Exilé et précaire, se déplacer dans la ville #2 : s’endetter pour un titre non-validé
Problématiques économiques, peur du contrôle, discriminations… Dans cette série d’articles, Guiti News revient sur la difficile mobilité des personnes exilées en situation de précarité dans la ville de Paris. Focus sur le prix des transports et ses conséquences : fraude, endettement… Une solution est avancée : le vélo.
En banlieue parisienne, Bintou* sort du Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) dans lequel elle est hébergée. Elle va rejoindre son fils qui a passé le weekend chez son père. Pour se rendre dans la capitale, la jeune maman doit prendre un bus, un RER et deux métros. « Ça fait trois tickets différents uniquement pour l’aller, s’insurge-t-elle, c’est cher ».
C’est à des centaines de kilomètres de là, depuis l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration) de Toulouse, que Sarah* a déposé sa demande d’asile. Elle doit à présent se rendre à Paris pour son rendez-vous avec l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Sans aucune ressource, ses billets de trains seront remboursés par l’Ofii, mais « à moi de me débrouiller pour payer le RER depuis la gare », s’attriste-t-elle.
« Les personnes exilées ont un quotidien complexe et coûteux »
« Contraintes de se déplacer dans des lieux parfois très éloignés les uns des autres pour effectuer leurs démarches administratives, se rendre dans des services d’aide alimentaire, se doucher, charger leur téléphone ou consulter un médecin, les personnes exilées ont un quotidien complexe et coûteux », peut-on lire dans le rapport Les Oubliés du droit d’asile, basé sur une enquête réalisée auprès de cinq structures d’accueil à Paris en juin 2021 par plusieurs associations, parmi lesquelles Action contre la faim ou encore le Secours Catholique.
Si un ticket à 1,90 € peut paraître peu cher pour certains, pour d’autres, ceux qui n’ont aucune aide, aucun revenu, assurer chaque déplacement devient compliqué.
Frauder pour s’en sortir
Les primo-arrivants, par exemple, n’ont aucune aide. Les personnes sans papiers doivent justifier de trois mois en France pour prétendre à l’Aide Médicale d’État (AME), avant de pouvoir toucher les aides aux transports. Du côté des demandeurs d’asile, ils doivent attendre trois mois minimums de présence et de démarches administratives, avant de pouvoir bénéficier de 75% de remise sur les transports, avec la Tarification Solidarité Transport.
Géographe, Joanne Le Bars dédie son travail de recherche aux trajectoires des femmes exilées dans la ville. Pour elle, il existe une « hiérarchisation créée par l’Etat des personnes en difficulté ». Le passe Navigo, par exemple, est gratuit pour les personnes réfugiées allocataires du RSA, mais pas pour les demandeurs d’asile.
La fraude constitue ainsi pour certains le seul horizon de mobilité. A l’instar d’Eshani*. D’abord placée sous procédure Dublin -passée par la Pologne- et même après avoir déposé sa demande d’asile en France, la jeune afghane n’avait pas de quoi « payer les 60 € par mois de transport » durant ses premiers mois à Paris. Et d’expliquer : « il m’arrivait de payer mais parfois je sautais par-dessus les barrières. D’autres fois, je passais avec d’autres personnes. Mais, dès que je fraudais j’avais peur de devoir payer une amende ».
Selon l’urbaniste et géographe Emma Peltier, « la fraude devient un moyen de se déplacer, c’est un des risques supplémentaires : les déplacements sont stressants et il y a des risques d’altercations conflictuelles avec les forces de l’ordre », analyse-t-elle. Selon elle, il existe pour certaines personnes une forme de « relativisme vis-à-vis des amendes » quand d’autres les cumulent avec majoration. « Lorsque ces personnes réussissent enfin à travailler et peuvent ouvrir un compte en banque pour s’insérer dans la société, elles sont pénalisées par leurs années de précarité et leurs impayés », précise la géographe.
Le vélo comme solution ?
Dans le quartier de l’Horloge du troisième arrondissement de Paris, un petit groupe d’une quinzaine de personnes se retrouve pour un cours de vélo. L’une d’elles, Francine Binda, nous raconte son histoire : « Je suis en France depuis 2015, j’ai déposé une demande d’asile, mais ça n’a pas marché. Là je suis dans un centre d’hébergement social ».
Avant, Francine utilisait le métro pour se déplacer, mais le coût quotidien a fini par l’en dissuader. « En plus, on a l’impression d’être enfermés et on ne découvre pas trop la ville », murmure-t-elle.
L’an dernier, une autre solution lui est proposée : prendre des cours de vélo. « C’est ainsi que j’ai découvert l’association Cycl’Avenir et le programme « En s’elles » », se souvient Francine. Elle y apprend le vélo, tout comme le respect du code de la route. Un programme de six mois, qui lui permet aussi de découvrir la capitale française sous un nouveau jour. Depuis, elle s’est investie comme bénévole dans l’association, afin d’accompagner d’autres femmes vers une mobilité plus sereine.
« Ça coûte bien moins cher à terme que de prendre le métro tous les jours »
Si la pratique du vélo s’est particulièrement étendue ces dernières années à Paris, la géographe Emma Peltier tient à nuancer. Aucune des femmes qu’elle a pu interroger dans son enquête ne pense à ce moyen de transport.
Pour Maryline Robalo, responsable de l’association Cycl’Avenir, si les personnes exilées n’optent pas pour le vélo, c’est parce qu’il n’est pas encore perçu comme un moyen de déplacement accessible à tous. « C’est vu comme un sport de personnes aisées, alors que ça coûte bien moins cher à terme que de prendre le métro tous les jours », insiste-t-elle en accompagnant le groupe d’apprentis cyclistes.
Le transport ne symboliserait-il pas un problème plus fondamental encore d’accès aux infrastructures ? C’est le postulat d’Emma Peltier. « Dans des endroits éloignés des centres, les personnes rencontrent des difficultés d’accès aux infrastructures mais aussi à la nourriture ».
*Les noms ont été modifiés
Photos : Justine Segui et image libre de droit pexels, Jean Baptiste Burbaud et Loïc Dayant
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