Carnet de bord des Cinq Toits #6 : La fermeture du site, entre fête et nostalgie
Nichée dans le très cossu 16e arrondissement parisien, une ancienne caserne de gendarmerie a été réaffectée voilà cinq ans pour abriter 350 personnes en situation d’exil ou en grande précarité. Avec un pari : la mixité des publics. Non seulement le lieu se veut ouvert sur le quartier, en proposant des activités ouvertes au public (ateliers de bricolage, réparation de vélos, foires), mais il met aussi à disposition des espaces de travail pour quelque 35 entreprises et associations. Ce centre d’hébergement inédit, ouvert de manière provisoire, va fermer ses portes fin avril. Au grand regret de son public.
Dans la cour des Cinq Toits, la chaleur humaine fait oublier les températures fraîches de cet après-midi de mars. Partout, des étals de bijoux, de vêtements ou d’objets fabriqués à la main attirent les visiteurs. Parmi eux, des voisins du quartier attachés au lieu, des résidents et bénévoles et même d’anciens habitants venus fêter le « clap de fin ». Cinq ans après son inauguration, ce centre d’hébergement ferme ses portes courant avril.
Dès le début du projet en septembre 2018, l’occupation de cette ancienne caserne de gendarmerie devait être temporaire. La Mairie de Paris avait confié ce site à l’association Aurore (qui accompagne vers l’insertion près de 30 000 personnes en situation de précarité ou d’exclusion sociale) en partenariat avec Plateau Urbain pour accueillir des personnes en situation d’exil avant de reconvertir le lieu en logements sociaux. Pour marquer la fin de cette expérience de vie unique, les Cinq Toits ont organisé une fête le 11 mars, l’occasion à chacun et chacune de se retrouver avant de reprendre des chemins différents.
« C’est la plus grande chose qui me soit arrivée en France… Et même dans ma vie »
Ce jour-là, Aleksander traverse la cour, à l’aide de son déambulateur, customisé par ses soins. Direction La Bricole, l’atelier de bricolage prisé par les résidents mais aussi par un public venu d’un peu plus loin, comme Aleksander. Cet homme de 49 ans habite dans un Centre d’Hébergement d’Urgence (CHU) dans une commune jouxtant le 16e arrondissement de la capitale. Il s’est retrouvé là-bas, après moultes pérégrinations. Il y a treize ans, il quitte la Pologne pour trouver du travail en France. Mais après une chute, il doit être hospitalisé d’urgence. A sa sortie, deux mois plus tard, il perd travail et logement, et se retrouve à la rue. Il y reste pendant sept ans. Avant de retrouver un toit dans ce CHU. Mais son échappatoire, c’est La Bricole. S’il avait pu, il aurait même dormi entre ces murs. Car Aleksander y est venu quotidiennement.
Agile de ses mains pour manier le tour à bois afin de confectionner des objets, c’était son moyen de s’évader. Alors en traversant la cour du site, Aleksander est plein d’émotions. Car en arrivant devant La Bricole, il n’en découvre que les vestiges. Une charpente insipide. Il sort son téléphone en tremblotant et capture un dernier souvenir. « C’est la plus grande chose qui me soit arrivée en France… Et même dans ma vie », lâche-t- il, les yeux embués. Malgré tout, Aleksander compte acheter un mini tour à bois, pour continuer son activité manuelle. Il repart, comme pour fuir cette vision triste qui transperce ses yeux clairs. Le bricoleur passe devant le food-truck du Récho, un restaurant solidaire ouvert en 2019, sans prêter attention aux doux effluves qui se propagent.
Ce restaurant permet à des personnes réfugiées de se former aux métiers de la restauration et de poursuivre vers une insertion professionnelle. Si le troquet doit fermer ses portes comme les Cinq Toits, le modèle a si bien fonctionné que deux nouveaux établissements ont déjà ouvert dans la capitale. Une bonne nouvelle pour les salarié.e.s. Contrairement à certain.e.s résident.e.s du site, qui ne savent toujours pas où ils vont aller après la fermeture.
Les difficultés pour se reloger
Comme Jamshid, venu d’Afghanistan. Il cherche un appartement, en vain. Malgré l’aide des assistantes sociales, il peine à trouver un logement à ses moyens dans Paris. Car le résident est au chômage, après avoir travaillé plusieurs mois dans une entreprise de bâtiment. S’il ne trouve aucun logement, Jamshid pourra être relogé dans un centre d’hébergement d’urgence. Ce qu’il refuse. Difficile pour lui d’y retourner après avoir vécu une telle expérience aux Cinq Toits.
Il a d’autres idées en tête. « Si je dois dormir chez des amis, je le ferai », indique-t-il. Autre solution : descendre à Gap (Hautes-Alpes) où il s’est déjà rendu. Le jeune adulte au regard malicieux avait été séduit par cette ville entourée de montagnes. « Et puis là-bas, il y a une grande communauté d’Afghans », souligne-t-il. A côté de lui, Sharif, 29 ans, opine. Lui aussi peine à trouver un logement, même s’il travaille actuellement. L’inquiétude se lit sur son visage.
Plus loin, Kady, jeune lycéenne en seconde dans un lycée professionnel, tient son stand, tout sourire. Une délicieuse odeur de beignet sucré s’en dégage. Les pâtisseries sont cuisinées par sa mère, une recette venue de Côte d’Ivoir, son pays d’origine. A quelques semaines du déménagement, Kady ne sait toujours pas où elle ira avec ses parents et ses sœurs. Mais elle affiche toujours une mine joviale communicative. Pourtant, l’adolescente a entamé avec entrain un bac professionnel en santé, pour devenir aide-soignante, dans le 19e arrondissement de la capitale. Une nouvelle adresse pourrait engendrer un changement d’établissement scolaire.
Encore une fois, Kady hausse les épaules, avant de se retourner pour vendre un beignet. Elle s’adaptera à un nouveau lycée, sans difficultés. Ce qui l’intéresse plutôt, c’est de pouvoir garder contact avec ses amies de la résidence.
L’après Cinq Toits
L’une d’entre elles, Mariama*, a d’ailleurs quitté les Cinq Toits, il y a plusieurs mois déjà. Sa mère, Ndeye, 47 ans, nous accueille à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). « Bienvenue dans mon nouveau chez moi », lance-t-elle avec un grand sourire solaire. Cette mère célibataire a emménagé dans ce spacieux appartement de 113 mètres carrés, doté d’un balcon avec vue sur la place principale, en août 2021. Cette fois-ci, Ndeye a sa propre chambre, contrairement aux Cinq Toits où elle vivait dans le salon. Mais le changement de vie a été quelque peu difficile au début.
Les résident.e.s lui manquaient beaucoup, les bénévoles aussi. Alors, elle passe le samedi matin lors du marché pour faire un « coucou », reçoit ses amies autour d’un repas sénégalais, français ou même italien (elle a vécu treize ans en Italie avant de venir en France). Petit à petit, cette salariée dans une cantine d’entreprise commence à connaître ses voisins, trouve ses habitudes au supermarché ou à la boulangerie du coin. Et puis, si ses enfants ne voulaient pas quitter les Cinq Toits, profitant de la cour pour s’amuser avec leurs copains, ils ont retrouvé des activités. Les deux plus grands font du handball, l’ado de treize ans lui, va au basket et sert tous les soirs avec la mairie des repas aux sans-abris. Le plus jeune, lui, joue au football.
Un quotidien rythmé mais beaucoup plus tranquille pour Ndeye. Désormais, la mère aux sourcils bien taillés et aux cheveux noirs impeccablement brossés se focalise sur l’éducation de ses enfants. Elle veut se donner tous les moyens pour les voir s’insérer plus tard dans la vie professionnelle. Son autre rêve ? Que ses parents, toujours installés au Sénégal, puissent venir pendant plusieurs semaines ou mois chez eux pour se retrouver en famille. Si Ndeye a le regard tourné vers l’avenir après des années de vie chaotiques, elle ne cesse de penser aux autres résidents.e.s. « Comment vont-ils faire ? », s’inquiète-t-elle.
Alors, à dix kilomètres des Cinq Toits, cette ancienne voisine au regard attendrissant épluche les annonces en espérant leur trouver un logement. Même si les Cinq Toits ferment leurs portes, les liens entre les résident.e.s demeureront solides.
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