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  • C'est leur histoire

    Pourquoi je me suis toujours senti en exil dans mon propre pays

    « Culturellement, on ne m’a pas appris à aimer mon pays, le Cameroun. On m’a appris à aimer la France. Après mon baccalauréat, j’étais devenu un  « bon petit français », au point de me sentir en exil dans ma propre nation. J’étais chez moi nulle part au Cameroun ». Dans ce texte très personnel, Gaspard Njock, […]

    « Culturellement, on ne m’a pas appris à aimer mon pays, le Cameroun. On m’a appris à aimer la France. Après mon baccalauréat, j’étais devenu un  « bon petit français », au point de me sentir en exil dans ma propre nation. J’étais chez moi nulle part au Cameroun ». Dans ce texte très personnel, Gaspard Njock, dessinateur chez Guiti News, explique comment pour lui et nombre de ses pairs, « l’Occident » reste l’horizon à atteindre. Et comment, après de nombreux exils, en Italie, puis en France, il considère que sa seule patrie, c’est son art.

    Une tribune et des dessins de Gaspard Njock


    Je m’appelle Gaspard Njock, je suis originaire du Cameroun. Je partage ma vie entre Paris et Rome. La passion pour l’art lyrique et l’image m’ont permis de m’installer à Paris, ville artistique par excellence. Depuis plus de trois ans, je travaille comme auteur de bande dessinée. Et je fais également de la recherche en musicologie à l’université de la Sorbonne. Face aux maintes questions qui m’ont été adressées sur les raisons de ma présence en Europe, par la force des choses j’ai dû reconsidérer et réfléchir aux problématiques qu’elles cachent. D’où viens-tu ? Pourquoi es-tu en France ? Pourquoi parles-tu si bien français ? Pourquoi ne t’intéresses-tu pas aux choses africaines ? Je vous épargne les questions les plus désagréables. Des questions qui sont aussi les moteurs et les résultats de ma recherche artistique.

    La plupart de mes amis de lycée sont aussi en Occident. Certains, dans la tentative de rejoindre « l’Eldorado » sont morts séchés par le sable du désert ou ont disparu dans les fonds marins de la Méditerranée. D’autres, plus tenaces encore, après maintes tentatives, ont été recalés plusieurs fois dans les ambassades des pays européens, sans que cela ne porte atteinte à leur détermination de recommencer aussi tôt que possible.

    Les ressorts de la mystification de l’Occident

    Je me suis interrogé sur les raisons cette incapacité – culturelle – de se projeter dans son propre pays. Pourquoi les frontières, l’enfer du désert, la férocité des bandes organisées ne sont-ils pas dissuasifs pour les migrants ? Pourquoi des gens comme moi, instruits ayant fait des grandes écoles, ne sont-ils pas en reste dans cette mystification de l’Occident ?

    Les réponses sont complexes et multiples. J’introduirai une notion, que l’on aborde à peine lorsqu’on traite des questions migratoires : la centralité de la culture. Cette dernière n’est pas si simple à comprendre. J’en ai fait un album entier de bande dessinée qui n’éclaire qu’un aspect de ce voyage sans retour et qui s’accomplit très souvent déjà dans notre esprit.

    Je fais partie de ces générations pour qui l’Occident demeure l’objectif à atteindre, un horizon pour tous. Culturellement, on ne m’a pas appris à aimer mon pays, le Cameroun. On m’a appris à aimer la France. Je me rappelle encore de l’enthousiasme avec lequel mon professeur de langue me récitait les poèmes français. Mon préféré était Jacques Prévert. Dans ses recueils de poésies Paroles et La pluie et le beau temps, nous avons rêvé ensemble d’ailleurs, et surtout de Paris. L’enthousiasme avec lequel mon professeur d’histoire – géo nous racontait les grandes épopées françaises, les bienfaits de la colonisation, la beauté des fleuves français étaient singulières.

    Je suis devenu un «bon petit français»

    J’étais inéluctablement déjà très amoureux de la Seine et de Paris. Après mon baccalauréat, j’étais devenu un « bon petit français », au point de me sentir en exil dans mon propre pays. Je vivais une sorte d’exil intérieur, car je n’étais chez moi nulle part au Cameroun. Il s’agit de l’histoire d’une identité fissurée. Le Cameroun m’était étranger. Je n’étais pas culturellement prêt pour vivre dans ce pays. J’avais presque partagé le même programme éducatif qu’un jeune français du Lycée Henry IV de Paris. Nous avions la même culture. Nous aimions tous la France de la même manière. J’avais hâte de la rencontrer. Je la désirai.

    J’avais choisi de parler cette langue que je maîtrise plus que n’importe quelles autres langues dont mes parents sont originaires. Je ne m’étais jamais posé la question de connaître les raisons pour lesquelles je parlais cette langue. Elle était juste mienne. Voilà comment par la culture, par le biais de l’éducation nationale camerounaise, je suis devenu un « bon petit français », italophone de culture et militant pour l’Union Européenne.

    Aujourd’hui encore lorsque je me promène à Paris, les illustres auteurs français à qui sont dédiés certaines rues, me rappellent tout simplement mon enfance camerounaise. Bien que n’ayant aucun regret pour ma culture actuelle, je m’interroge. Et si on m’avait offert une culture qui me permettait de me projeter dans mon propre pays ? Avec le recul, je me demande ce que j’aurais fait si je ne n’avais pas reçu une bourse pour étudier en Europe ? Aurais-je fini dans les abysses de la Méditerranée comme les autres ?

    «Ma patrie c’est mon art»

    Aujourd’hui encore lorsque l’on me demande : « quel est ton pays » ? Je ne réponds jamais que je suis camerounais, car on ne m’a jamais appris à l’aimer ce pays. Je ne réponds pas non plus que je suis français ou italien, car je ne le suis pas de fait. Par contre, je préfère dire que «je suis originaire du Cameroun. Ma patrie, c’est mon art qui n’a aucune frontière ». Je suis privé d’un quelconque sentiment patriotique et nationaliste. L’humanité prime sur les frontières, les appartenances religieuses, ethniques.

    C’est sur le levier de la culture qu’il faudra agir. Il faut que l’on réapprenne aux gens à vivre et surtout à aimer leurs terres… Ceci ne se fait qu’à travers la culture. L’idée que l’on se fait des espaces, des villes, est une image, une représentation culturelle. Que serait Paris, sans Montmartre, sans l’idéalisation, et surtout sans l’imaginaire qu’en ont fait des écrivains, des peintres, des poètes et des compositeurs ?

    Les propos exprimés ici ne reflètent que le sentiment de leur auteur

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