Ni d’ici, ni d’ailleurs #7 : de la nécessité de l’accompagnement psychologique pour les personnes apatrides
Depuis 2010, Marie-Caroline Saglio Yatzimirsky, psychologue de formation et anthropologue, officie dans le service psycho-traumatologie de l'hôpital Avicenne à Bobigny (Seine-Saint-Denis), où elle rencontre de nombreuses personnes en situation d'exil, et notamment des apatrides. Ces dernières souffrant souvent de traumatismes, la professionnelle tente de les aider à apaiser leurs souffrances à travers une orientation psychodynamique. Rencontre.
Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez accompagné une personne apatride ?
Bien sûr, il s’agissait d’un jeune Rohingya (groupe ethnique de religion musulmane vivant principalement dans le nord de l’État d’Arakan- NDLR). En 2017, il survit à de très grosses violences, son village est brûlé. Il se retrouve ensuite dans un camp de réfugiés au sud-est du Bangladesh. Une situation qui lui est insupportable.
« Les Birmans disent qu’on est des non-nationaux, qu’on n’appartient pas à la Birmanie, et le Bangladesh dit aussi qu’on est des non-nationaux », me répétait-il souvent. Cela crée une sorte de renvoi : aucun de ces deux pays ne voulant reconnaître sa nationalité. Les Rohingyas ne possèdent pas les mêmes droits civiques que les autres communautés.
Ce jeune homme ne voulait pas être appelé apatride. Dans ses propos, je sentais souvent son attachement à l’Arakan et de façon politique, une appartenance à la Birmanie.
Une autre situation vous revient-elle en mémoire ?
Oui, j’ai en tête un jeune Kenyan, dont le père n’était pas Kenyan. Ses parents sont morts durant son adolescence. Accusé d’être mêlé à des violences sur le sol national, ce patient n’a jamais obtenu ses papiers, malgré tous ses efforts pour faire reconnaître sa nationalité.
Il s’est alors retrouvé en France, où il a également été confronté à un lot de problèmes. Difficultés qu’il a tentées de porter auprès de l’ambassade du Kenya. Soit pour avoir la preuve que le gouvernement ne voulait pas le reconnaître, soit pour enfin obtenir sa nationalité.
Je me souviens bien de ces atermoiements légaux par rapport à son statut politique. Je crois qu’il y a là une forme de violence qui est insupportable : on ne se pose pas une seconde la question de la légalité et de la légitimité que l’on a d’être sur un territoire.
Pour les personnes privées de cette légitimité, subsiste l’impression de n’appartenir à aucune communauté ou forme d’identité reconnue, et ainsi de ne pas pouvoir jouir de droits élémentaires.
Précisément, comment accompagner des personnes qui ne se sentent pas légitimes ?
Avec un patient, l’on peut aller rechercher ensemble ce à quoi on appartient, et cela n’a pas besoin d’être délimité par des frontières, des papiers, des États.
Toutefois, le fait de ne pas disposer de papiers et de reconnaissances officielles constitue bien une première contrainte à dépasser. Cela signifie qu’il faut redessiner, quelque part, les frontières de sa nation affective et symbolique. Il s’agit-là d’un travail complexe et douloureux.
Il est quelque chose de plus effrayant encore : la question du refuge. Parce que dans la question du refuge politique, il y a toujours une terre qui existe, le territoire que l’on a abandonné, le lieu où l’on ne peut pas revenir.
Au sein de votre service, il s’agit d’un accompagnement resserré. Pendant combien de temps suivez-vous ces patients ?
Si la personne va très mal, on la voit une fois par semaine, pour en moyenne, un suivi global qui dure deux ans. Il s’inscrit sur un temps long.
Ce sont des personnes qui sont en psychotraumatisme. Elles ont de prégnants symptômes de stress post-traumatique ou de dépression, des dissociations cognitives fortes, avec des formes de reviviscence et des flashbacks des moments de violence.
Notre travail consiste en de l’orientation psychodynamique, et en cas de besoin, l’on propose de l’art-thérapie. On a plutôt une tendance de prise en charge par la parole, avec des médiateurs interprètes.
À quel moment décidez-vous de mettre fin à l’accompagnement ?
Quand le patient le dit, quand l’on sent que ce n’est plus le psy qu’il est venu voir, mais plutôt lui-même.
Quand l’on sent que la personne peut remettre une chronologie sur ce qui s’est passé, qu’elle a des cadres suffisamment solides pour que sa pensée reprenne.
Quand on sent que les choses sont assez stables pour elle.
Il faut attendre que les symptômes soient moins violents.
Est-ce que l’obtention de la nationalité du pays d’accueil amène l’apaisement émotionnel ?
Certaines personnes vont justement réagir en se disant : « je dois beaucoup au pays d’accueil de m’avoir protégé ».
D’autres auront du mal à travailler, parce qu’elles sont arrêtées dans des symptômes très dépressifs ou dans une tristesse énorme.
Notre objectif est bien d’arriver à enclencher le dynamisme de vie pour que les personnes réagissent bien et puissent ensuite s’intégrer.
Après deux ans de suivi psychologique, est-ce qu’il n’y a pas, certaines fois, la nécessité de poursuivre les consultations ?
On les revoit quand ils veulent. J’ai eu des patients pendant cinq ans, sept ans… Mes consultations hospitalières sont ouvertes, ils reviennent s’ils le souhaitent.
Certains patients ne restent pas toujours à Paris et s’installent dans d’autres villes de façon pérenne.
Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky est l’auteur de « La voix de ceux qui crient, rencontre avec des demandeurs d’asile » (Albin Michel, 2018), un ouvrage qui revient notamment sur ses consultations en psycho-traumatologie.
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