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  • C'est leur histoire

    «Je n’ai pas peur, j’ai le droit de me défendre», récit de Jamshed Shinwari, agressé par des policiers

    Le 12 avril dernier, en plein confinement, Jamshed Shinwari, un réfugié afghan vivant à Marseille, est interpellé, enlevé puis frappé par des policiers, pour être abandonné sur un terrain vague. Après un premier jugement sans précédent condamnant les policiers à la prison ferme, le procès en appel est venu alléger les peines. Pour Guiti News, […]

    Le 12 avril dernier, en plein confinement, Jamshed Shinwari, un réfugié afghan vivant à Marseille, est interpellé, enlevé puis frappé par des policiers, pour être abandonné sur un terrain vague. Après un premier jugement sans précédent condamnant les policiers à la prison ferme, le procès en appel est venu alléger les peines. Pour Guiti News, Jamshed Shinwari revient sur cette agression.

    Un texte de Leïla Amar / Photos : Sidney Cadot-Sambosi


    Terrain vague de Châteauneuf les Martigues (Bouches-du-Rhône). En plein confinement, le 12 avril dernier, Jamshed Shinwari, 21 ans, est interpellé, enlevé, frappé par un policier, sous le regard complice de deux coéquipiers.

    Le jeune homme est un réfugié afghan, vivant à Marseille depuis 2017. Il porte plainte. Les trois policiers, Michel Provenzano (46 ans – brigadier à CRS autoroutière de Marseille), Mathieu Coelho (27 ans- gardien de la paix stagiaire) et Audrey Vallone (24 ans- adjointe de sécurité) sont jugés en comparution immédiate le 6 mai 2020 au Tribunal correctionnel de Marseille pour avoir arrêté, enlevé et détenu Jamshed Shinwari sans ordre, sur un territoire non couvert par leur juridiction. Mais aussi pour avoir modifié la vérité en falsifiant une main courante, et commis des violences volontaires en réunion en tant que dépositaires de l’autorité publique en fonction.

    Ils écopent alors respectivement de quatre ans et de 18 mois de prison ferme, puis d’un an avec sursis. Fait rare dans les affaires de violences policières, cette condamnation (au pénal) étant jugée trop lourde par les accusés, un procès en appel eu lieu 7 juillet 2020 à la cour d’appel d’Aix en Provence. Les peines sont allégées au point de voir celles de prison ferme se transformer en liberté conditionnelle.

    Rappel des faits

    Le dimanche 12 avril dernier, Shinwari, cuisinier dans un restaurant turc, se trouve au Vieux Port de Marseille. Après avoir demandé une cigarette à deux sexagénaires, le ton monte quand ceux-ci répondent ne pas en avoir. Des passants demandent à une patrouille de police de passage d’intervenir, arguant que Shinwari a craché sur le couple.

    L’interpellation menée par le trio ne se passe pas sans heurts. Shinwari, à qui les policiers demandent son titre de séjour car il ne possède pas d’attestation de déplacement dérogatoire en plein confinement, leur tend son téléphone afin de présenter ses documents. Les policiers auraient alors fouillé dans ses photos personnelles puis relâché Shinwari, en règle sur le territoire français. Ce dernier leur a adressé un doigt d’honneur et quelques invectives en pachto, une fois libéré.

    « Je leur ai dit que la police ne devait pas travailler comme ça. Que s’il y avait quoi que ce soit, ils devaient m’emmener au commissariat et non fouiller dans mon téléphone », admet Shinwari.

    Suite à cet affront, l’équipage décide de le ré-embarquer à bord de son véhicule pour rouler, sans destination précise.

    « Je comprends à ce moment-là que la situation n’est pas normale »

    « Qu’est-ce qui vous trotte dans le cerveau pour vous décider à vous diriger vers Châteauneuf-les-Martigues à 30 km du lieu de l’interpellation ?!», leur a demandé le président lors du procès.

    Ce 12 avril, Coelho conduit et demande à son supérieur Provenzano « où on va ? ». Le plus ancien membre des forces de l’ordre à bord, alors assis à côté du jeune réfugié sur la banquette arrière, semble absent durant le trajet. Mais, c’est lui qui lui indiquera de prendre la sortie de Châteauneuf-les-Martigues.

    « On ne connait pas les lieux, on tourne en rond, on veut juste le laisser là où il n’ennuiera personne », répond Coelho. « C’est très loin quand même… », rétorquera le président, avant d’entendre Audrey Vallone avouer « Je comprends à ce moment-là que la situation n’est pas normale ».  

    En descendant du véhicule, une fois arrêtés sur un terrain vague, Provenzano a pour idée de se battre contre Shinwari. « Je dépose mon arme et mes affaires dans le vide-poche de la voiture pour qu’il ne les utilise pas contre moi. Ça ne m’est jamais arrivé, et là j’étais à bout ! Il en n’avait rien à foutre de la police, il insulte des gens âgés, c’était trop ! »

    « J’étais terrorisée, je n’osais pas approcher »

    Le brigadier poursuit son récit : « Derrière la butte, je lui mets une ou deux tapes, il crache, je l’attrape par le col, je le gifle, je le secoue et l’engueule parce que ça fait 30 minutes que je me contiens pour ne pas le violenter. Il ne réagit pas. On tombe. Il demande pardon mais pour moi, il fait semblant de pleurer. Comme il ne veut pas se battre, je reviens à la raison, je me rends compte que je suis dans la violence et que je suis hors des clous ».

    En rentrant au poste de police, Coelho et Provenzano enregistrent une fausse main courante afin de laisser une trace.

    « Ça fait deux mois que je repense à cette scène mais sur le coup on ne savait pas quoi faire, je m’en veux de ne pas avoir réagi », confiera Coelho à la cour. Et, sa consœur Vallone d’ajouter : « Oui la victime criait, j’ai vu la gifle ou le coup de poing, mais j’étais terrorisée, je n’osais pas approcher ».

    Jamshed Shinwari devant la cour d’appel d’Aix en Provence le 7 Juillet 2020

    « Si la peine est allégée, je m’en fiche. Les juges savent mieux »

    Le jeune Shinwari confiera plus tard que Provenzano l’a frappé comme un boxeur au visage, et que comme ils avaient des pistolets, il ne voulait pas réagir de peur de mourir sur ce terrain vague, laissant sa famille derrière lui.  

    Le policier du commissariat auquel il se rend à pied après l’agression ne constatera aucune blessure. Shinwari, apeuré, rentrera à Marseille, refusant d’être vu par les pompiers.

    C’est durant les délibérés du procès que le jeune Shamshed s’est confié à Guiti News, calme et serein. « Si la peine est allégée, je m’en fiche. Les juges savent mieux », appuie-t-il. Avant de revenir sur son histoire. Sur son arrivée en France trois ans plus tôt. Il vient alors de quitter Nangârhar en Afghanistan. C’est à Paris qu’il débarque, il reste un temps dans le camp de la Chapelle, avant d’être transféré à Marseille. Il y vit en foyer jusqu’en 2019, puis emménage dans son propre appartement.

    « Ma vie était en danger »

    Le jeune homme vit seul en France. Toute sa famille est restée en Afghanistan après l’assassinat de son père, alors militaire, par les insurgés en 2017. « C’est la guerre là-bas, ma vie était en danger ».

    Avant de se réfugier en France où il cuisine dans un restaurant turc, il suivait des études et voulait devenir soldat dans les forces spéciales. « J’avais une belle vie en famille Mes parents, mes frères et mes sœurs… on vivait tous ensemble ».

    Cette affaire, nous confie-t-il, est le premier problème qu’il rencontre en dans l’Hexagone. « J’ai demandé une clope aux deux personnes âgées, l’une d’elles m’a dit qu’elle n’en avait pas puis la police est arrivée. Ils ont demandé ce qu’il se passait. L’un d’eux n’était pas content, puis un policier m’a tiré pas la chemise. Quand ils m’ont arrêté, ils m’ont plaqué contre le véhicule et tenu des propos incorrects. Ça m’a fait mal. Ils m’ont relâché et j’ai fait un doigt d’honneur, c’est vrai. J’ai demandé pardon une fois de retour dans la voiture. Mon père était militaire, alors je m’en suis voulu, mais c’était déjà enclenché ».

    « J’en avais marre des gens qui ne respectaient pas la police»

    Le policier incriminé, Michel Provenzano, a tenu à relativiser cet accès de violence : « Je ne suis pas connu pour être un fou sur le terrain », insiste-t-il. En 2018, Provenzano fait un burn-out, il est en arrêt maladie pendant sept mois. « J’avais un trop plein de terrain, j’en avais marre des gens qui ne respectaient pas la police ». Le brigadier reprend aux espaces verts, puis au service formation avant d’être réaffecté à la CRS autoroutière. En tout, il a suivi une cinquantaine de séances avec un psychologue accompagnées d’un traitement médical.

    « Je prends du méthotrexate à vie, c’est comme une mini chimio, suite à une maladie ankylosante du type sclérose en plaque ».  Il ajoutera regretter d’en être arrivé là, et avoir honte de ce qu’il a fait, allant à l’encontre de ce qu’il aime et de ce qui l’a poussé à entrer dans la police vingt ans plus tôt.

    « On a tous les trois été dans un tunnel qu’on n’a pas su arrêter », insiste Provenzano.

    L’état de santé de Michel Provenzano, ainsi que sa capacité à encadrer de jeunes recrues sur le terrain auraient-ils été mal évalués par sa hiérarchie ? Sa jeune collègue Audrey Vallone a confié à la cour, que des mois auparavant elle avait demandé à ne plus tourner avec le brigadier. Car, elle ne se s’était pas sentie en sécurité lors d’une patrouille avec lui.

    Durant le procès, l’avocat général ira comparer cette cette affaire à un « Orange mécanique en uniforme », qualifiant cette arrestation d’être « partie en vrille » d’être totalement illégale. Une détention arbitraire, relevant de la justice privée. « Si le but était de faire respecter la police, pensez-vous qu’aujourd’hui nos concitoyens la respecteront plus ? », a-t-il ainsi argué.

    Et de surenchérir : « Si un simple citoyen ne saurait rester stoïque devant un tel acte de violence, que dire d’un dépositaire de l’ordre public ? ». C’est la question que se pose le monde entier suite à l’affaire George Floyd, qui d’après les avocats de la défense, aura pesé d’office sur les peines requises à l’encontre des accusés, suite à un intérêt médiatique planétaire sans précédent.

    Un projet de restaurant à Marseille

    Shinwari rapporte la même scène que ses agresseurs. Il avoue ne pas s’être débattu lorsque le brigadier le frappait, l’uniforme faisant effet. « Pourtant je suis jeune et fort ».

    Lorsqu’il est interrogé sur sa motivation à porter plainte contre trois agents de police, fait rarement observé en France, il rétorque : « J’ai le droit de me défendre, je n’ai pas peur. »

    Sa famille, toujours en Afghanistan n’est pas au courant de l’affaire. Inutile de les « inquiéter pour si peu ». Si l’agression a défrayé la chronique marseillaise pendant quelques jours, cela ne l’aura pas fait songer à quitter la France pour autant. Et, s’il devenait français, Shinwari prévoit d’ores et déjà d’ouvrir son propre restaurant dans la cité phocéenne.

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