il y a cinq ans » et qu’il est prêt à « enrichir » son projet, celui-ci est pourtant sur la même lignée – voire droitisée – depuis 2017.

    On retrouve dans le programme du Président sortant la volonté de réformer Schengen [un espace qui comprend 26 Etats européens de libre-circulation des personnes, des marchandises et des capitaux, NDLR] en créant un conseil qui le piloterait ; et de renforcer Frontex [agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes chargée du contrôle et de la gestion des frontières extérieures de l’espace Schengen, NDLR].

    Pourtant, le Conseil Schengen existe déjà, rappelle Yves Pascouau, chercheur spécialiste des questions migratoires et président de l’association European Migration Law : « L’objectif est de porter au niveau politique le développement de [l’espace] Schengen avec le renforcement des frontières. Cela permettrait de faire remonter les situations d’urgence directement au Conseil, mais cela remettrait également un domaine intégré à la construction européenne entre les mains des États », explique-t-il. 

    Plus que sur une véritable rupture, Emmanuel Macron souhaite perpétuer cette stratégie de gestion des flux migratoires en durcissant l’octroi des titres de séjour en les conditionnant à un examen de français et à une insertion professionnelle. Il souhaite également expulser les étrangers qui troublent l’ordre public, déjà revendiqué par le gouvernement actuel : au micro de France Inter, début 2022, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, dévoilait que la France avait expulsé « 1 100 étrangers qui sont soit criminels, soit tenants de l’Islam rigoriste ou islamiste ».

    Au même moment, Street Press révélait à l’appui de documents datant de l’été 2021, que le ministère de l’Intérieur avait lancé l’opération « 1 000 étrangers en situations irrégulières à éloigner avant le 31 décembre 2021 », notamment ceux qui sortent de prison, sous la pression électorale.

    L’immigration au niveau européen

    Mais à la différence de sa rivale Marine Le Pen, le Président-candidat place la question de l’immigration « au niveau européen pour obtenir une coordination et une harmonisation. Depuis plusieurs années, on a tendance à focaliser la question sur le contrôle aux frontières. Avec le populisme qui s’est imposé, la question est devenue politiquement sensible, voire toxique », avance Yves Pascouau. 

    Me Aude Rimailhot estime, quant à elle, que nous sommes dans « la continuité de la politique européenne avec [le pacte immigration et asile européen, NDLR], qui est en cours de négociation. C’est préoccupant parce qu’il prévoit de délocaliser les demandes d’asile en dehors du territoire européen ». Un pacte dont les négociations se voulaient accélérées par le chef de l’État pour être adopté au plus vite.

    A ce sujet, le 2 février 2022, il déclare à Tourcoing que « Le moment que nous vivons, marqué par cette situation géopolitique exceptionnelle et les menaces à la fois liées à des conflits voisins et au risque terroriste, nous impose de prendre des mesures plus radicales. De reprendre en main le contrôle de nos frontières et, ce faisant, la maîtrise de notre destin ».

    Mais, et la récente invasion en Ukraine en est l’illustration, ne subsiste-t-il pas bien un double-standard sur ces questions ?

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