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  • C'est leur histoire

    Belgique : Pierre Kompany, de sans-papiers à maire

    Etudiant engagé ayant fui le Zaïre et le régime de Mobutu pour rallier la Belgique en 1975, Pierre Kompany a été sans-papiers pendant 7 ans, avant de devenir le premier bourgmestre noir de Belgique.

    Laurent Dupuis et Patou Nsimba


    Pierre Kompany enchaîne encore aujourd’hui les interviews depuis qu’il a ceint, en décembre dernier, l’écharpe de maire de Ganshoren, l’une des 19 communes de la région bruxelloise. La raison est simple : il est le premier bourgmestre noir du Royaume de  Belgique.

    « Mon élection réveille les consciences. Il est donc normal que je sois interviewé, c’est la marche naturelle de l’Histoire. Après, j’espère que je ne serai pas le dernier », glisse Pierre Kompany, souriant, entre deux gorgées de café dans son quartier général, le café du Grand duc, à Ganshoren. « L’être humain, il est compatissant, il aime les diversités. Il ne survivrait pas à l’enfermement clanique, racial. Ceux qui sont sur cette voie-là font erreur. »

    Pierre Kompany est né le 8 septembre 1947 à Bukavu, ville située à l’est de la République démocratique du Congo (ex-Zaïre). Une ancienne colonie belge devenue, en 1960, un Etat indépendant, qui a été dirigée d’une main de fer par le maréchal Mobutu Sese Seko de 1965 à 1997. « À l’adolescence, ma fibre sociale s’est développée et je ne supportais plus les injustices. Je suivais les Che Guevara et tous les grands révolutionnaires de l’époque qui étaient autant de sources d’inspiration. Je n’avais pourtant pas un parcours malheureux. J’étais même du côté des nantis. »

    Etudiant engagé

    Le 4 juin 1969, Pierre Kompany, alors étudiant ingénieur, participe à une grande manifestation estudiantine à l’Université Lovanium de Kinshasa. « J’étais dans l’organisation. Il fallait aller marcher sur la ville pour dire « Ça suffit ! » à Mobutu dont les dents devenaient très longues. »

    Mais la manifestation est durement réprimée. Une dizaine d’étudiants tombent sous les balles de l’armée. Pierre Kompany prend alors la poudre d’escampette. Il retourne à Bukavu, sous le toit familial, puis s’installe à Lubumbashi, chef-lieu de la province minière du Katanga, pour parachever ses études d’ingénieur à Kasapa (Université de Lubumbashi).

    Mais chassez le naturel, il revient au galop. L’étudiant Kompany reste engagé, et le régime Mobutu continue la répression. « Ce régime était très structuré. Il s’appuyait notamment sur des universitaires qui jouaient aux mouchards pour le Mouvement populaire de la Révolution (MPR), le parti unique de l’époque. Ces indicateurs gagnaient de l’argent comme ça et ça se voyait sur le campus. L’époque de la délation battait son plein. »

    206 étudiants de Lubumbashi dont Pierre Kompany sont embarqués par l’armée. « Nous avons été enfermés dans un camp militaire avant d’être conduits à l’aéroport. Direction Kinshasa. En descendant de l’avion, c’était comme si on assistait à un défilé militaire… Nous avons pris place dans un bus. Il a roulé et il s’est arrêté devant un camp militaire. On nous a dit de descendre du bus et de rejoindre un endroit en courant. Et sur le chemin, les militaires nous ont frappés. Et quand nous sommes arrivés là où il fallait se rendre, le bus nous attendait. Il avait juste fait le tour… »

    « La prison ou la mort »

    Escortés, les 206 étudiants sont dirigés vers un autre camp. À première vue, il est rempli de soldats prêts à partir en guerre à l’est du Congo, où sévit une rébellion menée par Laurent-Désiré Kabila. « Une nuit, j’ai été appelé par l’auditorat militaire. On m’accusait d’être un meneur… J’ai pensé au fleuve Zaire qui ne coulait pas loin. J’ai pensé aux histoires que j’ai entendues : des personnes qui avaient été attachés à des grosses pierres et qui avaient été jetées dans le fleuve… Et finalement, on m’a reconduit dans ma cellule. Il y a eu un bel esprit de solidarité entre nous. Aucun de ceux qui ont été interrogés n’a dit que j’étais le meneur. Sinon, c’était la prison pour moi, ou la mort. »

    Après une semaine dans ce camp, les étudiants sont envoyés à la base militaire de Kitona, pour un service militaire forcé de 13 mois et 15 jours, sans la moindre visite des familles. « Cela a été très dur au début. Tout était déformation, violence… Mais les soldats ont fini par comprendre que nous n’étions pas des rebelles, mais des étudiants avec une conscience… Les caporaux et autres subalternes venaient nous parler de leurs problèmes. Nous avons finalement rendu d’énormes services dans ce camp. »

    Une fois libéré, Pierre Kompany veut reprendre ses études d’ingénieur à Lubumbashi, cette ville minière où « tout avait été réorganisé pour casser la résistance ». « Nous avions tous été démobilisés mais nous sommes restés dans la réserve des 7 ans de l’armée. Nous vivions dans la crainte d’être embarqués et de retourner dans l’armée parce que nous dépendions du tribunal militaire. Pas du tribunal civil. Cette menace nous obligeait à rester calmes. J’ai alors compris qu’il n’y avait pas d’issue. »

    Parti en Belgique … pour des examens médicaux

    Pierre Kompany se prépare alors à quitter son pays. Des amis médecins lui délivrent un certificat pour faire des examens en Belgique. Il y arrive en 1975 et il s’installe tout d’abord chez un frère, à Bruxelles. « J’ai passé 7 ans sans papiers et j’ai même reçu un ordre de quitter le territoire. J’ai fait tous les petits boulots pour payer mon loyer. J’ai ensuite reçu mes papiers de réfugié politique et je me suis marié avec Jocelyne. Je ne voulais pas obtenir de papiers en me mariant. »

    Devenu citoyen belge en 1982, il est étudiant ingénieur le jour – il obtient son diplôme puis un brevet d’invention et deux médailles d’or au Salon des Inventions à Bruxelles et à Genève pour l’éolienne qu’il a imaginée –, et taximan le soir. « Il le fallait, pour nourrir ma famille. »

    Avec Jocelyne, Pierre Kompany a trois enfants : Christel, François et Vincent. Grand amateur de football, lui-même ancien attaquant du TP Mazembe de Lubumbashi, un des clubs mythiques d’Afrique, il inscrit ses enfants dans des clubs de sport. Christel sera championne de Belgique de triple saut, tandis que les garçons préfèrent frapper le cuir. François joue aujourd’hui en seconde division belge et Vincent a enchaîné les titres avec Manchester City avant de revenir cet été à Anderlecht, là où tout a commencé pour le défenseur – très engagé lui aussi – des Diables rouges, l’équipe nationale belge.

    « Le sport, c’est source de joie, d’espoir, de rencontres, d’émotions. Dans les sports d’équipe, il n’y a pas de blanc ni de noir. On se fout de la couleur de peau de celui qui marque. »

    Élu dès son premier scrutin en 2006

    Pierre Kompany s’occupe de sa famille, mais il garde son âme d’étudiant engagé, sa fibre sociale. Il s’engage en politique, au Parti socialiste (PS) puis au Centre démocrate humaniste (cdH). Il est élu dès son premier scrutin municipal à Ganshoren, en 2006. Il devient adjoint au maire avant d’être réélu en 2012 puis de devenir maire en 2018.

    Il siège également comme député de la région Bruxelles-Capitale. Le bourgmestre de Ganshoren aime s’intéresser aux soucis de la vie quotidienne : la mobilité, la sécurité routière, le logement… Dans son quartier général, il écoute les habitants venus le saluer avant parfois de lui demander de l’aide ou d’évoquer tel ou tel problème. Son téléphone sonne tous les quarts d’heure.

    Pierre Kompany se sent bien en Belgique. Là où il a construit sa vie. Mais il n’oublie pas d’où il vient. « Je suis retourné au Congo-Kinshasa en 2010. Kinshasa grouillait de monde. C’est une mégapole où foisonne une créativité indescriptible. Je suis resté une semaine sur place. Nous avions inauguré l’ouverture d’un orphelinat de 150 lits de SOS Villages d’Enfants. Mon fils Vincent est ambassadeur de cette association. »

    Cependant, même s’il aime sa vie en Belgique, Pierre Kompany, l’ancien réfugié politique, l’ancien sans-papiers congolais, offre un regard critique sur la gestion des migrants en Belgique et en Europe. « Je trouve très injuste le comportement de certains. Je pense que c’est révoltant parce qu’on allume le feu dans les pays d’où viennent ces gens pour en tirer des profits énormes, des profits à court terme, et demain qu’est-ce qu’on fait ? Je pense qu’il est temps que l’on réfléchisse ensemble. Tant que le problème n’est pas considéré à sa base, à sa racine, il ne sera jamais résolu. »

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