[Documentaire] : « Ailleurs, Partout », un objet hybride sur le parcours d’un réfugié iranien
Avec cet objet filmique hybride, les réalisatrices Vivianne Perelmuter et Isabelle Ingold nous transmettent le parcours de Shahin, jeune réfugié iranien. Un documentaire OVNI, puissant et nécessaire.
Ni tout à fait un film, ni tout à fait un documentaire. Mais une œuvre hybride d’une poésie rare, déconcertante et nécessaire. Dans « Ailleurs, partout », nous suivons l’histoire de Shahin, jeune réfugié iranien qui, après des années d’errance, parvient en Angleterre. En cours de route, au gré des frontières qu’il traverse, celui qui a quitté l’Iran à 19 ans, s’étiole et se brise.
« Y a-t-il un seuil d’épreuves au-delà duquel on est défait ? Que lui est-il arrivé entre l’Iran et l’Angleterre ? », s’interrogent les deux réalisatrices Vivianne Perelmuter et Isabelle Ingold. C’est à ces questions fondamentales que tente de répondre le film.
Lorsque les deux cinéastes rencontrent Shahin en Grèce, il vient d’avoir 20 ans. C’est alors un jeune adulte joyeux, vif d’esprit et d’une confiance absolue en l’avenir. Cette rencontre se mue bientôt en une relation profonde et une correspondance régulière faite de textos et d’appels.
S’appuyant sur ces échanges et des bribes d’informations, Vivianne Perelmuter et Isabelle Ingold vont retracer son parcours. Avec ce socle, elles vont construire la narration du film. Soit un amoncellement de sons et d’appels, notamment entre lui et sa mère, et une reconstitution audio avec les services de l’immigration.
Au travers de ces extraits, Shahin se livre aux deux réalisatrices avec une sincérité touchante et emporte le spectateur dans son sillage. La plupart du temps, les confidences s’affichent à l’écran contrairement aux appels avec sa mère et des interrogatoires avec les autorités britanniques, qui eux sont racontés par Shahin à l’oral.
Illustrer ce qui ne peut l’être
Pour ce qui est de l’image, le spectateur devra puiser dans son imaginaire. Car rien de ce qui est montré à l’écran n’illustre le récit que l’on nous raconte en voix-off. À son arrivée en Angleterre, Shahin sombre dans des états dépressifs, méfiants et solitaires. Il confie à son interlocutrice qu’il maintient le contact avec « le réel » en passant sa journée à « parcourir le monde » sur Internet. Une confession qui va donner aux réalisatrices l’idée d’illustrer l’histoire par un montage d’images de caméra de surveillance et de live webcams issus des cinq continents.
Plan après plan se succèdent ainsi des images d’un ailleurs inatteignable, d’une nature morte, d’une humanité lasse et surveillée. Un choix stylistique, qui fait d’« Ailleurs, Partout » un OVNI cinématographique, démontrant qu’il existe une myriade de façons de traiter du déracinement sur grand écran.
L’histoire de Shahin est celle de beaucoup de personnes réfugiées rêvant d’une vie meilleure et qui « se sentent souvent trahis par un monde qu’elles estimaient beaucoup », observent les cinéastes.
« La liberté, c’est de pouvoir dire la vérité »
L’on se demande alors à quel moment s’est produit le point de rupture pour lui. Était-ce en Grèce ? Était-ce lors de son arrestation après avoir franchi illégalement une frontière ? L’éloignement physique avec sa mère qui se languit de le revoir un jour ? Peut-être son orteil, salement amoché dans la traversée, y est-il pour quelque chose ? Ou encore son atterrissage à Londres, où Shahin est placé dans un centre pour migrants afin d’être inlassablement interrogé sur son parcours.
« La liberté, c’est de pouvoir dire la vérité », dit-il un jour. Pourtant, comme il le fait remarquer dans le film, la vérité n’intéresse pas les services qui étudient sa demande d’asile. La seule chose qu’ils souhaitent, c’est un récit froid, linéaire et logique. Un récit qui ne correspond en rien à sa vie. Ce sont in fine un faisceau de choses mises bout à bout qui ont durablement changé le jeune homme, qui rêvait de devenir un grand sportif.
Après des années à rêver de la destination, lorsque sa demande d’asile est acceptée, Shahin ne rêve plus que d’une seule chose : une glace sur la plage, avec sa mère pas loin.
« Ailleurs, partout », réussit le tour de force de raconter l’exil autrement et d’y insuffler une poésie douloureusement nécessaire face à la brutalité que peut être le monde.
Le documentaire sera projeté à Nantes le 14 et 16 novembre au cinéma Le Cinématographe et à Douarnenez le 15 novembre au cinéma Le Club.
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