Damien Carême veut secouer le cocotier européen
Damien Carême (EELV) a accueilli des migrants sur la commune de Grande-Synthe (Nord) dont il a été le maire de 2001 jusqu’à son élection comme député européen. Aujourd’hui, il souhaite exporter sa recette locale à l’échelon européen. Et si l’Union européenne ne bouge pas, notamment pour le sauvetage en mer, il n’écarte pas un recours devant la justice.
Abdallah Hassan et Laurent Dupuis
Barbe poivre et sel, lunettes rondes, Damien Carême est attablé aux Grands voisins, lieu associatif situé à Paris. Un espace qu’apprécie le député européen EELV, élu suite au scrutin du 26 mai dernier. Un projet associatif où se mêlent Français et demandeurs d’asile. « Cela permet une insertion, un autre regard sur la société. »
Édile de 2001 à mai 2019 de Grande-Synthe (Nord), ville de quelque 23.000 habitants et laboratoire de l’écologie sociale en périphérique de Dunkerque, près de Calais, Damien Carême, connu pour avoir défendu et accueilli des migrants dans sa commune, se dit « révolté » suite au naufrage d’un bateau dans la Méditerranée, le 25 juillet dernier. Une centaine de migrants ont été portés disparus. « Je suis choqué, dégoûté du comportement de ces politiques qui détournent leur regard de ça, et de l’opinion publique qui s’habitue à cette horreur. En septembre 2015, l’Europe, le monde entier a été choqué par la mort du petit Aylan. Aujourd’hui, cela arrive tous les jours. Il n’y a plus d’émoi. C’est l’indifférence qui gagne. Je veux me battre contre cette indifférence. »
Ce qui révolte aussi l’ancien maire de Grande-Synthe, c’est l’inaction politique. Pire même. « Quand des bateaux d’ONG vont sauver des migrants, on les criminalise. C’est odieux. »
« Le manque de solidarité produit un Salvini, ça produit l’extrême-droite »
Damien Carême fustige également l’attitude, les discours de certains dirigeants européens. « Ce qui fait monter l’extrême droite, c’est utiliser leur langage comme les « raz-de-marée », les « tsunamis migratoires » etc. Sans être extrémistes, des dirigeants politiques utilisent un discours qui est celui de l’extrême-droite et ils mettent en œuvre une politique qui est demandée par l’extrême-droite. Elle applaudit d’ailleurs quand on renforce les frontières, quand on signe un accord avec la Libye ou la Turquie pour qu’ils gardent ces personnes chez eux… Quant au règlement de Dublin, quand on prend quelqu’un qui a laissé ses empreintes en Italie notamment, eh bien on les renvoie là-bas. Et cela, qu’est-ce que ça produit derrière ? Un Salvini. Le manque de solidarité en Europe produit Salvini. Ça produit l’extrême-droite. »
Le député européen critique aussi les politiques sécuritaires. « Que provoquent les murs, les barbelés, les CRS à la frontière à Calais? Eh bien, le passage vers l’Angleterre, au lieu d’être entre 500 et 800 euros il y a 5 ans, il est aujourd’hui entre 10.000 et 14.000 euros. Ces politiques sécuritaires n’empêchent pas les migrants d’essayer et de risquer leur vie. Non, elles enrichissent les réseaux de passeurs. Aujourd’hui, le trafic d’êtres humains, c’est le 3e trafic le plus juteux dans le monde après le trafic d’armes et le trafic de drogue. »
« Et je ne supporte pas que l’on dise que les migrants viennent profiter de notre société, de ses avantages », enchaîne Damien Carême. « Qui voudrait quitter ses racines, sa famille, ses repères ? Qui voudrait passer par la Libye et risquer d’être enfermé et torturé ? Qui voudrait tenter de traverser la Méditerranée sur un canot pneumatique pour arriver en Italie, passer par les Alpes pour arriver en France et affronter des températures négatives en montagne en baskets et en survêtement ? Eux comme nous, on ne quitte jamais son pays par plaisir. Ils le font parce qu’il y a des terroristes, parce qu’il y a des crapules, des dictatures dans un certain nombre de pays qui sont maintenues au pouvoir par la faute de nos Etats, parce que nous avons besoin de la richesse de leur sol, souvent pour satisfaire nos propres besoins. Et puis, rappelons que toutes les études économiques montrent que les migrations ramènent de la richesse dans les pays où les migrants s’installent. »
Exporter ses recettes locales à l’échelon européen
Désormais député européen, Damien Carême veut se battre pour que l’Union européenne modifie son discours et son attitude vis-à-vis des migrants. Mais l’UE doit changer de paradigme. « Nous sommes dans une société où le système économique est tenu par l’ultralibéralisme. Il a divisé tout le monde. C’est diviser pour mieux régner. Un travailleur au chômage voit le migrant qui arrive comme un concurrent. Le système génère ce rejet de l’autre. Si on partageait les richesses, il n’y aurait pas ce rejet. Je rêve donc d’une Europe sociale, ouverte. Une Europe des valeurs. L’Europe a été bâtie sur le charbon et l’acier. Il faut la construire sur autre chose que des valeurs économiques. Ce n’est pas l’économie qui doit gérer le monde. Ce sont les relations humaines. La solution est simple : partager les richesses, recréer du lien social, apprendre l’empathie, encourager les rencontres, notamment avec les réfugiés. »
Pour emmener les autres députés européens dans son sillage, l’ancien maire nordiste entend bien s’appuyer sur son expérience de terrain. « J’ai accueilli 2.500 personnes, des Kurdes syriens, soit plus de 10% de la population de Grande-Synthe. C’était en septembre 2015. Ces personnes vivaient dans la boue autour de braseros dans des conditions d’hygiène abjectes. Devant l’inaction de l’Etat, j’ai demandé à Médecins sans Frontières de m’aider à construire un camp aux normes sanitaires afin que les gens puissent vivre avec un minimum de dignité. Ce projet n’a pas généré de délinquance, d’agression sur la voie publique, ou de mouvement de la population. Nous avons expliqué les choses aux habitants. Nous avons permis la rencontre avec les migrants. Le lien humain a joué et la peur disparue. Ce projet est devenu une fierté pour les habitants et il a permis de faire reculer le Rassemblement national. »
Damien Carême veut ainsi exporter ses recettes locales à l’échelon européen, et aboutir à des solutions concernant l’organisation du sauvetage en mer, la réforme de Dublin ou encore la fin du délit de solidarité. « Mon travail sera différent. Avant, je voyais un problème, je trouvais une solution. Maintenant, c’est plus compliqué. Je dois convaincre tous les autres députés européens de me suivre. »
Et si l’Union européenne ne bouge pas suffisamment, Damien Carême, qui a déposé en janvier dernier un recours devant le Conseil d’Etat contre l’Etat français pour « inaction climatique », n’écarte pas la possibilité d’une autre action en justice, face à l’UE cette fois. « C’est de l’ordre de l’envisageable. Ce que j’ai fait en France, c’est cela. Les députés n’étaient pas écoutés. Le ministre de l’Ecologie Nicolas Hulot n’était pas écouté. Il y a un moment où si l’on ne respecte rien, on demande à la justice de se positionner. C’est tout à fait envisageable d’utiliser les mêmes voies au niveau européen. »
Cela s’est d’ailleurs produit sur un certain nombre de dossiers. La Commission européenne a notamment décidé de traîner plusieurs pays européens, dont la France, devant la Cour de justice de l’UE pour non-respect des législations sur la qualité de l’air.
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