Les césarisés Bouillon et Tereszkiewicz passent la seconde
Auréolés des Césars de l’espoir féminin et masculin lors de la cérémonie 2023, les comédien.nes Nadia Tereszkiewicz et Bastien Bouillon sont de plus en plus présent.es sur les affiches de cinéma français (et international). Rencontre avec ces deux talents discrets mais puissants, au discours et aux choix engagés.
Nadia Tereszkiewicz est à l’affiche du dernier film de Stéphanie Di Giusto « Rosalie », en salle mercredi 10 Avril. La comédienne des « Amandiers » de Valéria Bruni Tedeschi et de « Mon Crime » de François Ozon revient pour Guiti News, sur ses affects cinématographiques en lien avec les cultures étrangères et la responsabilité d’une actrice. A l’affiche du film algérien affichant complet dans toutes les salles de cinéma lors de sa sortie en France, « La Dernière Reine » d’Adila Bendimerad et Damien Ounouri, la comédienne franco-finlandaise, qui incarne en finlandais et en arabe la compagne de Barbe Rousse, se confie sur cette expérience et l’impact que cela a eu sur sa vision du cinéma.
Comment vous êtes-vous retrouvée dans ce projet ?
Nadia Tereszkiewicz: J’avais entendu que l’équipe cherchait une actrice scandinave, parce que c’est une esclave scandinave, il y a eu beaucoup d’esclaves qui ont été capturés sur le chemin et qui ont été amenés en Algérie à cette époque là (1516). J’avais demandé à passer le casting même s’ils cherchaient quelqu’un de plus âgé. J’ai passé des essais et ça a matché avec le réalisateur, avec Adila (scénariste et réalisatrice), parce qu’en fait il y a un endroit de cinéma qui plait. C’est à dire que c’est un cinéma qui devient presque une mémoire collective, il y a quelque chose de l’ordre du patrimoine culturel et c’est vrai que ça donne du sens au cinéma. J’ai vu des gens qui se battent pour raconter cette histoire. Toute l’équipe était là pour la raconter et c’était très émouvant de voir tout cet investissement.
Quel a été votre sentiment sur le fait d’être en Algérie?
Nadia Tereszkiewicz: J’ai trouvé le pays très accueillant, j’ai été très touchée par l’esprit de famille qu’il y a là-bas. Les gens sont très chaleureux, j’ai été accueillie par la mère d’Adila de manière quasi familiale, et puis j’ai trouvé le pays magnifique. On est allé à Tlemcen, Tipaza, Port Say, j’ai pu vraiment visiter et j’ai trouvé très beau, après il y a des libertés que les femmes n’ont pas et qui m’ont aussi pesées. Une difficulté à faire du cinéma aussi. Les actrices ont une place difficile en Algérie.
Comment avez-vous ressenti ça?
Nadia Tereszkiewicz: Et bien je trouve ça dur. J’ai une amie notamment du tournage qui me raconte ce que c’est que d’être comédienne en Algérie et ce n’est pas facile. Là, c’est une question de nécessité pour ces femmes de jouer, donc voilà ça donne du sens à ce métier. Et on doit se rappeler tous les jours qu’on a la chance de le faire.
En parlant de liberté pour les femmes et de cette difficulté à pouvoir s’exprimer, il y a un autre endroit dans le monde où il y a cette nécessité de jouer et où les femmes ont beaucoup de mal à le faire, c’est l’Iran. On a d’ailleurs vu que Zar Ebrahimi a eu la palme de l’interprétation féminine en 2022.
Nadia Tereszkiewicz: Oui, bien sûr.
Est-ce politique de jouer dans des endroits où cela devient compliqué?
Nadia Tereszkiewicz: Je ne le prends pas comme ça. Disons que ça en devient politique quand on choisit. Quand j’ai la chance de choisir les rôles que je prends, j’ai la chance d’avoir le choix en fait. Mais j’ai l’impression d’avoir choisi des rôles de femmes complexes, que j’avais envie de défendre, qui questionnent, qui dérangent, qui montrent la place de la femme. Ce n’est pas pareil d’être une femme dans les années 30, dans les années 80, dans les années 60, aujourd’hui, en 1517. De voir les conditions dans lesquelles elles essaient de s’épanouir, de s’émanciper. Et donc j’ai eu l’impression avec du recul, sans l’avoir calculé comme ça car je fonctionne au coup de foudre à chaque fois, qu’on pouvait explorer différentes formes de féminité à travers les films. Je ne pense pas que le cinéma ait réponse à tout mais je pense que c’est une réponse à sa manière. Et c’est une manière d’aborder les rapports de domination hommes-femmes, la conditions de la femme que ce soit dans la société patriarcale des années 30 ou une femme esclave en 1517 qui est courageuse et qui se bat. Enfin voilà je pense que le cinéma permet d’explorer ces féminités là et c’est une chance, mais aussi une responsabilité. Je pense que c’est un engagement.
Bastien Bouillon : « La nuit du 12 » a tout changé
Bastien Bouillon était la force tranquille et hypnotique du film phare de 2022 réalisé par Dominique Moll, « La nuit du 12 ». Véritable star des Césars 2023 avec 6 statuettes au compteur. Adaptation du fait divers qui avait secoué la France dix ans plus tôt, la découverte du corps calciné de Maud Maréchal alors âgée de 21 ans sans qu’un coupable n’ait pu être identifié. L’acteur montant du cinéma français, à l’affiche d’ « Un Homme en fuite » de Baptiste Debraux en salle le 8 mai prochain s’est confié à Guiti News sur ce qui motive ses choix cinématographiques, ce que le cinéma a d’intrinsèquement politique et le long chemin arpenté avant de gouter au succès.
Bastien Bouillon: Cela fait maintenant 15 ans que je travaille mais effectivement ça a pris du temps. Quand je dis « ça a pris du temps » on dirait que je suis arrivé quelque part, je ne suis arrivé nulle part. Je dis ça a pris du temps car par exemple, même si j’ai toujours eu le choix dans mon métier de choisir, là où avant j’avais le choix de faire tel projet ou de ne pas travailler, aujourd’hui j’ai le choix entre pas mal de choses, ce qui me permet encore plus ma route, les endroits où j’ai envie d’aller et ça c’est un luxe. Ce qui ne veut pas dire que ça durera.
En tous cas, c’est là!
Bastien Bouillon: Oui là en tous cas depuis le César oui. Et au-delà du César, le succès du film, le fait que « La Nuit du 12 » ait rencontré le public, c’est réellement le film qui a changé les choses pour moi.
Et quand vous dites que maintenant vous pouvez choisir et aiguiser vos choix, ça va vers quelle direction?
Bastien Bouillon: Je continue à me baser sur le scénario, l’artistique et puis beaucoup l’humain, les gens avec qui je travaille, voilà.
Quelles sont justement les qualités humaines qui font que vous avez envie de vous plonger dans un rôle pendant des mois, même parfois des années?
Bastien Bouillon: Cela fait petit enfant ce que je vais dire mais j’ai du mal avec les gens méchants, les gens pervers, avec ceux qui hiérarchisent les humains. On est dans un métier où sur un plateau il faut une hiérarchie, sinon ce serait l’anarchie, bref. Mais il y a une manière de hiérarchiser les choses dans le travail, et pas dans la vie. Il y a des gens qui je pense, dans nos métiers, malgré eux, ont intégré une sorte de hiérarchie de l’humain en fonction de leur statut social ou de leur statut dans le cinéma et ça c’est vrai que j’essaie de m’en dépatouiller au maximum.
Dans quel film Bastien Bouillon aimerait-il jouer pour allier son travail d’acteur et en même temps la personne qu’il est, ses valeurs?
Bastien Bouillon: Après il y a des films qui ont des portées politiques plus ou moins grandes et plus ou moins volontaires et pour le coup « La Nuit du 12 » en est un bon exemple: là on est dans un endroit où je me sens vraiment en adéquation artistique, politique, humaine avec le projet. Mais je ne me dis pas qu’il faut que ce soit forcément comme ça, on ne doit pas forcément faire des films qui sont politiques ou sociaux, par contre, le choix de faire un film, ça, ça doit être à un endroit un choix intime, et forcément… Ce que je veux dire c’est qu’on ne peut pas faire un film sur un un grand artiste colonial pédophile complètement exotisé, ou alors c’est qu’on est un peu comme ça (ndlr, main sur les yeux) en tous cas moi je n’irais pas!
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