Le journaliste et son avatar contre la désinformation
Le journaliste Thomas Huchon a choisi d'utiliser l'intelligence artificielle pour lutter plus efficacement contre la désinformation. Depuis quelques semaines, son avatar a fait son apparition sur les réseaux sociaux.
« Bonjour à tous, moi je suis le journaliste Thomas Huchon ou plutôt son avatar. » Ainsi commencent les nouvelles vidéos du reporter, connu pour sa lutte effrénée contre la désinformation. Depuis quelques semaines, il s’est associé à l’intelligence artificielle pour générer son double numérique. L’histoire raconte-t-il, ressemble à celle d’une comédie romantique américaine. « Au départ, on ne s’aime pas et après on discute et à la fin on s’aime beaucoup. »
L’auteur de l’Anti fake news : Le livre indispensable pour démêler le vrai du faux, (co-écrit avec Jean-Bernard Schmidt) anime une table ronde sur l’intelligence artificielle, en octobre dernier. Il fait la connaissance de Mathieu Crucq, directeur en charge des innovations à l’agence Brainsonic. « Lui était très pro IA. Moi très anti parce que la disruption numérique au sens large, c’est mon sujet d’étude depuis 10 ans. Et les bouleversements de la technologie ont fait beaucoup de mal à nos démocraties.
« L’IA me fait peur. Il y a des dangers mais j’écoute ses arguments, qui me poussent à réfléchir. »
Quelques semaines plus tard, Thomas Huchon visionne une vidéo dans laquelle Mathieu Crucq s’exprime face caméra. Au bout de 15 secondes, il réalise qu’il s’agit de son avatar. L’intelligence artificielle dite générative est capable de créer des textes, des images ou des vidéos, à la demande pour un résultat bluffant. « Je lui ai proposé d’essayer de créer des vidéos pour lutter contre les fake news, avec un Thomas Huchon virtuel. » Le journaliste s’associe avec l’agence Brainsonic. Et il utilise la plateforme Hey Gen, l’un des principaux outils d’intelligence artificielle génératifs de Deep fake. Ensemble, ils créent une solution logicielle qui permet de conserver l’humain. C’est-à-dire que l’enquête et l’écriture reste assurée par des humains. Ils donnent naissance au média en ligne AntifakenewsAI, disponible sur Instagram et Tik Tok.
Les étapes de fabrication d’une vidéo avec l’IA
Comment cela fonctionne-t-il ? Lorsqu’une fake news est identifiée par Thomas Huchon ou par le groupe d’étudiants de Science Po qui l’accompagne dans le projet, le journaliste rédige le script de sa vidéo. Une fois cette étape de recoupement d’informations et de vérification terminée, le texte est envoyé. Il est nettoyé par le système qui reformule certaines phrases sans en changer le contenu, à des fins de meilleure compréhension. L’avatar est ensuite généré, la vidéo prête à être publiée.
L’outil lui permet de répondre à trois enjeux principaux. Le premier est le temps, un facteur clé sur internet. Poussées par les algorithmes, les fausses informations prolifèrent. « Quand une fake news sort le lundi matin, il me faut 3 jours pour produire la vidéo. Et donc j’arrive le mercredi soir avec un contre-discours et là les algorithmes, ils ont déjà fait gagner la bataille ! »
Deuxième enjeu simplifié par l’IA : la question du coût de fabrication de l’information. Et notamment de la lutte contre les théories du complot, les fake news. « Cela coûte très cher. C’est de l’enquête, des moyens vidéo. Et ici, au lieu de passer une demi-journée en tournage dans un studio qui coûte cher avec du matériel un cameraman et 2 jours de montage avec un monteur, et bien on remplace ça par une machine. Cela ne veut pas dire qu’il faut remplacer le cadreur et les monteurs par des machines. Au contraire.
« C’est un outil qui va me permettre de dégager du temps de cerveau pour enquêter, écrire plus, aller sur le terrain. »
Mais c’est un outil qui va me permettre de dégager du temps de cerveau pour enquêter, écrire plus, aller sur le terrain. » Huchon y voit l’opportunité de laisser son double numérique contrer les infox pendant que le véritable Thomas Huchon trouve du temps pour faire de l’éducation aux médias dans les collèges et les lycées.
Et puis le reporter y voit un autre intérêt, celui d’utiliser l’outil pour mieux connaitre les armes de ceux qui utilisent l’intelligence artificielle pour désinformer. « Si on ne comprend pas l’outil, on perd la bataille. Donc, je me mets aussi en capacité de lutter contre les effets pervers de l’IA parce j’utilise l’outil. Et je suis capable de savoir ce que les petits mecs de Trump ou de Poutine vont faire pour nous faire croire n’importe quoi. » ajoute-t-il. Des ennemis de l’information qu’il connait bien. Depuis 10 ans, le reporter lutte sans relâche contre la manipulation de l’opinion via la désinformation. Il a notamment réalisé Conspi Hunter, comment nous avons piégé les complotistes et Comment Trump a manipulé l’Amérique (diffusé sur la plateforme Spicee puis sur Arte.) Une enquête qui met en lumière l’influence de Cambridge Analytica sur les résultats de l’élection du 45ème Président des Etats-Unis.
« Il y a un côté un peu disruptif »
Le développement de l’IA à vitesse grand V place les rédactions mondiales face à un défi d’ampleur. Quid de la confiance accordée par le public aux médias y ayant recours ? Thomas Huchon assure lui-même qu’il y a un côté « un peu disruptif » dans sa démarche. « Le journaliste qui lutte contre les fake news et qui va faire un faux lui, pour lutter contre les fausses infos… On est quand même dans une espèce de truc de poupées russes ! » Mais il assure que les réactions sont immensément positives depuis la mise en ligne des 4 premières vidéos. De nombreux médias l’invitent pour présenter son projet. « Cela dit quelque chose de la société dans laquelle on vit aussi. Et des problèmes de l’immédiateté de la sur-expertise, factice en réalité. Moi je suis devenu Monsieur IA, avant j’étais Monsieur fake news. Maintenant on m’appelle partout pour faire de l’IA. Mais en réalité, je suis beaucoup plus fort pour faire des cocktails que pour faire de l’IA. Et aucune IA ne pourrait me remplacer. Après un éclat de rire, Thomas Huchon assure qu’il faut apprivoiser cette technologie pour comprendre comme elle marche et s’en servir à des fins de production. D’autres médias sont de cet avis.
Bouleversement de l’univers informationnel en cours
L’essor de l’intelligence artificielle est en train de bouleverser l’univers informationnel. Chez Brut, le recours aux avatars est en cours d’expérimentation. Dans un communiqué publié le 13 mars, la direction du journal Le Monde vient d’annoncer une nouvelle collaboration avec la société Open IA via son outil ChatGPT. Cet accord, « le premier signé entre un média français et un acteur majeur de cette industrie naissante permettra à la société de s’appuyer sur les 80 années d’archives du journal pour établir et fiabiliser les réponses de son outil ChatGPT, moyennant une source significative de revenus supplémentaires. » Les dirigeants du quotidien justifient également ce partenariat par la nécessité de lutter contre les risques liés à l’IA en matière de génération et de circulation de fake news.
Face aux changements profonds qui sont en cours, plusieurs chartes sont apparues au sein des rédactions pour tenter d’encadrer les usages. Le Parisien, Le Figaro, la BBC, The Guardian se sont eux aussi dotés de gardes fous pour maitriser leurs usages de l’IA Générative. Toutes ces chartes s’accordent sur la nécessité de former les journalistes à ces usages.
Cet article vous a intéressé ?
Abonnez-vous à Guiti News à partir de 2€/mois*