[Festival] « Syrien n’est fait » : « Je veux filmer les personnes dans leur dignité et leur capacité de résistance »
La projection du documentaire "Une terre à soi" de Leïla Saadna a ouvert la huitième édition du festival Syrien n'est fait. La réalisatrice y raconte l'exil de femmes des quartiers populaires de Vierzon, avec justesse et sensibilité. C’est à voir.
« Si on n’avait pas la caméra, on oublierait leur visage ». Cette phrase, elle est de Najiba, femme réfugiée syrienne dans le documentaire « Une terre à soi ». Elle vient de raccrocher son téléphone. Des paroles que la réalisatrice du documentaire, Leïla Saadna, reprend au compte de son travail. Filmer, constitue bien pour elle une façon de garder quelque chose des femmes que l’on entend peu.
La projection de « Une terre à soi » a ouvert la huitième édition de Syrien n’est fait, ce 24 septembre au soir à l’Hôtel de ville de Paris. Dans la foulée, Leïla Saadna a pris le temps de nourrir un échange riche avec le public, répondant aux interrogations, écoutant chaque remarque avec attention, éclaircissant des détails, relevant des objections. La sensibilité de son écoute semble reproduire celle de son regard de documentariste.
Le film raconte l’exil de femmes des quartiers populaires de Vierzon, une ville du Centre-Val de Loire à deux heures de Paris. Des femmes arrivées en France depuis la Syrie, l’Algérie, la Guinée, et qui ont donc comme point commun « El Ghorba ». Soit l’exil en arabe algérien, terme qu’une femme emploie au tout début du long-métrage.
Retrouver ses racines
Le documentaire débute avec le récit de deux sœurs, Feyrouz et Warda. Débarquées dans l’Hexagone en 2009 et 2010 depuis l’Algérie. Elles se confient sur les obstacles rencontrés – depuis la non reconnaissance de leur diplôme, en passant par le rejet du port du foulard les empêchant de travailler, jusqu’aux difficultés linguistiques -, mais aussi sur la vie de quartier populaire au Clos du Roy, à Vierzon pour mettre en lumière la sororité existante entre femmes exilées.
Ensuite, viennent des récits du travail en exil. Récits qui passent d’abord par des gestes : des mains récurent des murs, des balais frottent le sol, des serpillières épongent l’eau. Puis, par la confidence. Radia et Kadiatou, deux femmes autrefois techniciennes ou coiffeuses, à qui leur métier manque.
Le chapitre se clôt par un plan-séquence d’une grande intensité, où Kadiatou, face caméra dans un garage qu’elle vient de nettoyer, raconte les violences conjugales subies et le manque insupportable causé par onze ans et demi de vie loin de sa Guinée natale.
La troisième et dernière séquence est peut être celle qui résonne le plus avec le titre du film. Najiba retrouve une « terre à elle » dans les jardins partagés du quartier, après que des inondations aient englouti la grande exploitation agricole où elle a grandi en Syrie.
Ce qui nous percute percutant tout au long du documentaire, c’est bien la place prise par ces femmes à l’écran. Elles y ont la liberté de dire ou de ne pas dire, et le pouvoir d’emmener le spectateur là où elles le souhaitent. Et cela, c’est la caméra de Leïla Saadna qui le rend possible, en posant sur les sujets du film un regard empathique, sans misérabilisme ni glorification des vécus.
« Mon point de départ quand j’essaye de faire des films ? Raconter les souffrances. Mais, j’essaye de filmer les personnes dans leur dignité et dans leur capacité de résistance », explique la réalisatrice.
« Des liens avec ce que je suis »
Avec la caméra, Leïla Saadna sait où elle va. « Il y a deux grands axes dans mon travail : la question des migrations et celle de l’engagement, des luttes ». « Une terre à soi » se trouve au croisement des deux.
Le film a été réalisé dans le cadre d’une biennale féministe organisée par le Frac (Fonds Régional pour l’Art Contemporain) Centre-Val de Loire sur le thème « Infinie liberté, un monde pour une démocratie féministe ». « Je me promenais à Vierzon et en me promenant, je me suis dit que je voulais faire un film sur « El Ghorba », l’exil, du coté des femmes ».
Car dans le quartier du Clos du Roy, une chose l’interpelle immédiatement : la présence des femmes dans l’espace public et dans le milieu associatif. « Je n’avais pas envie de venir avec une vision du féminisme que j’allais ramener dans cette petite ville, en me disant « C’est ça le féminisme ». Je suis partie du principe qu’il y avait déjà du féminisme là-bas ».
Leïla Saadna a aussi pris le parti de récolter des paroles qui lui rappelaient son histoire à elle, marquée par la migration de son père. « Il y a des liens avec ce que je suis. J’avais envie de faire un film avec ces femmes qui pourraient être mes tantes, mes cousines. Et aussi travailler dans une cité, ayant moi-même grandi dans une cité ».
En immersion sur le terrain
Pour ce documentaire, elle a logé trois mois dans les quartiers populaires de Vierzon, caméra à la main. « J’ai filmé énormément. Je suis assez obsessionnelle ». Cette période d’immersion était nécessaire pour que les femmes que l’on voit à l’écran acceptent de se livrer face caméra. « J’ai partagé des activités avec elles, sans caméra », raconte Leïla. « Au départ, il faut prendre contact, apprendre à se connaitre ».
Warda et Feyrouz ont joué un rôle important sur le tournage. Elles lui ont servi d’intermédiaire auprès des femmes du quartier, mais aussi de traductrices notamment pour comprendre Najiba, qui parle l’arabe syrien. Pouvoir permettre aux personnes filmées de s’exprimer dans la langue de leur choix était d’une importance capitale pour Leïla.
L’attention à ce que les personnes filmées aient la main sur le documentaire s’est poursuivie au montage. Sans cesse, Leïla fait visionner des séquences aux personnes qu’elle filme. Recoupe si elles ne se sentent pas l’aise avec leur image.
Une démarche documentaire empathique
La première projection du film a eu lieu à Vierzon. Pour Leïla Saadna, c’était la date la plus importante. Car c’est l’envie de montrer ses films au plus grand nombre qui l’a poussée au cinéma.
Étudiante, elle fait d’abord un DEA (équivalent Master 2) à l’Université Paris 1 en Arts-Plastiques , avant de rejoindre les Beaux arts de Cergy (Val-d’Oise). Mais quelque chose la dérange. « C’est un milieu assez élitiste », se souvient-elle, « J’avais l’impression que ceux qui vont dans les galeries sont des gens qui ont déjà un habitus culturel. Ce n’était pas en premier lieu à ces personnes là que je voulais m’adresser ».
Le cinéma n’est pas sans élitisme, mais au moins, son médium permet d’être amené partout. « Ce film, je peux le prendre et aller le montrer dans une asso de quartier, je peux aller dans une projection en plein air, ou dans un festival ». Soucieuse de la manière dont le public reçoit ses films, elle organise presque systématiquement des échanges après les projections.
Une poésie de l’image
Vendredi soir, à l’Hôtel de ville, de nombreuses personnes du public ont souligné l’émotion que leur procurait son langage cinématographique. Leïla Saadna explique que certaines images du film – les gros plans sur des épis de maïs, sur des abeilles, sur la texture des murs et du béton – rappellent les souvenirs « très tactiles », qu’elle garde de son enfance.
Le cadrage est minutieusement travaillé. Elle « surcadre » au moment de la deuxième séquence, en filmant les visages et les corps des agentes de nettoyage à travers des fenêtres, des portes, ou sur des escaliers, des balcons, des murs. Ce « trop-plein d’angles droit » vient alors figurer « leur encadrement à elles ».
Pour Leïla Saadna, il n’y a pas de distinction entre le fond et la forme, entre l’esthétique et le documentaire. « Je voulais que ce soit un film poétique. Que la question de l’image et du cadrage ait un sens par rapport à ce que ça raconte. Est-ce que cette image peut accueillir la parole, les vécus de ces femmes ? ».
Oui, le pari est gagné.
Le film sera projeté le 9 octobre à Toulouse dans le cadre des 11èmes journées culturelles franco-algériennes, à 19h à L’Espace Diversités-Laïcité. Il fera également parti de la programmation du festival du Film méditerranéen de Annaba en Algérie en début novembre.
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