« Au fond du couloir, il y a une lumière qui éclate du Soudan » : rencontre avec Abdulmonam Eassa, photo-reporter de guerre
« Ne pleure pas, c’est notre patrie » et « La rage pacifique ne meurt pas ». Ce sont des paroles pleines d’espoir de la jeunesse soudanaise que le photojournaliste Abdulmonam Eassa adresse au monde via les reportages qu’il présente cette année au Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre.
En flânant au salon du livre du prix des correspondants de guerre à Bayeux (Calvados), profitant d’une pause entre les conférences et les expositions, l’on croise les visages alignés d’une vingtaine de reporters les traits encore tirés par les excès de la soirée de la veille. Tous chaperonnent avec attention la pile de livres portant leur nom. Abdulmonam Eassa, un casque de musique vissé sur la tête, bosse la tête plongée dans son ordinateur. Devant lui, des exemplaires de l’exposition « Ne pleure pas, c’est notre patrie » qu’il partage avec Edouard Elias.
Fruit de longs mois de travail, celle-ci rapporte les témoignages des habitants du Djebel Marra, une chaîne montagneuse au Darfour (Soudan). Ceux dont le régime d’Omar al-Bachir, tombé en 2019, a tenté de faire taire la rébellion par la force, y racontent leurs vécus collectifs et personnels via une mise en image co-construite avec les deux photojournalistes.
« Le projet d’une carrière »
« Cette expo, c’est le projet d’une carrière », pose Abdulmonam Eassa, qui n’a pas encore 30 ans. Installé depuis décembre 2020 à Karthoum, la capitale du Soudan, c’est son collègue Edouard Elias qui l’a contacté pour collaborer avec lui après avoir vu ses reportages sur le Darfour. « Je connaissais rapidement Edouard, on s’était aperçu à Bayeux quatre ans avant », se remémore-t-il, souriant. De passage à la capitale, son confrère lui propose alors de se rencontrer une nouvelle fois.
Au fil des discussions, un projet insolite voit le jour : documenter à la chambre photographique les réalités des personnes marginalisées du Djebel Marra. « L’idée était de partir à la rencontre des victimes de guerre et de les laisser écrire leur histoire », abonde le reporter.
Civils et combattants de l’armée de libération du Soudan ont donc accepté de poser dans des lieux qui leur sont chers. Tantôt seuls, tantôt accompagnés de leur famille. Et d’inscrire autour des clichés développés ce qu’ils imaginaient et voulaient pour leur peuple.
Humaniser les récits de guerre
Certains ont choisi de raconter l’historique des conflits au Darfour, d’expliciter les raisons de leur engagement militaire ou simplement de se présenter. Pour Abdulmonam Eassa, quand l’on regarde ces photos à l’argentique « on a pas l’impression de voir des victimes, mais le vrai visage de l’être humain qui vit en guerre depuis 2003. Une image digne, pleine de respect ».
C’est cette force populaire que le photojournaliste souhaite couvrir en étant au Soudan. Que ce soit dans les montagnes du Djebel Marra ou dans les manifestations à Khartoum. Mais le voilà coupé dans son récit par un de ses confrères qui vient le féliciter.
La remise officielle des prix n’a pas encore eu lieu que le nom des gagnants se répand déjà dans toute la ville. Ô joie. Abdulmonam Eassa remporte celui de la catégorie jeune reporter photo pour « La rage pacifique ne meurt pas ».
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