Paroles de concernés : un Parlement de rue pour dénoncer le projet de loi Immigration
« Quand on a besoin de nous, on nous utilise et après, on nous jette ! ». Ce 1er juillet, s'est tenu à Paris un Parlement de rue organisé par des personnes en exil pour alerter sur leurs conditions de vie. Un évènement singulier pensé sous la forme d'une pièce de théâtre pour faire entendre les voix de celles et ceux que l'on entend que trop rarement.
Ce samedi 1er juillet, place Baudoyer à Paris, une étonnante troupe de théâtre se met en place, non sans effervescence. Derrière l’Hôtel de ville, en face de l’Académie du climat – un lieu qui propose aux citoyens de répondre aux enjeux du réchauffement climatique -, voilà l’emplacement idéal pour un Parlement de rue théâtral.
Porté par des collectifs de personnes concernées et une vingtaine d’associations en soutien, le projet souhaite apporter une réponse au projet de loi Asile et immigration. Intitulé « Immigration maîtrisée, droit d’asile effectif et intégration réussie », celui-ci ne cesse de susciter la crainte et l’appréhension auprès des personnes concernées.
« En 30 ans, on a eu le droit à 20 textes sur l’immigration. Non pas pour améliorer la vie ou l’accès aux droits. Non pas pour lutter contre les violences. Mais plutôt pour détériorer les conditions de vie des personnes exilées. Est-ce qu’on a écouté la voix des concernés ? Non. ». Sur ces mots, comme un manifeste, s’ouvre alors la pièce de théâtre.
Pensé comme une audition en commission parlementaire, le Parlement de rue permet à chacun de partager son sentiment d’injustice et d’impuissance à laquelle il fait face depuis son arrivée en France.
C’est bien tout un système d’accueil qui est pointé du doigt pour finalement être tourné en ridicule. Non sans un humour savoureux.
«Une politique migratoire utilitariste et discriminatoire »
Les inquiétudes convergent vers le nouveau texte de loi, qui devrait être étudié par les deux chambres à la rentrée 2023. Celui-ci est vu par ses détracteurs comme la continuité « d’une politique migratoire utilitariste, répressive et discriminatoire, qui bafoue les droits des personnes exilées », abonde ainsi une militante de la Cimade, association partenaire de l’événement.
Présenté une première fois en mars 2023, le texte de loi a depuis été retiré et modifié. Sa version définitive devrait désormais être rendue publique cet été. Pour ajouter à la confusion, le parti les Républicains (LR) devrait lui aussi déposer prochainement deux projets de lois pour légiférer sur la question.
Ce projet de loi, le gouvernement Borne continue de le marketer comme une politique « équilibrée », citant notamment l’application scrupuleuse des obligations de quitter le territoire (OQTF) ou encore l’ajout de conditions pour obtenir un titre de séjour ou le faire renouveler.
« Avant, nous faisions la queue devant des personnes. Maintenant, c’est devant nos écrans »
En énumérant les nouvelles mesures proposées par l’exécutif – dont la numérisation systématique des procédures – un personnage sur scène fait remarquer : « Avant, nous faisions la queue devant des personnes. Maintenant, c’est devant nos écrans ». Rappelant au passage que nombre de personnes en exil vivent dans « la précarité numérique » et ne maîtrisent pas assez bien le français.
Dans l’Hexagone, ne pas avoir accès à Internet ou ne pas savoir utiliser les outils numériques représente un handicap pour près de 17% de la population selon une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques. Concernant la langue, seul un étranger sur deux écrit bien ou très bien le français lors de son arrivée en France rappelle l’Insee.
Le texte envisage également un durcissement du regroupement familial et une régularisation limitée au besoin de main-d’œuvre du travail. Ce titre de séjour, destiné aux travailleurs des « métiers en tension », soulève beaucoup de questions. À droite, on craint le fantasmatique « appel d’air » quand à gauche, l’on dénonce le cynisme d’un titre de séjour éphémère conditionné au fait d’avoir un travail.
Là encore, ce point fait réagir les néo-comédiens, exultant : « quand on a besoin de nous, on nous utilise et après, on nous jette ».
Dans la continuité de la circulaire Valls
Jusqu’alors, c’était un autre texte qui faisait référence en matière de régularisation des sans-papiers : la circulaire Valls. Prise par le ministre du même nom en 2012, elle est vivement critiquée par les comédiens. Elle prévoit notamment qu’un étranger peut demander un titre de séjour en France s’il vit sur le sol depuis au moins cinq ans, s’il a travaillé au moins huit mois dans les deux dernières années, s’il a un contrat de travail ou une promesse d’embauche.
« Pour travailler, il faut des papiers. Mais si pour avoir des papiers, il faut travailler, comment faire ? », s’interrogent mutuellement les personnages présents sur scène pour tourner en ridicule cette loi qui en pénalise certains depuis dix ans.
« Tu dois trouver un patron gentil, à qui tu expliques ton problème et qui accepte de t’aider », rétorque un autre comédien. « Et tu en connais beaucoup toi des patrons gentils ? », intervient un troisième. Pas de réponse.
Et le droit des réfugiés dans tout ça ?
Sur scène, les comédiens se laissent volontiers aller à l’épanchement. Tel ce demandeur d’asile qui témoigne de la violence de son entretien passé à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour se voir accorder la protection de réfugié. Cet entretien, il en garde un souvenir amer, fait de suspicions et de malaises. Il se soldera par un refus de sa demande d’asile comme près de 70% des demandes dans l’Hexagone.
C’est là qu’entre en jeu le nouveau projet de loi qui promet d’apporter son lot de bouleversements, en réduisant notamment le nombre de juges à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Soit l’instance qui étudie les recours pour les exilés déboutés par l’Ofpra.
Le dessein ? Réduire le temps de traitement des demandes. Pourtant, « une justice expéditive, ça crée des déboutés ! », argue, sagace, un personnage sur la scène.
Du théâtre documentaire pour dénoncer
À la fin de la représentation, Fabienne, la metteuse en scène du projet, remercie les quelques curieux qui se sont arrêtés, afin de participer « à éviter un entre-soi de personnes déjà acquises à la cause ». Pour l’artiste, « les textes de loi sont faits pour détourner l’attention des problèmes sociaux. Ce spectacle n’a d’autre objectif que de parler à ceux qui ne connaissent pas la réalité des personnes en exil ».
Quant à Samaher Al-Hadheri, comédienne d’un soir et co-présidente de l’association des Étudiants en exil, c’est pour elle l’occasion de partager les obstacles administratifs auxquels font face au quotidien les personnes en exil. Et pourquoi pas faire porter leur voix jusqu’au gouvernement ?
Afin de rappeler, encore et encore, qu’elles ne souhaitent rien d’autre que de « vivre dignement dans cette vie ».
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