« De son vivant » : et si mourir dignement était un jeu d’enfant?
« J’ai voulu que ce soit un film sur la vie et non sur la mort ». « De son vivant », le nouveau long-métrage d’Emmanuelle Bercot est un mélodrame assumé, qui promeut un autre rapport à la médecine et aux praticiens. Rencontre avec la réalisatrice, et deux de ses acteurs Benoit Magimel et le praticien Gabriel Sara (dans son propre rôle).
Une chronique de Leïla Amar. Photographies : Fanny de Gouville / Divergence images DR
Hors compétition au 74ème festival de Cannes, « De son vivant » raconte l’histoire de Benjamin, un professeur de théâtre d’une quarantaine d’années (interprété par Benoit Magimel) atteint d’un cancer du pancréas incurable.
C’est lors d’un rendez-vous avec le docteur Sara (dans son propre rôle) que Benjamin devra prendre une décision lourde de sens, en présence de sa mère Crystal (Catherine Deneuve). Pour cette dernière, se joue une situation tout sauf naturelle : le départ d’un fils.
Va-t-il se battre contre ce cancer malgré l’issue connue ou va-t-il accepter son sort et se faire accompagner paisiblement lors de son dernier voyage ?
L’histoire de Benjamin fait écho au quotidien du docteur Gabriel Sara, hématologue et oncologue à l’hôpital Mount Sinai à New York. C’est d’ailleurs là-bas qu’il rencontre Emmanuelle Bercot, lors d’une projection débat de son film « La tête Haute ». Le praticien décide alors d’approcher la cinéaste pour lui proposer de faire un tour dans les « tranchées du cancer », où il officie tous les jours.
A cette époque, Emmanuelle Bercot a en tête de réaliser un mélodrame avec deux de ses acteurs fétiches, Catherine Deneuve et Benoit Magimel. La proposition du médecin s’apparente dès lors pour la réalisatrice à un signe du destin.
Après avoir visité ses « tranchées », elle lui propose d’incarner son propre rôle dans son prochain film.
« J’ai voulu que ce soit un film sur la vie et non sur la mort. Car, comme dit l’adage, « vivre c’est apprendre à mourir » (…), nous confie Emmanuelle Bercot. Je pense qu’il y a un véritable travail à faire chez les médecins et sur l’accompagnement médical en général, notamment en fin de vie. L’on peut croire que le fait de dire la vérité est inhérent à la fonction, mais l’on se rend compte que ce n’est absolument pas le cas. C’est justement ce qui fait la grandeur du médecin dans le film : il permet au patient et à sa famille de se préparer au mieux à partir ».
« J’aimerais mieux mourir de mon vivant »
Malgré le thème et le ton mélodramatique assumé de son film, Emmanuelle Bercot semble s’inspirer d’une citation de l’humoriste Coluche : « Si j’ai l’occasion, j’aimerais mieux mourir de mon vivant ».
Une philosophie de vie pour le praticien Sara : « S’il me reste cinq minutes à vivre, je veux les vivre et pas les mourir! ». Pour Bercot, comme pour Magimel, le film a changé leur façon de vivre, d’une part grâce à leur rencontre avec le médecin, d’autre part à cause de deux arrêts de tournage inopinés. Initié en 2019, le film a été interrompu en raison de la crise sanitaire survenue en mars 2020.
« Au départ, j’ai beaucoup appréhendé ce long-métrage et ai vécu cette expérience de façon très solitaire. Mais après la première pause, j’ai digéré l’histoire. Tandis que j’avais commencé un film sur la mort, j’ai continué un film sur la vie », explique Benoit Magimel. Le comédien admet avoir changé sa façon de prendre ses décisions depuis cette expérience. Mais aussi de réfléchir au choix des personnes avec qui il veut passer du temps, tout en se demandant encore si pour sa part, il aurait la force de faire face à cette vérité ultime. À savoir quand s’arrêterait son chemin.
Le regard pensif, il se tourne vers son partenaire, le docteur Sara, inlassablement jovial, venu monter les marches à Cannes, pour être acclamé autant que le gotha du cinéma français.
« C’est une personne qui a un problème, pas un simple organe »
Connu pour sa franchise et son humanité, le praticien estime qu’il incombe avant tout aux directions des hôpitaux de changer leur mentalité face à la maladie.
« C’est une personne qui a un problème, une famille qui souffre aux côtés d’un patient, pas un simple organe. Et, cette prise de conscience doit venir des doyens, c’est à ce niveau-là que nous avons besoin d’une révolution. Aucun système ne peut être changé dans le monde, tant qu’on n’a pas changé la façon dont on l’a pensé au plus haut », appuie-t-il.
Un appel à l’humanité d’une évidence confondante. Mais, de l’aveu du médecin, aux cravates plus farfelues les unes que les autres, son expérience de la guerre au Liban lui a été particulièrement « utile ». Il dit, par exemple, s’être senti étrangement à l’aise durant la crise sanitaire qui fut pourtant « d’une violence inouïe ».
Le long-métrage d’Emmanuel Bercot, s’il tire les larmes des spectateurs à dessein, a le mérite d’exposer un sujet éminemment important dans le système de santé occidental actuel. Soit la place du patient au cœur de cette machine, où certaines choses peuvent intervenir avant son libre arbitre.
Au milieu de ce sujet obscur, Sara, véritable révélation de « De Son Vivant », a souhaité nous laisser avec une anecdote que nous avons choisi d’inclure dans son intégralité.
« J’avais une patiente qui avait le même diagnostic que Benjamin dans le film. Elle était inopérable, mais personne ne lui avait dit. Ni ses médecins, ni son mari. Elle avait réussi professionnellement et ne manquait pas de moyens financiers. Elle et moi nous sommes instantanément connectés. Elle m’a dit de ne pas lui annoncer de mauvaises nouvelles. J’étais dans un entredeux très inconfortable : partagé entre respecter son choix et ne pas trahir la réalité. Mais, elle a fini par me demander la vérité. Le lendemain, elle a vendu son entreprise et a termine sa maison en Grèce. Elle a vécu trois ans au lieu des six mois que nous lui avions pronostiqués. Elle est décédée dans sa maison, en Grèce, heureuse. Voilà le pouvoir de la vérité ».
« De son vivant » d’Emmanuelle Bercot est en salles depuis le 24 novembre.
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