fermer menu
  • fr
  • en
  • fermer menu
    Croisons les vues, croyons les regards.
  • fr
  • en
  • À la loupe

    Ni d’ici, ni d’ailleurs #6 : 1,6 million d’apatrides le grand chantier du HCR en Côte d’Ivoire

    Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés, la Côte d'Ivoire abrite un nombre important de personnes en situation d’apatridie, soit 1,6 million d’individus qui n’ont officiellement pas de nationalité. Papa Kysma Sylla, représentant du HCR, explique la présence de ce phénomène sur le sol ivoirien.

    L'UNHCR recensse officiellement 1,6 millions d'apatrides en Côte d'Ivoire, dont 16 000 à un degré élevé. © UNHCR/Roland Tuley

    Selon le HCR, 1,6 million de personnes sont en situation d’apatridie en Côte d’Ivoire, quelles sont les personnes les plus touchées par cette situation ?

    Il n’y a pas de profil en particulier ici. C’est principalement par rapport à l’historique du pays en Côte d’Ivoire. On parle de deuxième ou troisième génération de personnes, au moment où leurs ancêtres – en tout cas leurs grands-parents – n’ont pas pu établir leurs papiers d’identité lors de l’indépendance (en 1960, Ndlr), pour des raisons tierces. Et avec les différentes lois successives sur le droit de la nationalité, elles se retrouvent aujourd’hui, dans la difficulté de prouver leur lien avec le pays et se retrouvent donc dans une situation d’apatridie. Des études menées par le gouvernement estiment qu’il y a 1.6 millions d’apatrides, bien qu’il semblerait qu’il y en ait un peu plus. Certains parlent de 3 millions d’apatrides et 16 000 qui sont à un degré d’apatridie élevé. On travaille aujourd’hui avec le gouvernement pour faciliter l’obtention de la nationalité ivoirienne aux apatrides.

    Est-ce que la guerre civile en Côte d’Ivoire a créé des personnes apatrides ?

    Je pense que les personnes apatrides existaient bien avant la guerre. Après la guerre, ça a été facile pour elles d’avoir des documents justifiant qu’ils sont bien ivoiriens . Il y a eu différentes lois ou différentes ordonnances qui ont été votées pour justement faciliter l’obtention de papiers d’identité. Effectivement, pendant la guerre, beaucoup d’archives ont été brûlées. Le gouvernement de Côte d’Ivoire est en train de rétablir un peu tout ce qui est de leur système d’identification sécurisé, qui concerne justement toutes les personnes qui ont perdu leurs papiers: pour ce processus, il est beaucoup plus facile de retrouver leur nationalité. Je ne pense pas que ça pose un problème. C’est plutôt pour les personnes qui étaient apatrides depuis deux ou trois générations que c’est compliqué, c’est un peu plus laborieux en termes de lien avec l’État.

    Quels sont les critères pour avoir la nationalité ivoirienne quand on est apatride ?

    Alors quand on est déjà apatride, il faut commencer à établir les papiers de naissance, prouver qu’on est né en Côte d’Ivoire, prouver qu’on a un lien avec un père ou une mère ivoirienne. Si ce n’est pas le cas, il faut donc aller à la génération antérieure pour établir les papiers ivoiriens. Une fois qu’on a eu les papiers de naissance, il faut constituer un dossier au niveau des commissions en Côte d’Ivoire pour présenter le cas. C’est le tribunal qui doit statuer sur la nationalité. C’est un processus assez difficile, je dirais long pour la personne lambda. Le gouvernement travaille avec différentes ONG et acteurs de la société civile, qui accompagnent ces personnes apatrides dans l’établissement de différentes pièces nécessaires pour monter leur dossier, et les accompagner pour passer le processus de la nationalité. On a principalement l’association des femmes juristes de Côte d’Ivoire qui est très active.

    Les personnes qui n’ont pas de registres de naissance ou d’historique d’appartenance au pays, avec quels papiers se présentent-elles auprès des autorités ?

    Si elles n’ont pas de preuve de filiation, c’est certainement l’historique qui va intéresser les autorités concernées. En mobilisant une partie de la société civile dans les villages d’origine comme les voisins, les parents ou les grands- parents, on recueille des témoignages qui nous permettent, une fois au tribunal, d’établir des actes de naissance. Donc, il y a tout un processus d’établissement des papiers qui est effectivement un parcours du combattant.

    Une fois qu’une personne est reconnue apatride en Côte d’Ivoire, quel document reçoit-elle pour régulariser son séjour ?

    Il y a un document que le ministère de la Justice émet, qui confirme que la personne est apatride, ce qui lui permet de bénéficier de droits socio-économiques. Mais le gouvernement va plus loin, une fois le statut d’apatride accordé, il s’engage tout de suite dans le processus de la nationalité.

    Et est-ce que ces documents, à l’instar d’un passeport ou de papiers officiels, permettent par exemple de voyager, de faire une demande de visa ?

    Non, on n’est pas sur le TVR (Titre de Voyage pour Réfugié) comme c’est le cas avec les réfugiés.

    À partir de quel moment on commence à parler d’apatridie en Côte d’Ivoire?

    En 2014, le HCR a lancé une campagne mondiale, appelée #Ibelong (ou “J’existe” en français). Depuis, la Côte d’Ivoire s’engage volontairement à accompagner le HCR à réduire l’impact de l’apatridie dans le pays. Depuis 2018, le pays a lancé une étude quantitative et qualitative sur les personnes apatrides, ce qui a permis d’avoir une idée sur les gens qui sont à risque d’apatridie, et d’exposer également cette thématique au niveau national. En 2019, le ministère de la Justice a soumis une circulaire qui permet à tous les enfants nés sur le sol ivoirien de parents inconnus (et qui seraient autrement apatrides) d’être reconnus comme citoyens de la Côte d’Ivoire. Ça a été un fait marquant dans la lutte pour mettre fin à l’apatridie ici.

    Est-ce que les actions menées par la Côte d’Ivoire ont ouvert les yeux à d’autres pays d’Afrique sur la question de l’apatridie sur leur propre territoire ?

    Oui, la Côte d’Ivoire a été le porte flambeau au sein de la CEDEAO, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest. Elle a sensibilisé d’autres pays membres sur la question de l’apatridie, notamment au niveau régional. C’est le pays qui a poussé la question de l’apatridie non seulement en Afrique de l’Ouest, mais au niveau de l’Afrique entière. Parce qu’au-delà d’une bonne volonté politique, ça prend un peu de temps pour que les États de l’Afrique de l’Ouest puissent arriver à trouver une solution durable face à ce problème.

    Avez-vous une idée sur le nombre de personnes qui ont obtenu le statut d’apatride en Côte d’Ivoire ?

    Le nombre officiel de personnes ayant reçu le statut est cinq, car la procédure est longue et difficile. Tel que le processus avait été conçu, il avait été très centralisé au niveau de la capitale et mêlait trop peu de structures étatiques. Mais depuis 2019, le ministère de la Justice a fait deux grandes avancées. La première, c’est d’étudier le sujet de la décentralisation du processus afin que les différentes instances soient beaucoup plus proches des populations, et aussi de repenser les lois sur l’acquisition de la nationalité ici en Côte d’Ivoire. Et on espère qu’une fois que ce travail sera achevé que le processus ira beaucoup plus vite. Si je ne me trompe pas, 3000 personnes seront bientôt reconnues apatrides, et ça ce n’est pas une reconnaissance individuelle mais par décret.

    Donc c’est tout un dossier qui est actuellement au ministère et dans les tribunaux, donc on espère très prochainement aboutir sous peu à de très bon résultats.

    Est ce qu’il y a des programmes de sensibilisation qui sont mis en place par les autorités locales, pour demander aux personnes concernées de bien faire les certificats de naissance ?

    J’ai mentionné tout à l’heure l’association des femmes juristes qui fait de la sensibilisation, justement dans des zones où l’on pense avoir beaucoup d’apatrides, à travers des groupes de discussion et des spots radios en langues locales. Maintenant, le sujet de l’apatridie est tributaire du processus de certification de naissance. La Côte d’Ivoire est en train de revisiter tout son processus. Mais ce n’est pas encore tout à fait finalisé. Je signale un grand programme de dialogue qui est mis en place que ce soit sur les cartes d’identité biométrique ou au niveau des enregistrements biométriques. La Côte d’Ivoire est en train de restructurer son système de document d’identité.

    Une fois que ça sera terminé, ça va beaucoup impacter notre processus d’apatridie, il faut comprendre une chose, c’est que beaucoup d’apatrides aujourd’hui ont des faux papiers, pour pouvoir aller à l’école, pour évoluer dans la vie professionnelle, pour avoir accès à certains secteurs, pour avoir accès à certains droits. Donc le ministère de la Justice a pris l’initiative de régulariser certaines personnes qui ont des papiers que l’Etat n’approuve pas.

    Comment le HCR accompagne ces personnes qui sont en situation d’apatridie mais qui n’ont pas encore le statut, et qui n’ont pas accès au marché du travail ?

    Pour le HCR, l’accent est mis aujourd’hui sur l’accès au statut. Nous ne faisons pas comme pour les réfugiés où on donne une assistance matérielle à toutes ces populations. Nous avons jugé important de mettre l’accent sur l’obtention du statut d’apatride ou du moins l’obtention d’une nationalité pour la simple et bonne raison que ces personnes sont sur le territoire ivoirien. Elles doivent pouvoir se faire soigner, et avoir par ailleurs accès au marché du travail. Avant, il n’y avait pas les empreintes digitales, c’était juste un papier. La biométrie a énormément changé la donne parce que ces populations font face à une contrainte qui est cette nouvelle technologie. Et si on ne les aide pas, on les perd, et elles deviennent des éternels invisibles. Il est urgent de légaliser cette population pour ne pas les perdre définitivement.

    Êtes-vous satisfait des actions menées par le gouvernement ivoirien dans le but d’éradiquer ce phénomène ?

    Je suis plus que satisfait par rapport aux efforts du gouvernement Ivoirien. Arriver à faire passer des lois, les élaborer, c’est déjà une chose, avant ensuite de les présenter dans les différentes structures gouvernementales et de les appuyer dans le système législatif, au point où elles deviennent des lois. Donc il est important que la Côte d’Ivoire soit appréciée et remerciée, mais surtout appuyée, que ce soit dans la reconnaissance des efforts qui sont faits pour régler le problème de l’apatridie. Parce que tout ce que la Côte d’Ivoire va faire, ce sont des actes qui pourront être dupliqué dans d’autres pays, pas seulement dans des pays africains, mais dans des pays sud-américains qui connaissent le même phénomène.

    Est-ce que vous croyez encore possible que le HCR atteigne l’objectif qu’il s’était fixé d’éradiquer totalement le phénomène d’apatridie dans le monde?

    Je dirais que non. On n’en est qu’au début, en particulier ici en Côte d’Ivoire. Maintenant, est-ce que la campagne #Ibelong, a atteint son but ? Cela a davantage permis de mettre sous les projecteurs la problématique de l’apatridie au niveau mondial. Et c’était l’objectif principal de cette campagne. Le sujet a été discuté dans des forums tels que les Nations Unies, au niveau régional à travers la CEDEAO, et sur plusieurs continents. C’est un sujet qu’on aborde dans toute sa complexité. Mais, aujourd’hui tout le monde est d’accord qu’avoir une nationalité c’est un droit.

    fond de couleur pour message abonnement

    Cet article vous a intéressé ?
    Abonnez-vous à Guiti News à partir de 2€/mois*

    Vous aimerez aussi :

    icone du ministere de la culture francaise, qui soutient Guiti News
    © Guiti News 2021 – tous droits réservés