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  • C'est leur histoire

    Traduire la souffrance des personnes exilées : le délicat travail des interprètes en santé mentale

    Alors que les personnes exilées sont particulièrement exposées à la souffrance psychique, consulter en santé mentale nécessite souvent, pour elles, de faire appel à un interprète. Un métier difficile et pourtant peu encadré, qui nécessiterait, selon les associations de mettre en place des formations et un accompagnement psychologique spécialisé.

    « Nous recevons des témoignages difficiles, mais les interprètes filtrent deux fois la violence. Ils l’entendent en premier dans leur langue, puis ils la retranscrivent en français ». Sabine, infirmière en psychiatrie dans un hôpital de Limoges (Nouvelle-Aquitaine), reçoit tous les jours dans son cabinet des personnes en situation de migration accompagnées d’interprètes.

    « Le traducteur, on l’occulte complètement. Il parle en écho, quand nous nous adressons directement à la personne soignée », raconte-t-elle ainsi. « Ce qui nous permet d’avoir les mimiques, les gestes. Tout est traduit ».

    Syndrome post-traumatique, anxiété, dépression : les personnes en situation de migration sont particulièrement touchées par la souffrance psychique, comme le souligne le rapport du Centre Primo Levi.

    Quid d’un travail complexe

    La barrière de la langue pouvant être un frein à leur prise en charge, faire appel à des interprètes lors des consultations apparaît comme une nécessité. Leur travail est pourtant particulièrement ardu. Barki Diabasy* interprète en malinké, soso, pular et diakhanké (des langues principalement parlées en Guinée) se dit éprouvé au quotidien par les récits des patients.

    « Quand on interprète, on est avant tout un être humain et on entend des choses pas simples ». Traduire ravive alors ses propres souvenirs. « Au même titre que d’autres personnes, je suis arrivé en tant qu’immigrant en France. J’ai mon histoire à moi, et donc entendre à chaque fois les expériences des uns et des autres, c’est très dur psychologiquement », nous partage-t-il ainsi.

    Dans l’entreprise où Barki Diabasy travaille, un service de suivi psychologique a été spécialement mis en place pour les interprètes. Mais, selon lui, cela n’est pas suffisant. « Il faut faire des formations pour pouvoir emmagasiner tout cela », insiste le professionnel.

    Une relation à trois

    La relation triangulaire nouée dans les cabinets de psychothérapie expose les interprètes à de multiples difficultés. D’autant plus isolées qu’elles ne parlent pas français, les personnes exilées peuvent chercher à nouer des liens avec leur traducteur.

    Et cela, Barki Diabasy en fait souvent l’expérience. « Nous rencontrons des personnes qui souhaitent souvent sympathiser avec nous. Personnellement, cela m’arrive que l’on demande mon numéro. Je réponds toujours non, car je souhaite rester anonyme. C’est dur, mais j’essaie d’être rationnel ».

    De son côté, le personnel soignant attend parfois des interprètes qu’ils expliquent des mœurs, états psychiques ou émotions qui n’ont pas d’équivalent dans les deux langues. « Ils sont autant traducteurs que médiateurs », affirme ainsi Sabine. « Nous avons souvent besoin d’éclaircissements. Il est des choses qu’on dit comme ça dans notre langue, qui sont intraduisibles dans d’autres ».

    C’est d’ailleurs souvent le cas avec les termes médicaux comme « traumatisme » ou « dépression ». A Parcours d’Exil, un centre de soin spécialisé dans la santé mentale des personnes exilées à Paris, les consultations se déroulent sans traduction. Derrière ce choix, une question de coûts, mais aussi la volonté d’éviter la présence d’un tiers dans la relation thérapeutique.

    Clémence Chamoin, directrice du centre, explique que la gestion des traumatismes s’y prête mal. « Il est difficile, par exemple, de parler d’agression sexuelle devant quelqu’un d’autre ». Elle remarque aussi que pour les personnes fuyant des situations d’oppression ou de torture, se retrouver en consultation avec un membre de sa communauté peut être violent et inhiber la parole.

    Dans ce centre, les personnes ne parlant ni anglais ni français se voient alors proposer une approche de soin corporelle, qui mobilise des exercices de respiration, des mimes, des dessins… et des logiciels de traduction.

    Distanciation et déontologie

    D’autres structures appuient plutôt dans le sens d’un meilleur encadrement des interprètes. En 2012, une charte a été élaborée par un réseau associatif, qui définit les fonctions, les compétences et la déontologie de l’interprète en milieu médical et social. Cette charte a d’ailleurs inspiré un référentiel publié par la Haute Autorité de Santé, première ébauche d’encadrement public de l’interprétariat dans le domaine.

    La fidélité de la traduction, le secret professionnel, l’impartialité et le respect de l’autonomie des personnes sont les grands principes de déontologie précisés par la charte. Des principes qui visent aussi bien à garantir une relation de soin humaine et efficace aux patients qu’à préparer les traducteurs aux embûches de leur métier.

    « Ils doivent pouvoir gérer une situation asymétrique entre soignant et soigné et comprendre aussi qu’il faut maintenir une distance avec ces derniers », explique Charlotte de Bussy, responsable du service d’interprétariat d’Osiris, un centre de soin basé à Marseille. « Nous ne leur demandons pas d’être insensibles. Mais de poser leurs limites. Être trop proche peut détériorer la relation de soin ».

    Une posture difficile, qui nécessiterait, selon la responsable, beaucoup plus d’encadrement comme de financements publics, alors que la majorité des traducteurs exercent sous le statut d’auto-entrepreneur comme prestataires des hôpitaux et des associations qui font appel à eux.

    * Le nom a été modifié.

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