Le cas de Sarcelles : zoom sur les nouveaux visages de l’antisémitisme #2
En décembre 2016, la ville de Sarcelles (95) inaugurait une fresque « Mixité Ethnique » sur la façade d’une école. Une ode à la diversité pour laquelle la commune de banlieue parisienne est réputée. De nombreuse cultures et religions s’y rencontrent et cohabitent. Religieuses ou civiles, une kyrielle de figures mènent des initiatives, afin de déconstruire les poncifs. Rencontre.
Alors que les chiffres semblent alarmants, il existe une ville en banlieue parisienne, où la démographie représentative du métissage français agit comme un indicateur de tendance à micro-échelle. Il s’agit de Sarcelles (Val d’Oise), longtemps surnommée « la petite Jérusalem ». Sur 58 000 sarcellois, l’on estime entre 12 000 et 15 000 le nombre de personnes de confession juive, soit un quart de la population. Les personnes issues de l’immigration nord-africaine, sub-saharienne et turque sont également représentées dans la commune.
Si le vivre-ensemble semblait acquis entre ces différentes populations depuis les années 1960, une manifestation en faveur de Gaza à l’été 2014 a pu ébranler cet équilibre. En marge de celle-ci, des militants assimilés « pro-palestiniens » déclenchent une violente émeute antisémite, et arrivent jusqu’aux portes de la synagogue, protégée par la police, en scandant des slogans tels que « Mort aux Juifs ».
Une manifestation, qui semble avoir engendré une vague de départ dans la communauté juive de Sarcelles vers d’autres villes plus à l’est ou à l’ouest de Paris (Saint-Mandé, Vincennes, Boulogne Billancourt ou encore Levallois).
« On n’aurait jamais cru que de tels évènements auraient pu arriver à Sarcelles »
Michael Perez, 40 ans, juif pratiquant s’en souvient encore. Comédien né et élevé à Sarcelles, il nous reçoit dans l’un des nombreux restaurants casher de la ville, appartenant à son oncle Sergio. « On n’en revenait pas ce jour-là, on n’aurait jamais cru que de tels évènements auraient pu arriver à Sarcelles. On a toujours tous vécu ensemble, fêté nos célébrations ensemble, joué ensemble. C’était choquant : ils avaient clairement envie de venir tout casser dans le quartier juif. Mais alors, c’est comme si un miracle s’était produit, puisqu’arrivés au niveau de la synagogue, ils se sont arrêtés et n’ont pas poursuivi vers l’intérieur du quartier », se remémore-t-il.
Tandis qu’une partie de la population juive de Sarcelles a, peu à peu, décidé de quitter la ville suite à cet événement et à ceux qui suivirent peu après (l’attentat de l’hypercasher en janvier 2015), la commune maintient cette image de bastion juif en région parisienne. Et, Michael, tout comme nombre des jeunes (et moins jeunes) du quartier, ne semble pas être en proie à la peur. « Je n’ai jamais été victime d’acte antisémite et j’ai toujours marché avec ma kippa dans la rue, petit. J’ai dû être la cible d’un « sale juif » deux fois dans toute ma vie et je me souviens que lors de l’une d’elles, c’est un jeune maghrébin qui a pris ma défense ! ».
D’après lui, le moment charnière se joue entre le meurtre d’Ilan Halimi en 2006 (surnommé aussi affaire du « gang des barbares ») et la tuerie d’Ozar Hatorah à Toulouse en 2012 (quatre personnes avaient été assassinées par le djihadiste Mohammed Merah). Pour le sarcellois, ce sentiment d’insécurité grandit et les départs vers d’autres villes ou vers Israel font montre aussi d’une envie de sérénité.
Michael Perez considère que, même si le calme semble être revenu, l’insécurité peut revenir. Pour autant, il refuse de vivre dans la peur et la paranoïa.
« Pour moi, il faut assumer qui on est et ne surtout pas adopter une position de victime »
Dès lors que sa foi s’affiche et qu’il l’assume, Michael remarque qu’il est abordé par des questions autour de sa pratique, et non par des remarques antisémites.
Or, les attaques antisémites ayant engendré un sentiment de crainte et d’insécurité au sein de la communauté, le repli et la fermeture ont été une conséquence menant à la création d’écoles juives, et donc à une certaine invisibilisation. C’est une affaire d’éducation et d’authenticité pour le comédien, qui doit passer par la culture (cinéma, télévision) comme le fait notamment Yvan Attal, mais aussi par un effort individuel, afin de ne pas se soustraire à la vie publique.
« Je pense qu’il faut simplement commencer par aller parler aux personnes, à l’instar du rabbin Sarfati qui va à la rencontre des autres depuis son camion. Ça peut faire bisounours, mais in fine cela déconstruit réellement des représentations », croit savoir Michael.
Une autre figure de Sarcelles partage, depuis 2003, la conviction d’un échange actualisé avec les autres communautés. Aux yeux du rabbin Berros, les relations intercommunautaires, jusqu’ici exemplaires, ont pu être mises à mal avec l’arrivée d’une immigration différente de celle des années 60. « La langue semble être un souci majeur pour échanger avec certaines communautés notamment venues de Turquie, en proie à un certain enfermement », argue-t-il. Pour le rabbin Berros, les problèmes d’antisémitisme et de racisme ne se régleront pas à coup de lois, mais avec le dialogue. Lui, seul, renouera le lien.
« Sarcelles a toujours vécu l’actualité nationale ou internationale en la voyant d’un regard rieur, pensant que nos relations étaient tellement bonnes que cela ne pourrait jamais se passer chez nous. C’est un mythe qui est tombé. Des natifs d’ici sont donc partis suite à ce choc, ne comprenant pas comment après avoir grandi sur le même palier que des musulmans, des tamouls, des pakistanais, on pouvait en arriver là. Personne n’avait anticiper l’émergence d’un besoin de confrontation », assure le rabbin Berros.
« Nous travaillons beaucoup avec les autres communautés religieuses en tentant de trouver de vraies pistes de dialogue »
Le rabbin Berros l’admet volontiers. Le plus compliqué, c’est de lutter contre les amalgames. Par exemple, « de ne pas mettre tous les antivax ou les gilets jaunes dans le sac de l’antisémitisme. Nous travaillons beaucoup avec les autres communautés religieuses en tentant de trouver de vraies pistes de dialogue en dehors de simples rencontres œcuméniques, où les participants sont déjà séduits par le discours de rassemblement. Nous préférons aller dans des mosquées par exemple et faire face à des discours hostiles, c’est là que le travail est plus enrichissant et nécessaire, celui d’aller voir ceux qui sont dans la contradiction. Voir un rabbin, un imam et un évêque marcher ensemble dans la rue peut être choquant dans une société qui fonctionne à l’image, mais ça suscite une interrogation, et si on a fait ça on a déjà gagné énormément ».
L’éducation dont parlent le rabbin Berros et Michael Perez, c’est le quotidien d’Amine Hjiej, président de l’association Coexister, dont le crédo est « grâce à nos diversités, agir pour mieux vivre ensemble ».
L’association essentiellement composées de jeunes bénévoles compte aujourd’hui 45 groupes dans 33 villes françaises et s’étend sur plusieurs pays d’Europe, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique ou encore la Suisse. A la différence d’initiatives interreligieuses classiques, Coexister a pour but de créer un dialogue « inter-convictionnel », incluant agnostiques comme athées.
« Nous ne sommes pas un pays en guerre, mais il y a des tensions qui peuvent être exacerbées à partir de rien. A chaque fois que quelque chose de grave se passe, l’on va entendre des discours de haine dans les journaux. Notre action auprès des jeunes va se faire en milieu scolaire pour sensibiliser en déconstruisant des préjugés, car nous estimons que c’est à ce niveau-là qu’il est le plus efficace d’intervenir », explique ’Amine Hjiej.
Des préjugés et des amalgames à déplorer
Pour Hjiej, l’épisode des pancartes de l’été 2021 (voir partie 1) montre que la société exprime sa haine de plus en plus librement. « On vit dans un climat, où règnent des jeux de polarisation. L’extrême droite notamment va jouer dessus et user de techniques provocantes en invoquant ensuite la liberté d’expression. C’est comme ça que se sont défendu les personnes après ces pancartes… en clamant qu’il ne s’agissait que de questionnements et en aucun cas d’antisémitisme ».
Les bénévoles de l’association indiquent qu’ils n’ont pas pour habitude d’entendre de préjugés violents émanant des élèves (entre 13 et 17 ans), mais plutôt de vieux poncifs occasionnels : les juifs seraient riches et parfois communautaires, les arabes seraient tous musulmans, et plus rarement que ces derniers seraient des terroristes, que les juifs contrôleraient le monde ou que les chrétiens seraient coincés, racistes ou pédophiles.
Quand ces réflexions restent largement à la marge, l’année 2021 fût au contraire marquée par des attitudes plus matures et bienveillantes qu’à l’habituée. Pour Amine Hjiej, cela peut s’expliquer par le fait que l’utilisation accrue des réseaux sociaux par les adolescents leur permet d’avoir accès à des points de vue différents, alors qu’ils suivent des célébrités d’origine variées. Aussi, seraient-ils capables d’aiguiser leur esprit critique en étant exposés à des façons de voir et de penser différentes de celle de leur entourage direct. Un effet vertueux des réseaux, donc.
« Il y a eu notamment entre 2016 et 2017, 1000 enfants inscrits en plus par rapport aux années précédentes et je pense qu’on peut y voir très clairement un contrecoup de l’Hyper Cacher »
Bien que les préjugés violents ne soient pas monnaie courante à l’école, la création d’écoles privées juives n’a cessé d’augmenter depuis les années 2000. « Entre 2016 et 2017, l’on décompte 1.000 enfants inscrits en plus par rapport aux années précédentes. Je pense que l’on peut y voir très clairement un contrecoup de l’Hyper Cacher. Pour la rentrée dernière, je n’ai pas encore toutes les statistiques, mais les effectifs sont en augmentation. Il y a plus de listes d’attente dans certaines écoles notamment dans l’Ouest parisien et il y a un regain d’attractivité pour les écoles juives confessionnelles en France, c’est clair », souligne Ariel Goldmann, du Fond social juif unifié qui regroupe les écoles juives de France à nos confrères de France Inter.
Pour le président de Coexister, ce phénomène est légitime et explicable : « Je pense que dans la vie de tous les jours, être juif c’est aussi être confronté à des questions déplacées, et parfois des actes violents. Il existe une peur légitime, qui va inciter davantage des personnes à placer leurs enfants en milieu privé pour gagner en sécurité ».
Pour Hjiej, chaque nouveau heurt au Moyen-Orient entraîne une montée des discours de haine sur les réseaux sociaux et une crainte redoublée de la communauté juive française d’en subir les conséquences négatives.
« Je pense qu’il est primordial d’enseigner l’histoire des religions à l’école, afin de comprendre certaines situations trop souvent simplifiées. L’éducation doit être quotidienne. Nous militons pour que l’on nous donne plus d’opportunités d’intervenir et de sensibiliser sur nos sujets, mais aussi pour qu’il y ait une vraie réflexion au niveau étatique sur l’éducation à la paix. C’est un mot un peu galvaudé et on a tendance à nous prendre pour des bisounours en France, alors que dans le monde anglo-saxon on parle d’« activisme de la paix ». Nous sommes persuadés qu’un travail de mémoire apaiserait tout le monde et que le fait que la France reconnaisse ses erreurs du passé participerait à améliorer le patriotisme français », avance-t-il.
« Je suis vraiment attaché aux deux identités : juive et française »
Pour les parents de Hillel Bismuth, la décision fût prise rapidement. Famille juive pratiquante du 18ème arrondissement de Paris, Hillel, aujourd’hui 18 ans, a toujours suivi sa scolarité dans des écoles juives, plus particulièrement dans une école où est enseignée la méthode djerbienne. Soit l’étude du kodesh (religion) jusqu’à 16h, pour passer ensuite au programme étatique jusqu’à 19h. « On avait tous le brevet en troisième et en seconde on était tous les premiers de la classe dans les autres écoles juives ! C’est vraiment une excellente méthode », nous confie Hillel.
Le jeune homme admet évoluer dans un environnement juif le plus clair de son temps, hormis lors des matchs de football du weekend. Il dit s’être fait appeler Billel, plutôt que Hillel par souci d’intégration. Il explique cela du fait de son niveau de pratique religieuse, estimant que cela facilite les choses. Mais, lorsque la question du sentiment d’appartenance à la France est posée, la réponse est nette : « Je suis vraiment attaché aux deux identités : juive et française. Je ne comprends pas ceux qui crachent sur la France, où on a accès à l’éducation gratuite et à la sécurité sociale entre autres, moi j’aime la France ».
Hillel confie n’avoir jamais eu peur d’être juif en France, tout comme Liam Azoulay, 15 ans, de Puteaux (Hauts-de-Seine). Bien que son parcours diffère de celui d’Hillel, leur sentiment d’être français reste le même. Liam a grandi dans une famille traditionaliste tout en fréquentant des écoles publiques.
Il a évolué dans un établissement de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), où beaucoup d’élèves étaient juifs, se sentant donc en sécurité. Mais, il n’a jamais ressenti d’angoisse à l’idée d’intégrer un lycée, où de nombreuses confessions et cultures allaient se mélanger. « Je n’ai jamais eu peur de dire que j’étais juif, tout se passe bien au lycée et la plupart de mes amis sont chrétiens ou musulmans. Je n’ai jamais rien entendu qui ait pu me faire du mal », abonde-t-il.
Tout comme Hillel, Liam se sent profondément français. Et si après l’incident des pancartes l’été dernier, ses parents ont, un temps, songé à faire leur alya, le projet fût vite abandonné.
Pour sa part, il est juif et français et n’a jamais songé à se poser cette question avant cet entretien.
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