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    Campement de Saint-Denis (93) : la mort d’un homme jette une lumière crue sur les conditions de vie indignes des exilés

    Il s’appelait Rufus, était d’origine soudanaise et avait 66 ans. Pris en charge ce 3 novembre par les secours, il a été emporté par un arrêt cardiaque. Rufus comme plus de 2 000 personnes exilées, dont une majorité de ressortissants afghans, vivait dans le campement de Saint-Denis (93), à la porte de Paris. Personnes exilées […]

    Il s’appelait Rufus, était d’origine soudanaise et avait 66 ans. Pris en charge ce 3 novembre par les secours, il a été emporté par un arrêt cardiaque. Rufus comme plus de 2 000 personnes exilées, dont une majorité de ressortissants afghans, vivait dans le campement de Saint-Denis (93), à la porte de Paris. Personnes exilées et militants associatifs fustigent un bidonville caché, insalubre et dangereux, dont les conditions indignes sont encore aggravées par l’arrivée de l’hiver et l’instauration du deuxième confinement.

    Texte : Laure Playoust, Laëtitia Romain et Sofia Belkacem / Photos : Laure Playoust


    Il est 19h, en ce lundi 2 novembre, le temps est glacial. Mamadi et Rufus discutent de leur journée. Ils sont voisins de tentes dans le vaste campement de Saint-Denis, qui accueille plus de 2.000 personnes exilées en banlieue parisienne. Ils ont pris l’habitude de se rendre service et de veiller l’un sur l’autre.

    Rufus a la soixantaine, Mamadi, plus jeune, est arrivé sur le campement il y a trois semaines. Il attend ses papiers d’identité pour pouvoir reprendre son travail de chef cuisinier et trouver un logement.

    Quand il va chercher à manger lors des distributions, Rufus veille sur ses affaires. Et vice-versa. Ce lundi, Rufus n’a pas mangé depuis deux jours.

    Ils se couchent donc le ventre vide. Vers 4 heures du matin, Mamadi est réveillé par les bruits de Rufus. Il peine à respirer, suffoque dans sa tente. Ses compagnons d’infortune s’inquiètent, tentent de l’aider et appellent bientôt les secours.

    Lorsque ces derniers arrivent, Rufus est en arrêt cardiaque. A l’hôpital Avicenne de Bobigny où il est pris en charge, son état ne se stabilise pas. Rufus mourra deux jours plus tard, dans la nuit de mercredi à jeudi.

    L’hôpital confirme le décès de l’homme de 66 ans auprès de Clémentine, bénévole au sein de Team du coeur, une des associations présentes sur le campement de Saint-Denis.

    C’est cette même association qui se charge d’identifier les membres de la famille de Rufus pour les prévenir de sa disparition, et réfléchir au rapatriement du corps. « A ce jour, il nous manque encore des éléments à la fois sur l’état de santé de Rufus, et sur son parcours avant d’arriver en France. Nous savons simplement qu’il a été testé négatif au covid, et qu’il se trouvait dans un état extrême d’épuisement », explique Clémentine.

    « Plus jamais ça » : des conditions de vie indignes…

    Dans la soirée du mardi 3 novembre, nous nous sommes rendus sur le campement. Nous y avions rencontré Mamadi. Il était encore sous le choc d’avoir vu Rufus inanimé, emmené par les secours.

    Quand nous l’appelons deux jours plus tard, l’angoisse reste perceptible dans sa voix. D’origine malienne, le jeune homme de 23 ans veut aussi revenir sur les conditions de vie du bidonville. « Je n’avais jamais vécu comme ça. J’y suis resté trois semaines. Plus jamais ça ».

    Mamadi dit la tension permanente, entre la crainte des vols et la violence. « J’étais vraiment inquiet que quelqu’un ne se maîtrise plus. J’ai vu dans une bagarre quelqu’un perdre toutes ses dents, un autre perdre ses yeux ….».

    Et d’insister sur des conditions sanitaires déplorables. « Il y avait des déchets à côté de nous, il n’y avait pas de toilettes. Des toilettes publiques ont été installées il y a une semaine à peine. Mais, certains continuent à faire leur besoin à côté, en plein air », assure-t-il.

    Son témoignage fait écho à la tribune publiée le 4 novembre dernier dans Libération, par des exilés du camp*. « La police nous a chassés hors de Paris. Nous sommes contraints de vivre sous les ponts à Saint-Denis, là où personne ne nous voit. Nous ne pouvons pas décrire à quel point nos conditions de vie sont horribles. (….) Nous ne sommes pas des animaux, nous avons le droit à des conditions de vie humaines et dignes ! ».

    … accentuées par la peur du covid

    Cet appel pour une vie plus digne se conjugue avec une crainte : celle d’être contaminés par le covid, dans un campement qui est déjà par essence, insalubre.

    « J’avais tellement peur du COVID que je n’enlevais pas mon masque pour dormir. Les autres mettent leurs masques pour prendre le bus, mais ensuite dans le campement comme dans la queue pour les distributions de repas par exemple, ils s’en battent les couilles », assène Mamadi.

    Désormais, Mamadi peut parler du campement au passé. Il vient de trouver un toit à Drancy, également en Seine-Saint-Denis.

    Si le jeune homme a réussi à partir, de nouveaux arrivants continuent à s’installer sous le pont du métro de la porte de Paris.

    « L’hébergement est pourtant un droit fondamental inscrit dans le droit français, européen et international. Nous demandons à la préfecture et à l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) une mise à l’abri immédiate et inconditionnelle de toutes les personnes qui survivent dans ce campement de fortune », interpelle la tribune dans Libération, rejoignant ainsi les demandes des associations.

    Quid de l’insalubrité et de l’insécurité

    L’isolement progresse, les conditions déjà difficiles deviennent innommables, alors que s’installent l’hiver et le deuxième confinement. Les associations d’aide aux exilés continuent à se mobiliser, pour répondre aux besoins vitaux des personnes. Non sans difficultés, notamment sur le volet de la distribution alimentaire. Les personnes rencontrées sur le campement répétant qu’elles ne parviennent à « manger correctement que tous les trois jours en moyenne ».

    Une inquiétude partagée par Solidarité Migrants Wilson. « Aujourd’hui, moins d’associations peuvent faire des distributions, car leurs capacités de production de repas se situent entre 200 et 300. Notre collectif en produit environ 1.500 par semaine. Se rendre sur les campements avec trop peu de nourriture, c’est aussi s’exposer à des risques d’émeutes, face à des personnes affamées qui ont fait la queue pendant des heures », alerte Philippe Carro, membre du collectif.

    L’aide alimentaire cristallise les tensions, tout comme l’absence d’électricité sur le campement. Aussi, pour pouvoir notamment recharger leurs téléphones, les personnes exilées ont-elles apposé une trentaine de multiprises sur un transformateur. La mairie, par la voix de Katy Bontinck, première adjointe chargée notamment de la santé et de l’hébergement d’urgence, dit avoir mis un terme à ce branchement « sauvage et dangereux » pour la sécurité de tous.

    La ville de Saint-Denis affirme ainsi avoir pris la mesure de l’urgence sanitaire, expliquant avoir procédé à de nombreuses installations récemment. « Nous avons mis en place vingt points d’eau, installé des toilettes et doublé la collecte des déchets. Nous avons aussi fait dons de masques à France terre d’asile pour qu’ils les distribuent sur le campement », appuie Katy Bontinck.

    De son côté, si France Terre d’asile concède que « la situation est particulièrement tendue et complexe », elle assure qu’elle continue de travailler normalement, en étroite collaboration avec le Samu social.

    A qui la faute ?

    Associations, collectifs et militants rencontrés questionnent la responsabilité des autorités. « Il y a une vraie stratégie de pourrissement des pouvoirs publics. Il s’agit de laisser grandir les campements et de laisser éclater les bagarres. Pour un jour venir et y faire une descente », dénonce Philippe Carro,

    Si elle n’est pas aussi virulente dans les termes, la mairie de Saint-Denis enjoint aussi à une répartition de la responsabilité. « Nous savons bien qu’il faut des villes volontaristes, et c’est bien ce que nous avons fait jusqu’à présent. L’édile (Mathieu Hanotin ndlr) a pris un arrêté d’évacuation le 27 août dernier et a mis à disposition quarante places dans un de nos centres d’hébergement. Nous n’avons jamais demandé d’évacuation sèche des forces de l’ordre, mais toujours réclamé une mise à l’abri. Certes, quarante places pour 2 000 personnes, c’est peu. Nous en avons conscience. Mais, la ville ne peut pas tout, elle n’en a pas les capacités. Nous renvoyons à la responsabilité de l’Etat, qui ne peut pas rester inerte », finit Katy Bontinck.

    La situation à Saint-Denis comme miroir de celle de l’ensemble du territoire national ? En juillet 2020, la France a été condamnée quatre fois par la Cour européenne des droits de l’Homme pour les « conditions d’existence inhumaines et dégradantes » de demandeurs d’asile.

    *Des traductions en anglais, arabe, pashto et dari de l’appel des personnes exilées du campement sont disponibles sur le site de l »association Paris d’exil.

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