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    A 80 ans, Scorsese devient la balise éthique d’Hollywood 

    Sorti en salles dans un contexte global tendu, Killers of the Flower of the Moon, le western décolonial du maître Scorsese revient sur l’histoire sombre du peuple Osage, natifs américains dont les femmes furent décimées par leurs maris blancs pour récupérer leurs richesses.

    Pendant près de 3h30, le film plonge le spectateur en 1894, année où les Osages, l’une des grandes tribus natives américaines, font fortune grâce à la découverte de gisements de pétrole sur leur territoire. Une aubaine qui attire les convoitises, notamment celle de William Hale – interprété par Robert de Niro – politicien mal intentionné se présentant comme donateur au grand cœur. Se met alors en place une machinerie d’une violence physique et psychologique inouïe.

    C’est grâce à la persistance de Molly Kyle, Osage elle-même mariée à un blanc, Ernest Burkhart – joués par Lily Gladstone et Léonardo Dicaprio – qu’une toute nouvelle structure d’investigation alors dirigée par un certain J.Edgar Hoover lève le voile sur des dizaines d’assassinats inexpliqués au sein de la tribu.

    Un projet reconsidéré

    On retrouve dans ce nouveau Scorsese toute la maîtrise de son art : des personnages de méchants charismatiques, une écriture inimitable, une mise en scène qui fait ressortir la richesse des protagonistes, campés par des interprètes  fidèles souvent oscarisés. Le tout donne à voir ce que l’humain peut présenter de plus vil tout en restant divertissant malgré la longueur !

    Mais pour Killer of the Flower Moon, Martin Scorsese a eu envie d’aller plus loin. S’il comptait à l’origine adapter le livre enquête du journaliste américain David Grann La Note américaine en western, sa rencontre avec les Osages a donné au projet une autre dimension. 

    Le réalisateur Martin Scorsese discute avec l’actrice Lily Gladstone sur le tournage de « Killers of the Flower Moon » – ©Paramount Pictures

    Lors de réunions publiques, «les Osage se levaient et parlaient, priaient, menaient des rituels, raconte le réalisateur. J’ai été extrêmement touché par ce que j’ai découvert et c’est ce qui m’a ancré dans ce projet. Je savais que leurs valeurs étaient tournées sur l’amour en général, et celui de la terre en particulier ». Progressivement, c’est donc une fresque autour de l’histoire osage qui a émergée. «Il s’agissait de comprendre comment vivre sur cette terre, et j’ai trouvé ces valeurs si importantes au sein de ce peuple que cela a complètement réorienté ma perspective sur notre mission même ici bas», poursuit le cinéaste. 

    Un récit colonial par ceux qui l’ont vécu

    Le film ne sera peut-être pas le plus gros succès de Scorsese, mais il fait aujourd’hui figure d’exception dans le paysage des blockbusters américains. Cette fois-ci, c’est un récit validé par une minorité spoliée et assassinée par ses colons qui défile à l’écran. 

    Conscient de l’influence que peut avoir un réalisateur de son envergure, Scorsese a même repoussé la production après ces rencontres. Témoin de cet engagement, Chief Geoffrey Standing Bear (Ours Debout), chef de tribu de la nation Osage, accompagnait le réalisateur lors de la présentation du film à Cannes. « Martin Scorsese a permis à de jeunes Osages de travailler derrière la caméra aux côtés de professionnels mondialement reconnus» se félicitait-il devant la presse. « Quand on voit le film, on entend nos chants et notre langue, certains comédiens la parlent même mieux que nous ! J’ai été ébloui par l’implication de ces acteurs. »

    Chief Geoffrey Standing Bear au 76ème festival de Cannes – ©Télé du Festival

    Premier rôle féminin, Lily Gladstone, actrice d’origine osage parle, elle, d’un film “juste”. Désignant Scorsese du regard, elle assure que «beaucoup d’artistes ont fait de très belles choses à notre sujet, mais le monde écoute ce que celui-là en particulier a à dire. Nous avons besoin de cette parole et d’alliés ».

    « On a toujours l’image problématique du sauveur blanc associée à un regard misérabiliste. Les réalisateurs autochtones font des choses superbes mais malheureusement moins plébiscitées. Il y a comme un refus des gens d’entendre des histoires de populations racontées par eux-mêmes. Je pense à Smoke Signals (Phoenix, Arizona en français) de Chris Eyre ou encore Reservation Dogs de Sterlin Harjo et Taika Waititi sur la vie quotidienne des réserves avec leurs acteurs et leurs humoristes. Cela pose également la question de l’accessibilité, les blancs ne connaissent pas l’humour indien ni les codes utilisés. On peut donc se demander à qui est destiné ce film. Est-il fait pour informer le blanc ou est-ce un petit pas dans la grande aventure de la décolonisation ? »

    Aude Chesnais, anthropologue spécialisée en écologie politique et des tribus Lakotas-Sioux dans le Dakota du sud.

    Une mise en garde

    Acteur fétiche du réalisateur, De Niro a souligné, lors de la présentation du film sur la Croisette, l’importance du rappel de la banalisation du mal, à l’époque comme aujourd’hui : « Je ne comprends toujours pourquoi Hale a fait ça (…) nous devons gardé les yeux ouverts car ce phénomène n’est pas révolu, et nous l’avons vu avec l’affaire George Floyd». Autre abonné aux films de Scorsese, DiCaprio voit lui dans « Killers of the Flower of the Moon » une illustration, à travers de personnages cruels, des dérives du capitalisme.

    Leonardo DiCaprio à la conférence de « Killers of the Flower Moon » au 76ème festival de Cannes

    La démarche – raconter l’histoire par ceux qui la vivent – est la philosophie même de Guiti. Dans une actualité tumultueuse, il est encourageant de voir un maître incontesté du cinéma adopter cette réflexion qui n’est pas sans risque. “Je dois prendre des risques à mon âge, glisse d’ailleurs, malicieux, Scorsese à Cannes. Que voulez-vous que je fasse de toute façon ? Que je me prélasse sur un tournage au soleil ?!”

    Le réalisateur Martin Scorsese et l’acteur Robert De Niro au 76ème festival de Cannes

    “Killers of the Flower Moon” est en salles depuis le 18 Octobre.

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