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  • C'est leur histoire

    Ni d’ici, ni d’ailleurs : Mahmoud & Ali, réfugiés Sahraouis, racontent l’apatridie #4

    En 2021 en France, 20% des demandes de reconnaissance du statut d’apatride émanent de ressortissants du Sahara Occidental. Rencontre avec Ali et Mahmoud, originaires de ce territoire revendiqué par le Maroc et dont l’indépendance n’est pas reconnue par les instances internationales.

    Mahmoud Rais Zouida à Paris, en février 2023

    Le 6 novembre 1975, plus de trois cent mille Marocains marchent pacifiquement vers le sud du pays, après un appel lancé par le monarque Hassan II. L’objectif du pouvoir marocain, clairement affiché, est d’établir la souveraineté du royaume sur le Sahara occidental.

    L’Espagne, qui colonise alors la région, souhaite la quitter. Un an plus tôt en 1974, le pays a d’ailleurs annoncé un « référendum d’autodétermination ». Mais depuis 1956 et son indépendance, le Maroc considère comme sien ce territoire et veut tout faire pour en empêcher l’autonomie. Pour éviter tout conflit armé avec l’Algérie et les premiers combattants indépendantistes du Front Polisario (un mouvement politique et armé du Sahara occidental créé en 1973 pour lutter contre l’occupation espagnole), le Maroc fait alors appel à son peuple pour entrer pacifiquement au Sahara, un Coran et un drapeau du Maroc à la main.

    Ces civils seront entourés par près de vingt mille soldats des Forces armées royales, aucun coup de feu ne sera tiré. L’opération est un succès.

    S’ensuit alors une négociation entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie pour départager ce territoire. 80 % des terres, à l’ouest, sont cédées au royaume et 20 %, au sud, sont cédées à la Mauritanie. Mais le Front Polisario, depuis 1976 et sa proclamation de la République arabe sahraouie démocratique, ne cesse de revendiquer sa légitimité sur le Sahara qui, aujourd’hui encore, est l’objet d’une forte contestation.

    Nancy, Paris, et les ennuis

    Mahmoud Zouida Rais, originaire du Sahara, est arrivé en France après le processus de paix lancé entre le Maroc et le Front Polisario, géré par l’ONU. Si un référendum était à la base prévu en 1991, il n’a jamais eu lieu. En 1994, Mahmoud quitte le pays pour faire ses études, avec l’idée, en tête, de rentrer chez lui un jour, quand « le problème du Sahara sera résolu ».

    Il fait ses études dans le génie civil, à Nancy dans l’Est de la France. Puis un ami Sahraoui, lui aussi à l’université, lui propose de le rejoindre en région parisienne. En 2000, Mahmoud arrive à Paris, avec un passeport algérien dont la date de validité arrive à expiration. Il vit de petits boulots et de débrouille. Finalement, il est embauché dans une société sous-traitante de la SNCF, spécialisée dans les bâtiments industriels et les structures métalliques. C’est là que les ennuis commencent pour Mahmoud, qui effectue alors plusieurs tentatives de renouvellement de son passeport auprès des autorités algériennes.

    Ces passeports, sortes de laissez-passer, sont délivrés à titre exceptionnel aux réfugiés sahraouis. Mais ils ne sont pas tout à fait la preuve d’une reconnaissance de leur nationalité par les autorités algériennes. Alors qu’il s’apprête à se lancer dans une vie professionnelle stable, Mahmoud se confronte aux méandres de l’administration française. « Je suis allé voir un avocat et lui ai dit directement : j’ai un problème, je ne suis pas Marocain, pas Algérien, pas Mauritanien… je suis du Sahara. Mais je ne peux pas rester comme ça, sans nationalité ni statut. Que me conseillez-vous ? » . L’avocat lui conseille alors de demander le statut de réfugié politique, mais Mahmoud lui rétorque qu’il n’a aucun problème politique avec son pays et son peuple. « On peut dire que vous êtes dans le cas de quelqu’un sans pays », lui répond finalement son conseil.

    En 2003, il fait donc une demande de reconnaissance d’apatridie à l’OFPRA, « je voulais quelque chose qui m’appartienne, je ne pouvais pas me permettre de perdre mon identité ».

    Viennent alors les entretiens avec les services de l’immigration. « Pour la reconnaissance d’apatridie, il faut prouver sa non appartenance à un pays » détaille Mahmoud, « sauf que je voulais garder mon lien d’identité avec mon pays et ma liberté ».

    « Une vie typiquement sahraouie. C’était ma famille. »

    L’homme est issu d’une famille de sept personnes, « nous sommes des nomades, à la base. Ma famille habite au Sahara occidental, côté Laâyoune – Sakia El Hamra. Mes parents vivaient de l’élevage de moutons et de dromadaires, une vie typiquement sahraouie. Ils passaient du nord au sud et du sud à l’est. C’était ma famille. »

    Lui a grandi dans les camps de Tindouf, à l’est, qui ont vu le jour quand l’Algérie a ouvert sa frontière. « L’identité sahraouie, politique, commençait à être créée au moment où l’Espagne a cédé deux tiers du territoire au Maroc et un tiers à la Mauritanie. Quand le Sahara a été divisé en deux par les accords de Madrid en 1975, les Marocains sont arrivés par le nord et les Mauritaniens par le sud. Le peuple sahraoui s’est donc retrouvé coincé géographiquement, il a été forcé à partir vers l’Est. C’est là que l’Algérie a ouvert ses frontières pour accueillir ces réfugiés, nous ».

    De cette période, Mahmoud ne conserve que peu de souvenirs : « J’étais tout petit. J’ai seulement, parfois, quelques flashs. Mais mes frères s’en souviennent. Nous sommes partis dans les campements, à l’Est. A partir de 1976, nous avons été des milliers à être accueillis au sud de Tindouf, dans le plus gros des campements de réfugiés, c’était presque une ville ».

    A l’époque, la plupart des jeunes étaient intégrés à l’armée de lutte pour l’indépendance, le Front Polisario. « La majorité de mes frères, mon père et toute la famille proche se sont engagés. Et moi, très tôt, j’ai été envoyé au centre de l’Algérie pour entamer mes études. J’y ai grandi jusqu’à mes quinze ans. A certains moments, nous revenions dans les campements sahraouis pour revoir nos familles. Mais la guerre a duré, et le conflit entre le Polisario et le Maroc dure encore aujourd’hui ».

    Puis il y a eu la proclamation de la République sahraouie, le début de la mise en place de ses services administratifs, et de sa politique, exilée en Algérie. « Quand j’ai eu mon bac, je suis revenu sur les campements. Sur la terre d’un pays dont mes parents et mes grands-parents me parlent sans arrêt et dont ils me transmettent depuis tout petit le savoir et la culture. Petit à petit, je me définissais véritablement comme Sahraoui. Encore plus quand je retournais dans les camps voir mes frères et mon père qui revenaient des zones de combat ».

    La guerre contre le Maroc a duré quinze ans. La Mauritanie, elle, a lâché l’affaire en 1979 car le Polisario concentrait ses attaques contre elle, « la partie la plus faible ». Mahmoud précise : « La Mauritanie est plus proche de nous, nous parlons le Hassanya, la même langue, on s’habille pareil, en boubou africain, nous partageons plein de choses. Moins avec le Maroc, avec qui nous n’avons pas la même langue ni la même culture ».

    « Il fallait prouver que j’étais Sahraoui »

    Un plan de paix est donc lancé en 1991 par l’ONU. « Personne n’allait gagner militairement ». Un cessez-le-feu est décrété, et la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental, la MINURSO, est lancée.

    « Nous, on a vraiment cru, après avoir perdu tant de proches, que c’était la fin de nos souffrances. C’est cette année-là que j’ai eu la possibilité de partir passer mon baccalauréat à Barcelone en Espagne, et de revenir un an après, dans l’espoir que ce référendum soit organisé. Il y avait tout ! La préparation des listes électorales, tout. On avait l’impression d’être sur le pas de la porte, et qu’il fallait juste l’ouvrir pour trouver le bonheur » se remémore Mahmoud.

    Mais les choses se compliquent, le vote se fait attendre et les personnes commencent à perdre espoir, « moi le premier. De mon côté, je décroche une bourse d’études en 1994 et je décide de venir très vite en France. Je n’avais pas rêvé, à la base, de venir en France. Au Sahara nous avions même plus de liens culturels et historiques avec l’Espagne qu’avec la France et nous parlions plus l’espagnol que le français ».

    « Mais j’ai dû encore expliquer que je n’étais ni Marocain, ni Algérien, ni Mauritanien ».

    A son arrivée dans l’Hexagone, ses rendez-vous avec l’Ofpra ne sont pas faciles, « car il fallait prouver que j’étais Sahraouis ». Deux choses le lui permettent : « ma pièce d’identité et ma langue. Et nous sommes identifiés comme réfugiés par les Nations Unies. Quand le référendum a commencé à être préparé, nous avons été inscrits sur les listes électorales, donc ils nous connaissent. Mais j’ai dû encore expliquer que je n’étais ni Marocain, ni Algérien, ni Mauritanien ».

    Comme pour de nombreux Sahraouis en exil, la question de la langue, de la culture et des traditions est éminemment présente. « Depuis tout petit, je me sens Sahraoui, car ma culture m’a été transmise par mes parents, par mes grands-parents. Par la parole, par l’identité, ça on ne peut jamais l’oublier. Mais ne pas avoir d’identité reconnue internationalement, ne pas avoir de passeport, ça fait mal au cœur. On se bat pour ça, mais la France et d’autres pays n’ont pas contribué à faire reconnaître l’indépendance du Sahara. Aujourd’hui, ce sont trois générations de jeunes qui sont perdues, sans État » conclut Mahmoud.

    Reconnu apatride en 2003, Mahmoud a obtenu la nationalité française en 2005. Si il est aujourd’hui Français, son cœur reste Sahraoui et l’homme continue de transmettre sa langue et sa culture à ses enfants.

    Ali, dans un café de Paris en 2023

    Une enfance dans un camp de réfugié à Smara


    Né en 1993 dans un camp de réfugié à Smara, une ville du Sahara occidental, Ali Bachir Mustafa a vécu une grande partie de sa vie dans ce camp, où il a également été scolarisé. Il a grandi auprès de sa famille sur ce territoire contrôlé par les Marocains. Comme tous les Sahraouis nés dans les camps et qui souhaitent aller à l’université, Ali Bachir fait sa valise, direction l’Algérie afin de poursuivre ses études supérieures.


    Ali Bachir est entré en Algérie grâce à un laissez-passer considéré par les autorités algériennes comme un titre de séjour. Son master 2 portait sur la civilisation américaine et les cours étaient dispensés en anglais. Il a vécu pendant plusieurs années entre l’Algérie et la Sahara occidental, jusqu’en 2019, quand il a décidé de s’aventurer en Europe.

    Arrivé en France en 2019

    Ali Bachir arrive en France en 2019 à l’aéroport de Metz-Nancy, en Lorraine. Les premières choses dont il se souvient, « ce sont les visages inhospitaliers des gendarmes ». Lorsque l’un d’entre eux lui demande ses papiers, à défaut d’un titre de séjour français, il présente son passeport sahraoui. « Les gendarmes m’ont humilié, car pour les Français le Sahara occidental n’est pas considéré comme un pays », raconte-t-il, déçu.


    Pendant trois mois, Ali est hébergé par un couple français qui a pris sa situation très au sérieux. Il commence à suivre des cours de français gratuitement à l’université de Nancy et tente aussi de s’améliorer en regardant la télévision.

    Le statut apatride de l’Ofpra

    Deux longues années se sont écoulées, entre les premières démarches administratives d’Ali Bachir auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), et la reconnaissance officielle de son statut d’apatride. « Je ne pardonnerai jamais à la France de m’avoir fait perdre deux ans de ma vie », lâche-t-il. Il nous explique pendant l’entretien que la famille française qui l’a hébergé lui conseillait dès les premiers jours d’aller vivre dans un autre pays Européen, pour éviter l’enfer de l’administration française notamment en termes de politique d’accueil. « Si j’avais su que j’allais perdre ces deux années de ma vie en France je n’aurais jamais mis les pieds ici ».


    Pendant ces deux années, pour lutter contre le stress et l’angoisse de l’attente, Ali Bachir partage son temps entre la pratique du sport, les Restos du cœur et une bibliothèque de Nantes. Il dort en effet dans cette ville de l’Ouest de la France, chez une sœur, seule membre de sa famille en Europe hors des camps de réfugiés. Elle vient alors de s’y installer avec son mari, un ressortissant espagnol.

    La peur et l’insécurité

    « Vivre pendant deux ans sans papier, pour moi, c’était une forme d’incarcération. Pendant deux ans, je n’existais pas. Quand je sortais pour faire du sport mon cœur battait, encore plus fort en présence des policiers, je sentais tout à coup cette peur, ce sentiment d’insécurité me rongeait tous les jours ».
    Ali a reçu la réponse positive de l’Ofpra pour lui et sa famille comme un trophée : « vous vous rendez compte que le résultat de cet entretien allait dessiner le chemin de mon avenir ? D’une lettre de dix grammes dépendait mon destin », raconte-t-il en gesticulant.

    Les projets d’Ali Bachir


    Après avoir reçu le statut d’apatride, Ali a voulu poursuivre ses études en France. Il a même été accepté à la Sorbonne, dans un master en journalisme. Une nouvelle victoire, pour Ali Bachir, qui ne cache pas sa fierté d’avoir étudié dans l’une des plus prestigieuses universités en France.


    Ali travaille aujourd’hui chez International SOS, une société de services qui propose des prestations de prévention médicale et de sécurité, d’accès aux soins et d’intervention en cas d’urgence aux entreprises mettant en place des opérations à l’international. Il aimerait, une fois dans sa vie, voter lors d’une élection en France. Mais il hésite encore à demander la nationalité française pour exercer ce droit.

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