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    Réflexions autour de l’hospitalité : rencontre avec Michel Agier

    « Nous avons quelque peu perdu les codes de l’hospitalité, parce que nous vivons dans une société individualisée, avec une famille nucléaire ». Anthropologue et membre de l’Institut des Migrations, Michel Agier a notamment dirigé l'étude « Hospitalité en France : Mobilisations intimes et politiques », dont l'ultime volet a été publié en septembre dernier. L'étude, didactique, permet de rendre la thématique migratoire accessible au plus grand nombre. Rôle de la langue dans l'intégration, remise en question de l'assimilation ou encore asymétrie dans la relation entre celui qui accueille et celui qui est accueilli, Guiti News a interrogé Michel Agier sur les spécificités de l'hospitalité en France, depuis le pic d'arrivée de migrants en 2015.

    Dans « Hospitalité en France : Mobilisations intimes et politiques » (publié par le programme Babels dirigé par Michel Agier), l’hospitalité est définie à trois niveaux. Au sens étroit, c’est une relation d’accueil qui unit deux hôtes dans un même domicile, il s’agit de l’hospitalité privée.

    Au sens large, elle prend un caractère institutionnel avec des lieux d’accueil détachés des obligations sociales familiales ou locales. C’est une hospitalité publique. Dans une acception plus large encore, l’hospitalité peut être cosmopolitique, comme l’a théorisé le philosophe Emmanuel Kant, en lui donnant une dimension universelle pour rendre possible la libre circulation des individus sur la planète.

    Michel Agier, qu’est-ce que vos travaux de recherches ont pu vous révéler sur l’hospitalité en France ?

    La période 2014/2015 a mis en évidence le fait que beaucoup de gens ont réagi au phénomène migratoire, ou à l’insatisfaction qu’ils avaient face au peu de choses que faisait le gouvernement, en ayant, ou en voulant avoir, eux-mêmes des pratiques dites hospitalières. On n’en a peut-être pas encore pris toute la mesure, mais il me semble qu’il y a eu une vraie mobilisation sociale en France en Europe, une mobilisation de la société pour accueillir des gens.

    On a parlé d’hospitalité à partir de l’inhospitalité des gouvernements, comme s’il fallait répondre au mauvais accueil et à l’absence de dispositif d’accueil par des pratiques hospitalières, individuelles. Et, beaucoup de personnes ont eu cette réaction au même moment. Ce qui est amusant, c’est que la plupart des personnes que je rencontre dans les conférences que je donne avec des associations ou des collectifs, me disent qu’ils se sont mobilisés en 2015. Souvent, ils n’avaient pas vu qu’il y avait un mouvement collectif. Tout le monde croyait que c’était une affaire individuelle.

    Au départ, c’était très personnel. Les individus qui ont accueillis chez eux l’ont fait parfois avec une dépense d’énergie incroyable. Une mobilisation de toute la famille. C’est une action à la fois très intime et très politique. Certains sont même allés assez loin, en proposant par exemple leur propre lit, ce qui a pu être troublant pour la personne accueillie.

    En France, nous avons quelque peu perdu les codes de l’hospitalité, parce que nous vivons dans une société individualisée, avec une famille nucléaire. Nous avons encore un peu d’hospitalité pour la famille… mais guère plus que cela. Dans les sociétés qui ont encore la pratique de l’hospitalité, il existe une temporalité et des lieux pour l’hospitalité.

    Pour exemple, en Afghanistan chez les Hazara, il y a une pièce pour les invités, qui y restent trois à dix jours. Dans la langue arabe, le terme « mafadé » désigne la chambre entre le dedans et le dehors, sorte de vestibule, de lieu intermédiaire. Et l’hospitalité en réalité, ce n’est pas donner tout ce qu’on a à quelqu’un qui arrive, mais bien de donner ce lieu intermédiaire.

    Existe-t-il un lien entre les codes présents dans la société et les pratiques d’accueil ?

    Quand je fais ces comparaisons, c’est plutôt pour dire que l’hospitalité est une forme sociale qui est pratiquement universelle. On la trouve autant que la socialité, qui est le fait de vivre en société. C’est ce qui fait le lien avec l’étranger, avec l’autre, et donc c’est une chose essentielle au fonctionnement de la société.

    Cela n’a pas forcément de lien avec l’Etat ou les structures d’accueil. Je pense même que pour réfléchir à ces questions, l’on a intérêt à faire la différence entre les structures d’accueil de l’Etat et la pratique de l’hospitalité dans la société. Ce qui est dans la société n’est pas forcément dans l’Etat. Et, il n’est pas toujours souhaitable que ce soit le cas. Comme lorsque Erdogan dit que la Turquie est hospitalière avec ses petits frères de Syrie.

    Or, si l’on est hospitalier comme dans une maison, on a le droit de fermer la porte de sa maison. Et si on ferme la porte de l’Etat, on dit aux petits frères de Syrie qu’ils vont devoir partir, on les met dehors. Cela remet alors en cause d’autres principes universels, comme le droit de circuler par exemple, ou le fait que la terre appartienne à tout le monde… Il y a donc des contradictions qui se font entre des valeurs qui semblent aller dans le même sens.

    C’est intéressant d’approfondir ce qu’est l’hospitalité, parce que lorsqu’on maintient la relation sociale du type de l’hospitalité, on peut créer une relation très asymétrique. Tout simplement parce qu’il y en a un qui dépend de l’autre, un qui fait une faveur à l’autre, et il peut pour une raison X ou Y décider d’arrêter sa faveur. L’autre se retrouve sans droit. Subsiste alors une supériorité de celui qui accueille sur celui qui est accueilli.

    Dans un autre contexte, à un autre moment, celui qui est accueilli pourra accueillir à son tour et l’asymétrie fonctionnera dans l’autre sens. Mais, on n’est pas égal simultanément dans la relation d’hospitalité. Il y en a un qui donne la faveur, et un qui bénéficie de la faveur. Il faut que la relation se transforme.

    Dans d’autres cultures, voire dans les mythes et les légendes de la Grèce Ancienne par exemple, la temporalité est toujours limitée. L’hospitalité est une première forme de relation, c’est le sas d’arrivée. Ou comme disait Emmanuel Kant, c’est simplement pour signifier à l’autre : « vous n’êtes pas mon ennemi ». Ensuite, il faut que cela se transforme, et c’est bien la responsabilité de la société, des Etats, de la politique, des personnes elles-mêmes de choisir comment transformer la relation.

    Nous sommes récemment allés à Uzerche en Corrèze, exemple d’hospitalité en milieu rural. Identifiez-vous des différences entre l’hospitalité des villes et celles des villages ?

    Il existe beaucoup d’hospitalité dans le milieu rural. Je ne sais pas si elle a été plus importante en quantité, mais il y a eu une mobilisation des villages, soit parce qu’il y a eu à un moment donné un CAO (Centre d’accueil et d’orientation) qui s’est installé près de chez eux, soit parce que des français se sont rapprochés d’associations.

    J’ai l’hypothèse, un petit peu anarchiste, de dire que les gens dans les villages sont un peu plus loin de l’État. Quand on est à Paris, l’État est très proche. Dans un village, par exemple on ne demande pas si la personne en exil a des papiers ou pas. On a également vu des maires réquisitionner des maisons vides, sans demander l’autorisation au préfet.

    Avec le programme Babels, il nous a semblé que l’on pouvait tirer deux hypothèses sur le sens politique de l’hospitalité. Dans les deux cas, la pratique de l’hospitalité vient de l’insatisfaction face au manque d’hospitalité de son gouvernement. On accueille à sa place. Le premier prolongement politique de cela est de demander à l’Etat d’en faire plus, d’avoir des politiques d’accueil et d’asile plus généreuses et ouvertes, des lieux d’hébergement etc.

    L’autre débouché politique se retrouve dans la formule « nous, l’État on s’en fout. On fait notre petite communauté et les personnes exilées y trouvent leur place, peu importe ce qu’en dit l’État ». C’est un peu la politique zadiste.

    La tendance serait que dans les lieux moins urbanisés, on aurait tendance à favoriser le deuxième débouché, comme par exemple Cédric Herrou dans la Roya. Ce sont deux options politiques, en somme, assez classiques.

    Quel rôle joue la langue dans la relation d’hospitalité ?

    Je travaille avec des professionnels dans le milieu scolaire, et même en milieu associatif, qui insistent toujours sur l’apprentissage du français, comme moyen d’intégration. Pour être hospitalier dans la langue, ou par la langue, il faudrait pouvoir dire à quelqu’un : « tu viens avec ta langue et moi j’essaye de la comprendre, comme toi tu essayes de comprendre la mienne ». Il y a ces discussions parmi les enseignants, dans certaines classes ils parlent avec les élèves en exil en utilisant leur langue. Et, pour un élève, c’est là une manière d’apprendre une langue en enseignant la sienne.

    En France, je trouve que la méthode de l’imposition de la langue est très violente. On dit aux personnes : « vous n’avez pas le droit d’utiliser votre langue ». C’est un idéal d’assimilation qui est bien plus dur que l’intégration. Pour moi, l’hospitalité par la langue, c’est reconnaître la langue de l’autre.

    Et, on revient ainsi à l’hospitalité comme moment intermédiaire. Échanger dans les deux langues, c’est considérer que l’hospitalité est quelque chose qui est entre les deux.

    Michel Agier est directeur d’étude à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales) et à l’IRD (Institut de recherche pour le développement). Ses enquêtes l’ont amené à travailler sur les migrations et à étudier les conditions et les lieux de l’exil. Il a dirigé le programme Babels, qui a réuni une quarantaine de chercheurs proposant de questionner la « crise migratoire » contemporaine à partir d’ethnographies comparées en Europe et en Méditerranée depuis 2016. Le programme vient de s’achever avec la publication de leur septième titre « Hospitalité en France : Mobilisations intimes et politiques ».

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