« La bande dessinée, un acte de résistance » : le journaliste exilé Taha Siddiqui raconte sa vie en BD
Le journaliste Taha Siddiqui publie son autobiographie, “ Dissident club ” un roman graphique paru ce mercredi 15 mars chez Glénat. Exilé en France depuis 2018, le lauréat du prix Albert Londres revient sur son engagement, son enfance, son exil et son combat pour la liberté.
Journaliste, militant, activiste, professeur, entrepreneur, barman… Taha Siddiqui est un homme aux multiples facettes. Il nous reçoit perché sur un tabouret derrière son bar du 9e arrondissement de Paris dont il prépare l’ouverture. Le Dissident Club, est d’apparence un bar comme les autres, typiquement parisien : exigu, peu éclairé, mais indéniablement convivial et chaleureux. C’est en 2020 qu’il ouvre ce lieu « pour les dissidents et les lanceurs d’alertes du monde entier », lâche-t-il avec fierté.
Le journaliste d’investigation a quitté le Pakistan en 2018 pour trouver refuge en France après avoir survécu à une tentative d’enlèvement et d’assassinat par les autorités de son pays. « J’ai vécu deux vies : une avant cette date et une après. Suite à ça, je suis parti en exil, j’ai ouvert le Dissident Club et tout recommencé à zéro, confie-t-il. Je pense que ce qui s’est passé ce jour-là m’a poussé à essayer de faire en sorte que cette nouvelle vie soit meilleure que la précédente ».
Le dessin comme acte de rébellion
Loin de se laisser abattre par ce qu’il a traversé, Taha Siddiqui décide de faire de ce traumatisme une force. Et surtout de puiser dans « la colère et le chagrin pour continuer la lutte ». Un combat et une tentative de reconstruction qu’il raconte dans » Dissident Club : chronique d’un journaliste pakistanais exilé en France « , qui vient de paraître chez Glénat. Dans cette bande dessinée, le lauréat du prix Albert Londres revient sur sa vie, de son enfance à ses pérégrinations entre l’Arabie Saoudite et le Pakistan jusqu’à son exil à Paris.
Le format du roman graphique n’a pas sonné tout de suite comme une évidence. D’abord contacté par une grande maison d’édition américaine, qui lui demande d’écrire un roman autobiographique classique, Taha Siddiqui prend le temps de la réflexion, avant de décliner.
« Je me suis dit je suis en France, je vis ici maintenant, je veux d’abord raconter mon histoire à un public francophone et les français aiment les comics », explique-t-il. D’autant plus que le documentariste considère son histoire comme « très graphique. Je pouvais la visualiser, bien que je ne sache pas dessiner ». Un choix qu’il ne regrette pas. « Ce livre m’a aidé à me comprendre. Quand on se penche sur sa propre vie, elle ne fait sens que pour nous. Écrire un livre qui fait sens pour les autres est une expérience étrange. J’ai réalisé en faisant ce projet que tout était connecté, c’est très introspectif. Ça m’a permis de comprendre comment j’en étais arrivé là ».
Le dessin, c’est aussi un acte de rébellion pour lui, qui petit n’avait ni le droit de dessiner ni de lire des bandes dessinées occidentales. « Mon père considérait que dessiner des humains était contre l’islam. Il avait sa propre interprétation de la religion. Pour moi, faire un BD, c’est un acte de résistance et une revanche contre les règles strictes de mon enfance ». Pour l’illustration, il collabore avec Hubert Maury, un ancien diplomate devenu dessinateur et scénariste.
« Oui, je suis en exil, loin de chez moi, mais ce lieu m’aide à me connecter avec la société française et les français »
Le « Dissident Club », c’est aussi une ode au métier de journaliste, une vocation que Taha Siddiqui n’a jamais abandonnée. Aujourd’hui loin de son pays natal, il continue d’écrire et de tenir un blog sur la situation au Pakistan. Quant au bar qu’il tient seul, il en a fait le refuge des dissidents du monde entier. « Je l’ai pensé comme un espace intellectuel. C’est une communauté comme moi qui me rappelle que je ne suis pas seul. Oui, je suis en exil, loin de chez moi, mais ce lieu m’aide à me connecter avec la société française et les Français. Tous les jours, je rencontre de nouvelles personnes, même s’ils ne sont pas exilés ou dissidents, parce que ça reste un bar ».
Le lieu, unique en son genre, sera au centre du second volet des chroniques du journaliste, car le premier tome s’arrête à l’ouverture du bar en 2020. « Ça racontera l’histoire de cinq clients qui ont passé la porte du Dissident Club. Cinq dissidents chinois, russe, iranien, afghan et kurde ». Autant d’histoires qu’il souhaite aborder « sous le prisme d’un journaliste ».
Plus qu’une autobiographie
Il précise que ce premier tome « n’est pas seulement une autobiographie ». En effet, à partir de son propre vécu, il aborde frontalement des questions géopolitiques majeures pour comprendre cette partie du monde. « Oussama Ben Laden, l’Arabie Saoudite, les financements obscurs des Etats-Unis, le Djihad afghan dans lequel des membres de ma famille ont joué un rôle, le conflit entre le Pakistan et l’Inde… Tout y est traité avec méticulosité », argue le journaliste.
La question de l’amour y a aussi largement sa place. Marié à une femme chiite, alors qu’il est issu d’un courant sunnite, c’est aussi l’occasion, pour le papa d’un petit garçon, de revenir sur son rapport à la foi et de comprendre comment il est devenu un athée convaincu.
Le Pakistan et l’exil
La question de la religion est d’autant plus brûlante que le Pakistan est le pays le plus religieux du monde, 99% de la population déclare croire en dieu. « Le Pakistan ne me manque pas. C’est un grand pays pour raconter des histoires, mais un pays déplorable pour y vivre », précise l’auteur. Il confie d’ailleurs toujours souffrir de stress post-traumatique. « L’écriture de « Dissident club » a été une véritable catharsis pour moi. Le fait de mettre des mots sur ce qui m’est arrivé, ça m’a aidé à mieux comprendre qui je suis », détaille Taha, qui doute malgré tout de pouvoir guérir un jour de son traumatisme.
« Des excuses de la part des autorités pakistanaises et de ceux qui m’ont fait ça pourraient m’aider. Mais je n’ai pas beaucoup d’espoir, aujourd’hui encore, j’ai reçu un message pour m’annoncer qu’un ami journaliste a disparu à Karachi (capitale du Pakistan) », confie-t-il défait, avant d’ajouter sans grande conviction : « Ce n’est pas normal d’être sur une liste de personnes à abattre, ce n’est pas normal de ne pas pouvoir rentrer dans son pays. Peut-être que le jour où j’obtiendrai la nationalité française, je cesserai d’être un activiste. Ou quand le Pakistan deviendra une réelle démocratie ».
Avec “Dissident Club », le journaliste poursuit donc son long travail de guérison, commencé par l’ouverture du bar il y a deux ans et nous plonge dans un monde aussi coloré que passionnant.
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