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  • C'est leur histoire

    Mineur isolé étranger cherche carrière de footballeur en France

    Après avoir fui la Côte d'Ivoire et survécu à l'enfer libyen, Souleymane Koné, 17 ans, atterrit à La Colline, dans le nord de Paris. Ce n'était pas franchement l'idée que le jeune homme se faisait de la France. Mais le lieu, décrié pour son trafic de drogue, est devenu pour lui un repaire. Un espace de sociabilité, où il aime à passer le temps. Récemment reconnu mineur isolé étranger, Souleymane aspire désormais à devenir footballeur. Portrait.

    Le rêve de Souleymane Koné, 17 ans, c’est d’être footballeur au club de Bobigny en région parisienne.  “En Côte d’Ivoire, tu es soit commerçant, soit mécanicien, soit footballeur. J’ai grandi avec Abdul Razak et Souleyman Doumbia, alors je suis allé à l’internat, mais ça n’avançait pas assez vite. Turin et Paris étaient mes deux choix”.

    Pour ce jeune ivoirien, orphelin depuis l’âge de 10 ans, il aura fallu traverser quatre pays avant d’arriver en France. Bien loin de son idéal, depuis Bondoukou, sa ville natale, Souleymane a atterri à la Chapelle où Guiti News l’a rencontré un soir de Juillet. Son seul espoir? Avoir enfin été reconnu mineur isolé étranger en France. Retour sur le parcours infernal d’un joueur ambidextre.

    « Tant que tu ne payes pas, on te frappe »

    Du Burkina Faso, en passant par Niamey au Niger, il a connu l’enfer de la Libye où il est resté des mois en prison. « C’est les touaregs qui nous ont sauvé dans le désert, à Gharyan. Je suis allé cinq fois en prison là-bas. Ils nous entassent en sous-sol, on est au moins 2000 personnes ! Il y a tellement de monde que tu te fais voler sans arrêt. Tu sers toi-même de caution. Tant que tu ne payes pas, on te frappe… Si tu as des parents qui peuvent envoyer de l’argent ça va, sinon le seul qui puisse t’aider, c’est Dieu. C’est du 100% sûr ».

    Avec seulement 10 000 francs CFA planqués dans une chaussette (l’équivalent de quinze euros), Souleymane a eu de quoi acheter du pain puis s’est échappé de prison. « J’ai travaillé dans la deuxième prison où j’étais pour payer la dette que j’avais dans la première…C’était affreux, ils vous rendent fou là-bas en vous empêchant de dormir. Si vous avez la chance de trouver un endroit pour vous allonger, vous n’avez pas intérêt à vous retourner, sinon on vous frappe encore! C’est un libyen avec qui je travaillais dans les champs qui a payé pour moi, après qu’il a eu confiance en moi. Si un libyen t’aide à t’échapper, il va en prison et toi avec ! »

    Après l’enfer libyen, Souleymane trouve refuge en Italie. En Sicile, puis dans le Nord à Turin. Là, la Croix rouge le prend en charge, avant qu’une association ne l’aide à réaliser son rêve. « En Italie, j’avais une éducatrice exceptionnelle, Simonetta, qui encore aujourd’hui me demande de rentrer. J’étais dans une famille d’accueil et je jouais au sein du club Uno, un club de série B en Italie. Ils se sont vraiment bien occupés de moi. Mais, après ils ont voulu me transférer à Naples. Je ne pouvais pas, les noirs se font égorger là-bas, ils sont trop racistes! ».

    Cap sur la France, dérive sur La colline

    Souleymane parlant le français, c’est alors vers l’Hexagone qu’il met le cap. « Quand tu arrives ici, on s’en fout de ce que tu vas faire. Cela fait des mois que je suis arrivé, et je n’ai toujours rien fait ». En France depuis novembre 2018, c’est à La Chapelle qu’il passe ses nuits jusqu’à mai 2019, et à la Villette qu’il prend sa douche tous les matins. L’adolescent confesse qu’il a entendu parler du lieu « un peu bizarrement ».

    « Les noirs se repèrent entre eux et s’échangent les tuyaux. On vend des cigarettes. Les tentes aussi se vendent entre migrants, entre cinq et vingt euros. Il y a beaucoup de guinéens et de sénégalais. Moi j’ai rencontré Paul, qui est là depuis une vingtaine d’années. Il m’a fait confiance parce que je fume pas de drogue, et c’est rare là-bas, donc il m’a laissé dormir dans sa maison ».

    La “maison” de Paul, c’est un abri de fortune fait de bois et de tôle sous le boulevard périphérique au niveau de la porte de la Chapelle. Ces quelques maisons font directement face aux tentes, de l’autre côté de la bretelle périphérique, où la violence fait rage. Et pour cause, ce lieu réputé pour le trafic de crack attire pêle-mêle cadres français, mères de famille et demandeurs d’asile, tous réunis par la même chose: l’addiction.

    « Tous les matins, des gens viennent acheter pour 400 ou 500 euros. Des demandeurs d’asile mettent leur allocation dans leur dose, d’autres personnes qui travaillent finissent pourtant par dormir dans leur voiture pour pouvoir continuer à s’approvisionner. Les migrants qui se retrouvent là finissent mal. J’ai vu un guinéen en possession de tous ses papiers mourir à cause du crack.Tous les jours des gens meurent là-bas ».

    Le crack, réputé pour être une drogue peu chère, est également addictif dès la première dose, faisant des plus vulnérables des cibles idéales pour les dealers.

    « Beaucoup d’hommes veulent se marier pour avoir les papiers, alors si un homme rencontre une femme fumeuse ici et qu’elle lui propose une dose, il va dire oui, mais il ne sait pas ce qu’il y a dedans. En une seule prise, sa vie est foutue. Il y a même du crack en comprimé que certains font passer pour des médicaments! 60g de méthadone dans ton café et ça peut te tuer! Ces hommes peuvent dormir pendant trois ou quatre jours et quand il se rendent compte de ce qui leur est arrivé, c’est déjà trop tard. Ça me décourage de la vie parfois… ».

    La discorde publique

    Le trafic de drogue et la violence riment également avec prostitution dans un quartier où pourtant, à quelques centaines de mètres, rien n’y paraît. A l’instar de Pierre-Gabriel Pichon, photographe de mode vivant à 300 mètres du périphérique, des familles aisées vivent au calme avec leurs enfants sans jamais être importunées par ce qu’il se passe en bas du boulevard.

    « Nous n’avons jamais eu le moindre souci avec les migrants ni même les dealers. En réalité nous n’avons aucun échange, nous ne faisons que les voir passer d’un endroit à l’autre. Il arrive que certains d’entre eux se reposent dans le parc où nous allons avec les enfants, mais ils ne nous importunent jamais ».

    Cela n’en inquiète pas moins l’édile de Paris Anne Hidalgo, qui n’hésite pas à interpeller le ministère de l’Intérieur, exigeant une prise de responsabilité de l’Etat dans la gestion de la situation migratoire, ainsi que la police nationale dans la régulation du trafic incessant gangrenant tout un arrondissement.

    Souleymane soutient, lui, que la présence régulière de la police et d’une antenne de la mairie de Paris localisée sur ce même boulevard de la Chapelle, n’ont pourtant rien changé à la situation. « La police passe souvent. Elle prend des dealers, mais aussi des femmes qui se prostituent. Les ministres, les députés, tout le monde passe par ici et sait ce qu’il s’y passe. Au final, chacun fait sa vie, moi je viens ici pour parler avec les anciens qui me donnent beaucoup de conseils, on se respecte beaucoup ».

    Si, pour les pouvoirs publics le crack est le premier responsable de cette situation à conséquences multiples, pour Souleymane, c’est bien le grigri sénégalais qui serait le plus à craindre.

    Souleymane à Jaurès Paris

    L’espoir d’un joueur ambidextre

    Depuis mai dernier, Souleymane a été reconnu mineur par le département de Seine Saint-Denis (autorité compétente dans l’établissement de la minorité des mineurs étrangers ndlr), après un test osseux en second recours. Il dépend depuis de l’Aide sociale à l’enfance qui lui octroie une allocation de 300 euros par mois et une place dans un hôtel à Saint-Ouen, où il partage une chambre avec trois autres jeunes hommes dans la même situation.

    Souleymane fait partie de ceux qui ont la chance d’être reconnus mineurs. Car beaucoup, pris dans le goulot d’étranglement de l’administration qui doit aujourd’hui gérer près de 40 000 cas, passent la barre fatidique des 18 ans dans l’attente de leur évaluation. Pour ceux-là, c’est un destin bien différent qui les attend, où ils n’auront presque aucun recours administratif pour s’en sortir.

    « Je suis reconnu mineur mais on ne m’envoie pas à l’école! On me dit de chercher une formation professionnelle moi-même, mais comment puis-je faire dans cette situation? J’aimerais qu’on m’aide à intégrer une formation dans le foot, et au lieu de ça, on me laisse à l’hôtel toute la journée, sans suivi, sans rien, et tout ce qu’on mon éducatrice sait dire c’est “va chercher du travail ». Avec 300 euros par mois, j’ai l’impression qu’on me pousse à aller voler ! A la Chapelle, il y a plein de gens qui me donnent des choses ». 

    Bien décidé à ne pas baisser les bras, Souleymane a rempli un dossier d’inscription auprès du club de Bobigny et espère être pris en formation. Bien qu’il passe souvent ses journées au coeur d’un quartier où règne les stupéfiants, il refuse systématiquement de rentrer dans ce cycle qu’il sait dangereux pour son objectif.

    « Quand je suis arrivé, on m’a proposé du bedo, mais j’ai vite vu que ce n’était pas bon pour mon projet dans le football. Et, comme je n’ai que ça en tête, je ne fume jamais. Et puis, ce n’est pas l’argent qui m’intéresse, mais la vie d’un homme ; alors pour devenir ce que je veux, je dois lutter, je n’ai pas le choix ».

    En attendant l’appel du club de Bobigny et de suivre les traces de Razak et de Doumbia, Souleymane prie toutes les quatre heures, et reste convaincu que la sienne finira par sonner, bientôt. 


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