« Arrêtez les bateaux » : jusqu’où ira le Royaume-Uni pour y parvenir ?
Arrivé au pouvoir en novembre 2022, le gouvernement Britannique de Rishi Sunak a repris le chantier en matière d’immigration. Fin du droit d’asile pour ceux qui traversent la Manche illégalement, création de centres de détention, externalisation au Rwanda, accord avec la France de 541 millions d’euros pour la surveillance des côtes… Le Royaume-Uni, toujours signataire de la Convention de Genève, est bien décidé à en repousser les limites.
« Arrêtez les bateaux ! », martèle Suella Braverman, ministre de l’Intérieur britannique depuis sa nomination en novembre. Le gouvernement conservateur, qui a fait de l’immigration la pierre angulaire de son administration, a présenté ce 7 mars son projet de loi pour contenir les traversées illégales de la Manche. L’une des mesures phares du texte, prive toute personne arrivée illégalement sur les côtes anglaises du droit d’asile. Désormais, elles seront détenues avant d’être renvoyées dans leur pays d’origine. Si cela n’est pas possible, elles seront déplacées dans un pays tiers dit « sûr », comme le Rwanda, avec lequel le Royaume-Uni a signé des accords d’externalisation.
Ce projet de loi interroge autant sur le fond que sur la forme, tout en repoussant les limites du droit international selon les experts. « Ne pas examiner le statut d’une personne qui franchit une frontière internationale pour demander l’asile est contraire à la Convention de Genève », explique Philippe Lagrange, juriste en droit international et humanitaire. Une convention dont le Royaume-Uni est signataire.
Cet ensemble de textes promulgués en 1951 au sortir de la guerre pose les bases en matière de droit d’asile. « Le texte repose sur deux principes fondamentaux, affirme Philippe Lagrange. D’abord, l’immunité pénale pour les demandeurs d’asile. Article 31 : une personne arrivant sur un territoire pour demander l’asile au sens de la Convention, ne peut pas être poursuivie pénalement pour le simple fait d’avoir franchi illégalement la frontière. Puis vient le principe de non-refoulement. Article 33 : un exilé qui arrive sur un territoire pour demander l’asile doit être protégé. On ne peut pas le refouler tant qu’il n’a pas été statué sur sa demande », insiste le juriste.
Le Brexit et la fin de la politique européenne
Outre la Convention de Genève, le Royaume-Uni est aussi signataire de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950. En revanche, il n’est plus tenu par le régime de l’asile européen commun (RAEC), ni par les règles de Dublin. Le premier est un ensemble de directives et de règlements qui fixent les procédures pour reconnaître le statut de réfugié à un exilé. Il garantit aussi une protection subsidiaire. Elle s’applique si la personne ne peut pas être déclarée réfugiée selon la Convention, mais qu’elle a besoin d’une protection.
Cela peut-être le cas pour des personnes qui ont fui la guerre mais ne sont pas sous la menace de persécutions individuelles, ou qui ne peuvent pas les exprimer. Quant au Règlement Dublin, il impose aux exilés de faire leur demande d’asile dans le premier pays « sûr » où ils arrivent.
Qui pour faire appliquer les conventions ?
Si les États restent souverains quant à leur façon d’appliquer les conventions, il existe bien des organes qui veillent au bon respect de leur application. C’est le cas du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) pour la Convention de Genève. Il édicte de grands principes directeurs qui permettent une interprétation proche du texte initial. Cependant, « il ne peut pas sanctionner un État qui ne respecte pas la convention », souligne Philippe Lagrange.
En France, pour veiller au bon respect de la Convention, un des trois juges au sein de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est proposé par le HCR. Il porte la parole de celui-ci. « Il existe un autre moyen de faire condamner le Royaume-Uni. Un État tiers pourrait engager sa responsabilité, pour dire au Royaume Uni : » vous ne respectez pas la convention internationale » », explique le juriste. Une éventualité improbable selon lui : « Aucun État ne le fera. Ils ont peur des effets de calques, car eux-mêmes ne respectent pas nécessairement la Convention et ne veulent pas qu’on vienne intervenir dans leur souveraineté ».
Externaliser les demandes d’asile au Rwanda
L’autre point qui fait réagir, c’est l’externalisation des demandes d’asile au Rwanda, à 6500 km de l’île britannique. Le projet n’est pourtant pas nouveau. Porté par Boris Johnson durant le Brexit, il a été mis en suspens après l’intervention de la Cour Européenne des droits de l’Homme. La Cour a considéré que l’expulsion des exilés vers le pays africain était contraire au droit humanitaire. Le nouveau gouvernement a rapidement souhaité y revenir. D’autant plus qu’en décembre dernier, la Haute Cour de Londres a donné son feu vert. L’instance considère que le Rwanda est un pays « sûr » et que le projet est en adéquation avec la Convention de Genève.
« Il s’agit ni plus ni moins d’une distorsion de l’esprit de la Convention de Genève »
Philippe Lagrange
En visite le 18 mars à Kigali, Suella Braverman a confirmé que les premiers avions transportant des exilés allaient bientôt décoller. « Je crois sincèrement que ce partenariat de premier plan mondial entre deux alliés et deux amis, le Royaume-Uni et le Rwanda, ouvrira la voie à la recherche d’une solution à la fois humanitaire et compatissante », a-t-elle réagi devant les rares journalistes anglais invités pour l’occasion.
Il faut souligner que les Britanniques ne sont pas les premiers à recourir à ce genre de service. En 2016, l’Union européenne a elle aussi passé des accords similaires avec la Turquie pour contenir l’arrivée d’exilés syriens. Mais il n’a jamais été question de lui confier la gestion des demandes d’asile. Ce qui pour le juriste revient au même car : « On ne s’occupe pas de savoir ce qu’ils en font. Il s’agit ni plus ni moins d’une distorsion de l’esprit de la Convention de Genève ».
« Ça peut donner des idées à d’autres États »
Faut-il craindre de voir d’autres États emboîter le pas au Royaume-Uni ? « Ça peut donner des idées à d’autres, confirme le chercheur. Tous les précédents sont dangereux. C’est d’autant plus dommage qu’il y a quelques années, il y a eu deux pactes internationaux. Un sur l’immigration et un sur les réfugiés. Une tentative d’harmoniser tout ça. Ce que font les Anglais, c’est un contre-pied par rapport aux idées qui avaient été définies », déplore Philippe Lagrange.
De leur côté, les associations tirent la sonnette d’alarme. Lors d’un rassemblement à Paris le 10 mars dernier, jour de la venue du Premier ministre anglais, Utopia 56, a fustigé « les solutions sécuritaires à des problèmes humanitaires ». À l’ordre du jour du sommet franco-britannique : la question migratoire. Le Royaume-Uni entend bien ralentir les traversées illégales de la Manche. En 2022 45 000 personnes ont rejoint les côtes du Kent depuis la France.
« Tout cela traduit une tendance générale qui est une fermeture des frontières »
A Paris, Rishi Sunak a annoncé une enveloppe de 541 millions d’euros sur les trois prochaines années. Un accord qui fait bondir l’association humanitaire : « En dépit des moyens déployés depuis des décennies, les traversées n’ont jamais baissé », pointe Utopia 56. Interrogé sur le nouveau projet de loi outre Manche, l’association affirme ne pas croire à sa mise en place. « C’est surtout pour dissuader », déclare Nikolaï Posner, chargé de communication au sein de l’association.
« Tout cela traduit une tendance générale qui est une fermeture des frontières. L’Europe l’a déjà initiée, et d’autres Etats vont dans ce sens en ce moment », analyse Philippe Lagrange. La ligne dictée par Londres en matière de migration, inquiète d’autant plus que la question des réfugiés climatiques devrait elle aussi se poser selon lui. « Pourtant ces personnes n’entrent pas dans la Convention de Genève. Ils n’entrent pas dans les cases, car il manque un agent persécuteur. Ils ne peuvent obtenir l’asile avec les textes actuels », conclut le juriste.
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