École occupée dans le 16e : la détresse des mineurs toujours ignorée
Depuis plus de deux mois, les adolescents se bousculent rue Erlanger, dans le coquet 16e arrondissement parisien. Dans l'attente d'être reconnus mineurs, ceux qui vivaient jusqu'ici principalement dans la rue, ont investi une ancienne école maternelle, appuyés par quatre associations. Des associations qui entendent plaider pour l'intégration digne et pérenne de ces jeunes. Reportage.
À l’entrée du portail, Mounia, bénévole à l’association Tara 75, vérifie que tous les jeunes qui entrent portent bien leur bracelet coloré. Avec plus de 500 personnes hébergées dans les salles de classe de l’école désaffectée, le pointage est impératif.
Depuis le 4 avril dernier, l’école abandonnée du 16e arrondissement de Paris est devenue le théâtre d’une occupation et d’une couverture médiatique exponentielles.
« La situation devait durer quelques jours. Plus d’un mois plus tard, nous sommes encore là », déplore Angi, bénévole de la Timmy, association d’aide et de soutien aux mineurs en exil. Avec trois autres associations (Utopia 56, Les Midis du Mie et Tara 75), elle coordonne l’occupation de l’école.
Chaque jour, des dizaines de jeunes arrivent, dans l’espoir de ne plus passer la nuit dehors. Dans ces bâtiments vétustes, dont les vitres sont pour la plupart brisées, les adolescents ont posé leur tente et sac de couchage.
Sur certaines parties du toit, le plafond effondré laisse même apparaître la charpente métallique.
Adolescents exténués dans des locaux délabrés
Dans l’une des quatorze salles transformées en chambre, Abdoulay* gronde un camarade qui a laissé traîner une peau de banane au milieu des sacs de couchage et des couvertures de survie. Présent depuis le premier jour, il se dit inquiet. Après une traversée éprouvante pour arriver en France, l’adolescent guinéen confie être « épuisé mentalement et physiquement ».
Son rêve ? Aller à l’école et avoir un toit sur la tête. Tout simplement. Après avoir passé trois semaines dans la rue près de porte de la Villette, au nord de la capitale, il entend ne plus jamais dormir dehors.
« Un enfant ne devrait pas dormir dans la rue. Il s’y passe beaucoup de choses et psychologiquement, quand tu te retrouves seul, tu ressasses le pire. Si tu ne fumes pas, tu vas commencer à le faire. L’hiver, il fait très froid, le vent t’empêche de dormir. Ici, sans famille, beaucoup deviennent fous », raconte le jeune garçon, agité.
Des mineurs laissés à l’abandon ….
N’étant considérés ni comme mineurs, ni comme majeurs, beaucoup de jeunes sont contraints de vivre dans la rue, exposés à la violence et à la maltraitance, sans accès à des services fondamentaux comme la santé ou l’éducation.
Peu importe leur nationalité, les mineurs doivent être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE).
Pourtant, le traitement de ces demandes passe d’abord par l’évaluation de minorité, afin de déterminer si le jeune déclaré a effectivement moins de 18 ans. Certaines méthodes pour vérifier la minorité, comme le test osseux, sont décriées par des associations et des professionnels du milieu médical pour leur manque de fiabilité et leur anachronisme.
… et des associations qui pallient le rôle de l’État
Dans les faits, peu de jeunes seront reconnus mineurs à leur première évaluation. Ces derniers, accompagnés par les associations, déposent alors un recours devant le tribunal des enfants. Durant cette procédure qui peut durer entre quatre et dix-huit mois, aucune prise en charge n’est garantie.
L’association Utopia 56 pointe que 65 % des jeunes qu’elle accompagne obtiennent la reconnaissance du statut de mineur seulement après leur recours.
Cette occupation temporaire s’inscrit dans la continuité d’autres opérations comme les sittings, action de contestation et d’envahissement d’un espace.
Devant l’Hôtel de ville, au coeur de Paris ou encore sur la place du Palais-Royal en décembre dernier, les associations protestent contre ce qu’elles considèrent comme l’immobilisme des autorités dans la protection et l’hébergement de ces mineurs en France.
Survivance traumatique
À 17 ans, Alhassane* a déjà parcouru plus de pays qu’il n’y a d’arbres dans la cour de l’école. Parti de Guinée-Conakry avec son oncle, il raconte, toujours ému, son parcours sinueux traversant le Mali, l’Algérie, la Tunisie, l’Italie, avant son arrivée dans l’Hexagone il y a un peu plus d’un mois.
« En Algérie, j’ai beaucoup souffert du racisme », confie ainsi le jeune homme. Depuis son arrivée en France, ses nuits sont agitées par des douleurs dorsales, mais surtout par les cauchemars traumatiques, pour lesquels il voit un bénévole de Médecins sans frontières (MSF).
Aujourd’hui, il rêve d’étudier. « Je veux perfectionner mon français et jouer au football. En Guinée, je jouais beaucoup au ballon », se souvient-il.
Dans une salle adjacente de l’école, Mokhtar*, pinceau à la main, esquisse un dessin sur une vitre. Arrivé début avril à Paris après un voyage de quatre mois entre sa Guinée natale et la Tunisie – d’où il a pris la mer avec un groupe d’une vingtaine de personnes direction l’Italie -, il se souvient encore des épreuves parcourues : « Ce n’est pas facile la route, quand même. En Algérie, il fallait tout le temps se cacher, sinon la police t’attrape. Là-bas, c’est du cache-cache ».
Des rêves professionnels plein la tête
À quelques mètres de là, Bachir* mélange sur le sol des acryliques afin de créer un bleu clair pour finaliser son dessin. Lors de son départ pour l’Italie, l’embarcation qui précède la sienne, et où cinq de ses amis ont pris place, sombre, emportant ses passagers. Le regard vide lorsqu’il en parle tout bas, le jeune garçon aspire maintenant à finir le lycée. Plus tard, il aimerait travailler dans la verrerie.
Comme la quasi-majorité des jeunes présents dans l’école, il s’est vu refuser le statut de mineur lors de son évaluation. Dans l’attente de son recours auprès d’un juge, il s’est retrouvé à la rue. Avant d’atterrir dans l’école de la rue Erlanger, il dormait sous une tente, près de l’Hôtel de ville au cœur de Paris.
De son côté, attiré par la coiffure, Mokhtar souhaiterait pouvoir en vivre. C’est d’ailleurs lui qui coupe les cheveux de ses amis de l’école.
Pour le moment, le souhait premier de tous ces jeunes est d’être reconnus mineurs, afin de pouvoir rester légalement sur le territoire français et reprendre le chemin de l’école, cette fois-ci en tant qu’élèves. En attendant, des cours de français sont animés par des associations d’apprentissage pour les primo-arrivants. Mais ces dernières, submergées par les demandes, ne peuvent plus se permettre d’accepter de nouvelles personnes.
Afin d’assurer la protection de ces jeunes, les bénévoles ont mis en place une organisation resserrée autour et à l’intérieur de l’école. Sécurité, hygiène, nourriture : cette occupation qui ne devait durer que quelques heures s’enlise, sans qu’aucune réponse des autorités ne soit apportée.
« Malgré toutes ces réalités, 18 mails d’alertes, une pétition de plus de 5 000 signatures et les sollicitations de nombreux députés, ni le ministère de l’Intérieur, ni celui du logement ou de la protection de l’enfance n’a souhaité répondre ou intervenir », affirme Utopia 56 dans un communiqué début juin.
Alors que le nombre de mineurs hébergés ne cesse d’augmenter, les bénévoles confient leur désarroi pour les prochains jours.
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