Crise sanitaire et mal-logement : la « galère en silence »
Aminata vit dans une chambre d'hôtel avec ses enfants depuis cinq ans, Amran dans un 20m2 avec sa compagne et leur bambin, quand Doukara, lui, partage une chambre à coucher pour 313 euros par mois. Tous trois se trouvent dans une situation de mal-logement, à l'image de 4,1 millions de personnes en France, a encore récemment alerté la fondation Abbé Pierre. Nous les avons rencontrés le 27 mars dernier, lors d'une mobilisation réunissant plus de 3000 personnes mal-logées et leurs soutiens à Paris, selon le bilan de l'association Droit au logement (DAL).
Un article écrit par Laëtitia Romain et Anderson D.Michel – Photos : Federico Iwakawa
Aminata vient de Côte d’Ivoire, elle est arrivée France en 2016. Elle a obtenu en 2019 le statut de réfugiée, avec ses deux enfants aînés qui ont aujourd’hui 13 et 5 ans. Sa petite dernière, d’un an, est née dans l’Hexagone. La famille entière vit dans une chambre d’hôtel du 18ème arrondissement de la capitale depuis près de cinq ans. La reconnaissance de leur statut n’a pas permis un changement de logement. Aminata reçoit de la Caisse d’allocations familiales (CAF) 1700 euros par mois. « Je paye une participation de 500 euros à l’hôtel. Je me dis qu’avec cette participation on pourrait avoir un appartement pour moi et les enfants. J’ai fait une demande de Dalo, j’attends ».
Le droit au logement opposable (Dalo) est une procédure – sorte d’ultime recours -, qui permet de saisir une commission pour faire valoir son droit à un logement digne.
Amran vient d’Algérie, il est arrivé en France en 2017. Il sous-loue pour 600 euros par mois un 20 mètres carrés à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), où il vit avec sa compagne et son fils de 9 ans. « Je suis adhérent à l’association “Ensemble pour notre régularisation et notre intégration”. C’est une association qui lutte pour la régularisation de tous les sans-papiers, qui sont particulièrement vulnérables et qui ont souvent travaillé en première ligne pendant la pandémie ». Amran, qui lui-même ne dispose pas de papiers pour résider légalement en France, apprécie que les membres actifs de cette association soient d’abord des personnes concernées. C’est important dans la revendication des droits appuie-t-il.
Originaire du Mali, Doukara est arrivé en France en 1992. Ses papiers sont en règle : il travaille dans la restauration et loge depuis plus de vingt ans dans un foyer Adef à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Chaque mois, il sort 313 euros pour un lit dans une chambre partagée. Il se bat pour le respect du droit à la vie privée. « On est là parce qu’on en a ras-le-bol que les gérants puissent nous expulser du foyer, par exemple quand on invite des amis ou de la famille ». La perspective d’un changement de contrat locatif qui serait plus restrictif, notamment au niveau de la possibilité d’accueillir des personnes externes au foyer dans leurs chambres, inquiète et mobilise les résidents.
Selon le rapport 2021 sur l’état du mal-logement publié par la fondation Abbé Pierre, la France compte 4,1 millions de personnes mal-logées. Un chiffre qui recouvre une grande variété de cas : des chambre d’hôtels comme pour la famille d’Aminata, des logements surpeuplés comme pour Amran et les siens, ou encore des foyers de travailleurs migrants comme pour Doukara. Sans oublier les 300 000 personnes qui ne disposent pas de domicile du tout.
« Avec la crise sanitaire, la crise du logement est devenue plus grave et plus profonde », affirme la fondation Abbé Pierre dans son nouveau rapport, qui entrevoit une corrélation des deux. Ainsi, 52% des personnes précaires accueillies dans des centres d’hébergement, des foyers de travailleurs migrants ou des gymnases, ont été touchées par le virus en 2020, selon le rapport qui cite Médecins sans frontières. Soit cinq fois plus que la moyenne francilienne.
Pour beaucoup de français la pandémie s’est accompagnée d’une précarisation, particulièrement pour les foyers déjà modestes, d’après le Secours Populaire. Cela a entrainé une angoisse supplémentaire quant au paiement du loyer, comme nous le raconte Amran: « Avant la période du COVID on faisait des petits jobs. Maintenant, on galère en silence, on est tous exposés au risque d’être mis dehors. On [les personnes sans-papiers] travaillait généralement dans les marchés, dans le bâtiment, avec des salaires à la journée. On était généralement exploités, mais on était bien obligés. Là, on est plusieurs à ne plus pouvoir payer notre loyer depuis quelques mois et on a peur d’être expulsé ».
En raison de la crise sanitaire, l’ordonnance du 10 février 2021 a prolongé la trêve hivernale jusqu’au 31 mai prochain, laissant un répit aux personnes menacées d’expulsions locatives. Cependant la fondation Abbé Pierre craint une situation dramatique avec la fin de la trêve : les quelque 13 000 expulsions qui n’ont pas eu lieu en 2020 pourraient alors s’ajouter à celles de 2021, alerte-t-elle dans son rapport.
Le coût des loyers parisiens n’a pas baissé malgré la crise et le DAL, association organisatrice de la manifestation de 27 mars dénonce dans un communiqué : « La spéculation bat son plein et malgré la crise, les milieux immobiliers s’enrichissent avec l’appui des gouvernements ». Parmi les 3 millions de logements vacants recensés par l’INSEE (sans compter les bureaux et les locaux vides), 1,1 millions d’entre eux sont vacants depuis au moins deux ans dans le parc privé, parmi lesquels 300 000 en zone tendue en France. Cependant, le gouvernement refuse d’appliquer la loi de réquisition, telle que la revendique le Collectif Réquisitions à l’origine de l’occupation de la place de la République le 25 mars dernier.
Oriane, bénévole à l’association Paris d’Exil, est également investie dans ce collectif. Elle nous explique: « Lorsqu’on fait des actions comme ça, on voit bien que des places sont disponibles. On s’interroge sur pourquoi on doit en arriver là pour que les personnes soient hébergées. Les 480 personnes présentes jeudi ont reçu un hébergement d’urgence, c’est-à-dire à la fois inconditionnel – quelque soit leur statut – et continu – personne ne peut être remis à la rue. C’est la loi. Lors de notre dernière action de ce type, personne n’avait été remis à la rue, nous allons y veiller cette fois aussi. Mais, au-delà des mises à l’abri d’urgence qu’on obtient avec nos actions, le fond de notre revendication c’est que le gouvernement applique la loi Réquisition. Les hôtels sociaux et les centres d’hébergement, ce ne sont pas de vraies solutions, ils sont souvent inadaptés, voire insalubres. Ce qu’on demande c’est que de vrais bâtiments qui appartiennent à l’Etat, à des fonds de spéculations, à des banques etc. puissent être récupérés et que chaque personne puisse avoir un logement digne et pérenne. On demande des solutions plus stables, on veut ne plus avoir besoin de faire ces actions-là, ce qui signifierait que plus personne ne soit à la rue ».
Le réseau associatif parisien redirigeant les personnes vers des solutions d’hébergement est pluriel et coordonné. Face à la variété des situations rencontrées, associations citoyennes et structures plus implantées dialoguent pour bien orienter. Romain, président de United Migrant le confirme « On pense que c’est par l’action collective et le lien avec les autres associations qu’on peut y arriver, c’est pour ça qu’on est là aujourd’hui ». Les démarches sont différentes en fonction de la situation personnelle (homme ou femme seul.e, famille, couple, mineur isolé…) et de la situation administrative (demandeur.se d’asile, réfugié.e, personne sans-abri, sans-papier…)
Malgré la musique qui rythmait la marche, et parfois quelques pas de danse, une ambiance austère planait sur le cortège ce samedi-là. Peut-être que le ciel chargé de nuages gris n’y était pas pour rien, ni les forces de police et la garde mobile qui étaient très visibles, présentent pour encadrer la manifestation, ou l“encager” selon le terme utilisé par le DAL pour souligner le sentiment de disproportion du dispositif. Les situations individuelles et collectives, témoignant chacune de l’importance de vivre dans un logement adéquat. Si la fatigue était palpable, tout le monde n’est pas résigné. « Sincèrement, il faut que je lutte. Si je ne suis pas optimiste, je reste chez moi », nous dit Amran.
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