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  • À la loupe

    « Réfugiés. Ce qu’on ne nous dit pas », dit tout de nous.

    Le 21 mai 2025 est paru le livre « Réfugiés ». Entre les murs d’une galerie parisienne mythique, Guiti News est allé à la rencontre des co-auteur.ices Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre et actuelle Présidente de France Terre d’Asile et Benjamin Michallet, économiste et juge assesseur à la Cour Nationale du Droit d’Asile.

    Dans leur ouvrage, les auteur.ices souhaitent déconstruire, avec rigueur et pédagogie, les discours anxiogènes sur l’asile et les migrations. Leur ambition ? À l’heure où les amalgames prospèrent : rétablir les faits, relancer un débat apaisé et redonner du sens à une hospitalité aujourd’hui piégée entre invisibilisation et criminalisation.

    L’asile, une tradition française oubliée

    « Le droit d’asile n’est pas une faveur qui nous est imposée de l’extérieur, c’est un droit fondé sur notre histoire », affirme Najat Vallaud-Belkacem. Elle rappelle que l’hospitalité envers les personnes persécutées est une valeur constitutive de la République, affirmée dès la Révolution française, puis institutionnalisée à travers la Convention de Genève après la Seconde Guerre mondiale.

    Elle insiste : « Fondamentalement, c’est le peuple français qui a toujours jugé utile et précieux de pouvoir accueillir des personnes qui fuyaient leur pays ». Son co-auteur, Benjamin Michallet, pose alors un des enjeux principaux de leur ouvrage : « Ce livre ne parle pas d’immigration, car dans l’imaginaire collectif, l’immigration est un choix. L’asile, lui, est une nécessité ». Une distinction vitale dans un contexte où le droit d’asile est trop souvent présenté comme une brèche dans la souveraineté nationale, explique-t-il, et non comme l’expression d’un engagement démocratique.

    Un droit, pas un passe-droit

    Les chiffres démentent l’idée d’un système trop généreux. En France, les auteur.ices rappellent que chaque année, en moyenne, 130 000 demandes d’asile sont déposées. Parmi celles-ci, Najat Vallaud-Belkacem expose : « Seules 55% sont acceptées. Cela signifie que près de la moitié sont déboutées », soulignant que le cadre juridique est strict, loin de l’image d’un droit automatique.

    En consacrant un chapitre aux prétendus « faux demandeurs » qui retient l’attention, les auteur.ices apportent une nuance bienvenue au débat. Benjamin Michallet argumente : « Je ne crois pas que ce soient des fraudeurs, ce sont des personnes qui ont des motifs légitimes, mais qui ne le sont pas aux yeux du droit d’asile français ». Selon lui, la complexité des situations, l’interprétation juridique, les erreurs d’appréciation et surtout, le manque de données quantifiables rendent toute caractérisation du phénomène hasardeuse. 

    Et pourtant, le mythe du détournement de l’asile alimente des politiques publiques restrictives, regrettent-ils.

    De l’interprétation du droit

    Crédit photo : Lisa Rompillon

    « Là où beaucoup pensent que l’asile se décide lors d’une simple conversation, il s’agit en réalité d’un processus complexe, juridique et interprétatif », insiste Benjamin Michallet, juge assesseur à la CNDA.

    Avec 66 000 jugements rendus par an, décrit-il, l’intensité du travail nécessaire pour rendre justice aux parcours d’exil explique en partie la rapide évolution de la jurisprudence, et donc le risque de déformation du droit.

    Détour juridique important, parmi les critères retenus pour obtenir la protection, explique-t-il, la précarité économique, à elle seule, ne permet pas d’obtenir une protection au regard du droit international. Mais elle peut jouer un rôle aggravant dans certains cas.Il conclut : « Le droit est élastique », et sa mise en œuvre dépend des contextes, des jurisprudences et des preuves disponibles. C’est aussi ce qui rend son application si délicate.

    Des routes mortelles et des visas impossibles

    Comment demander l’asile sans mettre sa vie en danger ? « On entend souvent : ‘ils n’avaient qu’à faire une demande depuis leur pays’. Mais c’est une illusion », tranche Najat Vallaud-Belkacem. Ambassades parfois fermées ou inaccessibles, quotas dérisoires de visas humanitaires, procédures opaques : l’ouvrage fait ainsi le constat d’un système verrouillé.

    Pour cause : « À la fin des fins, c’est toujours l’argument de l’appel d’air qui prévaut. Faciliter l’accès à certain.es donnerait l’impression à d’autres que c’est facile de venir », déplore-t-elle.

    Et de reprendre : « La réalité, aujourd’hui, c’est que pour qu’une personne puisse voir son dossier traité, il faut qu’elle soit sur le territoire français ».

    Crédit photo : Lisa Rompillon

    Dès lors, les routes migratoires deviennent des pièges, et le recours aux passeurs explose : « Il faut bien sûr lutter contre ces réseaux, mais aussi éviter de criminaliser des personnes exilées contraintes de piloter des embarcations », insiste-t-elle. 

    Najat Vallaud-Belkacem décrit ici un mécanisme de double peine : en interdisant des passages légaux, l’Union européenne contribue à transformer une activité encadrée en délit, alimentant une industrie mafieuse du passage.

    À la racine de l’exil : l’injustice globale

    La force de cette collaboration entre les auteur.ices réside dans leur capacité à remonter aux causes profondes des déplacements forcés. « Les déséquilibres structurels entre Nord et Sud sont toujours à l’œuvre », affirme Najat Vallaud-Belkacem, « la gouvernance mondiale est encore pensée sans les anciens pays colonisés ». Les institutions comme le Fonds Monétaire International ou la Banque mondiale, construites sans les pays des Sud, ne corrigeraient pas mais reproduiraient les déséquilibres.

    Cette tendance trouve de nombreux exemples dans l’histoire, explique-t-elle, citant la crise sanitaire mondiale de la COVID-19 : « Alors que l’on comptait sur les institutions de Bretton Woods pour donner un coup de pouce à l’économie mondiale, on s’est vite rendu compte qu’elles aidaient beaucoup plus les pays riches que les pays pauvres ». Pourquoi ? « Les règles de Bretton Woods ont été conçues à une époque où les pays pauvres en question étaient encore colonisés, donc n’étaient pas autour de la table ».

    Les auteur.ices dressent le bilan de ce déséquilibre mondial : des règles commerciales inéquitables, une destruction de l’agriculture vivrière par des exportations subventionnées, un accaparement des ressources, une dette insoutenable – la liste est longue. Autant de mécanismes qui empêchent les pays des Sud à investir dans leur propre système et qui condamnent les populations à une instabilité économique, voire au départ.

    Faire entendre l’hospitalité

    Crédit photo : Lisa Rompillon

    Face à ces constats accablants, que peuvent faire les citoyen.nes ? Beaucoup, répondent les auteur.ices. « Il existe une multitude d’initiatives solidaires, mais elles sont étouffées dans le débat public », regrette Najat Vallaud-Belkacem, expliquant que l’hostilité, elle, bénéficie d’une caisse de résonance médiatique disproportionnée.

    Pour inverser la tendance, il faut un contre-récit politique : « Les partis politiques doivent parler d’immigration et d’asile de façon proactive, pas défensive », exprime-t-elle, justifiant que c’est à ce prix que les citoyen.nes pourront se sentir légitimes dans leur propre humanité. Et puis, il y a la responsabilité des médias : « On ne montre jamais les visages, les réfugié.es sont présenté.es comme une masse floue, lointaine, presque abstraite ». La Charte de Marseille, pour un traitement éthique de l’asile et des migrations dans les médias, participe au tournant, soutient-elle.

    Benjamin Michallet conclut : « On a 40 ans de recherche qui prouvent que les migrations favorisent la prospérité. Et pourtant, aucune politique publique cohérente ». Pour lui, il est temps de distinguer clairement politique migratoire et droit d’asile, et surtout, de transformer les savoirs en action.

    En s’attaquant aux préjugés sur l’asile, les auteur.ices posent une question dérangeante : et si, à force de criminaliser l’accueil, c’était notre propre humanité que nous rendions illégitime ?

    Un article signé par les journalistes Alexandre Châtel et Anderson D.Michel.

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