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    [Festival d’Avignon] « Carte noire nommée désir », le choc signé Rébecca Chaillon

    À Avignon, dans « Carte Noire nommée Désir », la performeuse, autrice et metteuse en scène Rébecca Chaillon clame le désir de vivre des femmes de couleur en dehors des stéréotypes dans lesquelles la société les enferme. Cette oeuvre collective, éminemment visuelle, est un véritable plaidoyer pour l'intersectionnalité des luttes.

    "Carte noire nommée désir" au Festival d'Avignon. Photo : Christophe Raynaud de Lage

    Rébecca Chaillon secoue Avignon et marque les esprits. La dramaturge, comédienne et performeuse signe une pièce de théâtre éminemment politique. Elle déclame avec une intelligence magistrale, une ode à la pensée décoloniale et aux femmes noires et métisses. Mince, en chair, tatouée, grande, petite, c’est une véritable déclaration d’amour à la pluralité des corps.

    Dans « Carte noire nommée désir », Rébecca Chaillon reprend donc les thématiques qui lui sont chères : le féminin, le rapport au corps, la nourriture, les legs du colonialisme. Sur la scène de l’Aubanel, elle convoque une multitude de disciplines. De la performance au chant, en passant par le jeu, jusqu’au cirque, on se dit qu’il faut au moins ça pour exprimer tout ce que l’artiste veut nous dire.

    Le spectacle commence avant de commencer. Les femmes noires et métisses sont invitées d’emblée à prendre place sur des canapés installés spécialement pour elles d’un côté du plateau, en face des gradins.

    Tandis que le public s’installe, sur scène Rébecca Chaillon récure inlassablement le sol avec ses propres vêtements. Les lèvres et les yeux grimés en blanc, elle frotte, rampe, se déshabille. Mais, rien n’y fait, le sol ne retrouve jamais son éclat blanc. Véritable performance, « Carte noire nommée désir » est portée par sept artistes femmes noires ou métisses, revendiquant toutes une identité plurielle.

    Car ce spectacle est bien l’histoire d’une rencontre nous dit Rébecca Chaillon. Elle a choisi de s’entourer – pour une fois – de femmes qui lui ressemblent.

    L’espace sacré du théâtre

    Soit autant de femmes qui n’occupent pas assez les planches de cet espace sacré qu’est le théâtre. Davide-Christelle Sanvee, Estelle Borel, Rébecca Chaillon, Aurore Déon, Maëva Husband en alternance avec Olivia Mabounga, Ophélie Mac, Makeda Monnet, Fatou Siby travaillent ainsi à faire passer ce message.

    Elles communiquent, se complètent, usent de leur corps, de leur voix, de leur talent de circassienne ou de harpiste. C’est ensemble qu’elles accompagnent Rébecca Chaillon dans son combat afroféministe. Entre chacune d’elles, il n’existe pas de hiérarchie. Pas de domination de la metteuse en scène sur les comédiennes.

    Dans son travail de déconstruction, le récit n’est pas épargné. Oubliez ce que clamait la comédienne Élisa Félix (1821-1858), dite Rachel : « Le théâtre, c’est simple, tu me parles et je te réponds ». Chez Rébecca Chaillon, le dialogue se fait rare, le récit est décousu et se présente plutôt comme une succession de tableaux où l’artiste vient poser le cadre idéal dans lequel les femmes issues de minorité de sexe ou de genre peuvent s’exprimer librement.

    La pièce devient alors un rituel où le spectateur n’a d’autre choix que d’écouter un message. Message que certains habitués du IN ont besoin d’entendre. Le branle-bas de combat se passe quand le spectateur devient acteur du récit.

    La bataille d’Hernani 2.0

    Si l’histoire du théâtre est jonchée de quelques batailles célèbres comme celle d’Hernani, les spectateurs présents vendredi 21 juillet à Avignon se souviendront de cette représentation. Alors que la pièce bat son plein depuis deux heures déjà, les comédiennes lancent un jeu où le spectateur doit deviner ce qu’elles miment sur scène.

    Avec des mots tels que : « zèbre, expatrié, racisme antiblanc, musée du Quai Branly… ». Une altercation survient quand les huit artistes tentent de faire deviner « colonialisme ».

    Tandis qu’elles déambulent entre les rangs pour saisir les sacs des spectateurs blancs, un homme refuse. Fou de rage, il se lève pour lancer un « c’est minable ! » en direction de la scène. Stupeur dans la salle. On peut être pour ou contre la mortification du spectateur, il existe une règle tacite au théâtre, on vient, on s’asseoit et on se tait. De facto, les esclandres sont rares dans un milieu qui peine à renouveler son public.

    La salle se scinde en deux, l’homme invité à quitter la salle, refuse de partir, arguant : « Je suis chez moi, ici ». Certains spectateurs prennent sa défense, d’autres apportent leur soutien à Rébecca Chaillon. Le théâtre plonge alors dans une cacophonie sourde, la sécurité intervient, une quinzaine de personnes décide de quitter les lieux. La pièce reprend, la metteuse en scène le remercie d’avoir démontré que « le privilège blanc avait encore de beaux jours devant lui ». 

    « Carte noire nommée désir », est une pièce sublime, c’est un cri du cœur, collectif, avec des moments de grâce comme la scène du repas aux relents scatophiles, ou celui où elles tressent les cheveux de Rébecca Chaillon en harmonie. Une pièce nécessaire donc, d’une poésie époustouflante.

    « Carte noire nommée désir » se jouera à l’Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris), du 28 novembre au 17 décembre 2023 ; au Volcan Scène nationale (Le Havre) les 2 et 3 février 2024 ; au Théâtre 71 Scène nationale (Malakoff) les 25 et 26 avril 2024.

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