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    « La Zone d’Intérêt »: L’autre Palme selon Guiti

    Grand Prix du Jury au dernier festival de Cannes et trois fois nommé aux Golden Globes, "la Zone d'Intérêt" du réalisateur britannique Jonathan Glazer est sorti en salles le 31 janvier dernier. Sans grand bruit. C'est pourtant une bombe cinématographique qui raconte cet autre versant de l'histoire de l'Holocauste comme personne n'osa jamais s'y essayer.

    Le commandant d’Auschwitz-Birkenau Rudolf Höss (Christian Friedel) et de sa femme Edwig (Sandra Hüller) mènent une vie paisible et joyeuse dans leur villa, en bordure du camp de concentration, dans un périmètre que les nazis appelèrent la « zone d’intérêt ». La frontière entre cette vie familiale heureuse et l’horreur du nettoyage ethnique de la population juive d’Europe durant la seconde guerre mondiale est matérialisée par un mur érigé de barbelés. La famille Höss ne semble pas prêter attention à ce qui se joue derrière.

    Le film de Jonathan Glazer, adapté du roman éponyme de Martin Amis est édifiant. La façon dont le réalisateur relate la vie des Höss à l’écran se veut au plus proche de la réalité d’alors, et criante de vérité sur la nature humaine, montrant les visages de ceux que l’on considère comme des monstres dans une routine glaçante de normalité. 

    Il y a bien là un ou deux prisonniers du camp qui viennent prêter main forte pour le jardin, mais toujours le sourire aux lèvres. Rien qui ne rappellera le spectateur à l’ordre hors de ce paradis extraordinaire. Le soir venu, depuis la chambre des enfants et des domestiques, le bruit des fours et les lueurs rouges en reflet sur les vitres habille la nuit, comme une compagnie rassurante faisant partie du décor. La jeune nounou debout près de sa fenêtre semble comprendre que quelque chose ne va pas. On oublierait presque où nous sommes. La question est posée là, à travers chaque plan du film:  » Et vous, pensez-vous être si différent? « 

    Bande annonce « La Zone d’intérêt » de Jonathan Glazer

    De la capacité de violence en chacun de nous

    Durant la conférence de presse lors de la première mondiale de son quatrième long métrage, Glazer admet ne pas savoir pourquoi il a décidé d’aborder le sujet de l’Holocauste, tout comme les autres sujets de ses films, mais qu’il avait cette idée en tête depuis des années. Durant deux ans, il lit ce qu’il peut à propos de cet évènement de l’Histoire puis décide de passer une semaine à Auschwitz, afin de définir un fil narratif pour finalement se rendre compte de la glaçante proximité de la maison et du jardin des Höss. « Cela m’a vraiment fait quelque chose, j’ai donc voulu travailler autour du mur de séparation entre cette maison très agréable et le camp où mourraient les victimes. Ce mur s’érigeait comme la manifestation de ce que l’on se raconte, notre façon de compartimenter pour notre commodité d’esprit, c’est cette division là qui m’a intéressé » explique Glazer.

    A travers le travail de recherche de l’équipe du film, le réalisateur relate un détail choquant qui finit par constituer l’idée centrale, la colonne vertébrale de son chef d’œuvre. « Je me souviens d’un témoignage de prisonnier qui avait entendu Edwig Höss se disputer avec son mari de l’autre côté du mur, lui signifiant qu’il faudrait la sortir de sa maison de force alors que le Reich songeait à muter la famille ».

    Edwig Höss, incarnée par Sandra Hüller (également dans la Palme d’Or de Justine Triet « Anatomie d’une chute »), que rien ne semble atteindre ni effrayer, pas même les consignes d’Hitler, représente à elle seule la force d’auto-persuasion et de déni dont l’humain est capable malgré l’horreur.

    « Ce film tente de parler à chacun d’entre nous quelque soit notre origine, et de questionner notre capacité à voir ces gens comme des personnes et non comme des monstres, c’était très important pour moi. La grande tragédie de cette histoire réside dans le fait que ce sont des êtres humains qui ont commis ces actes contre d’autres êtres humains. Et il est aisé de se distancer de cela, mais nous ne devrions pas, car même si nous savons qu’il ne faut pas agir ainsi, je crois que rien n’est impossible » explique Glazer.

    Sandra Hüller est Edwig Höss dans « La Zone d’Intérêt » – Leonine

    Atmosphère

    Au delà de la portée éminemment sociologique de « La Zone d’Intérêt », le film de Jonathan Glazer se distingue des autres films en sélection (et sur grand écran en général) par l’atmosphère à la fois paisible et inquiétante qui y règne. L’image, le dispositif ingénieux, la bande sonore de cet object cinématographique crie par chaque porte d’entrée le message que Glazer cherche à nous délivrer : « Entrez dans cette histoire, elle vous dérange mais elle vous concerne, elle nous concerne, tous ».

    L’entrée en matière se fait sur un carton de couleur immobile durant plusieurs minutes, un seul et même visuel coloré emplit l’écran, laissant l’espace au spectateur de se focaliser sur l’ambiance sonore à la place, intense et presque dérangeante. « Je me demandais comment entrer dans le film, dans cette famille, un peu à la manière d’un voyage dans le temps. J’avais besoin de créer un espace de préparation, de permettre au spectateur de mettre de côté leur rythme de vie effréné et de pénétrer dans cet espace » explique le réalisateur.

    Habitué aux ambiances exceptionnelles, Glazer est l’un des maitres incontestés de l’image. Son avant dernier film, « Under the Skin » avec Scarlett Johansson flirtait avec la science fiction avec un minimum d’effets spéciaux.
    Au gré de l’évolution des personnages, les cartons de couleurs se succèdent à l’écran, comme passant des paliers dans l’horreur et vers le déclin des Höss.

    Glazer, accompagné par le chef opérateur polonais Łukasz Zal (Ida, Cold War) a instauré un dispositif extrêmement rare au cinéma. Utilisant la photographie thermale (caméras repérant les objets par leur températures) notamment pour des scènes d’extérieur de nuit, le réalisateur explique, médusant la salle: « Nous avons utilisé un ‘objectif 21e siècle’, nous avions besoin que tout soit le plus naturel possible, il n’y avait aucune lumière artificielle, il ne fallait absolument pas que ça ait l’air d’un plateau de tournage, aussi nous avons installé une régie dans un container en dehors du jardin, et personne n’a jamais pénétré dans l’enceinte de la maison ou du jardin » relate le réalisateur. C’est d’ailleurs en Pologne que le film fût entièrement tourné.

    Le résultat de ces procédés savamment élaborés et de ces performances hors normes n’est rien de moins qu’un bijou de cinéma, dont le contenu est d’utilité publique. S’interroger sur la nature humaine reste l’essence du cinéma, et Jonathan Glazer porte cette mission au plus haut rang avec « La Zone d’Intérêt », reflet de la bête dans le miroir et de ce que nous avons de plus commun les uns les autres. Courrez donc en salle.

    « La Zone d’Intérêt », en salle depuis le 31 janvier 2024.

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