Les bibliothèques, un refuge pour les personnes exilées
En première ligne face à un public exilé, les bibliothèques jouent un rôle parfois plus important qu’il n'y parait. Entretien avec les agents de la médiathèque Naguib Mahfouz et Ana Hours, directrice adjointe des opérations à Bibliothèques sans frontières.
À quelques pas du Parc de Belleville (20e arr. de Paris), la bibliothèque Naguib Mahfouz constitue un véritable repaire pour de nombreux exilés. Mina les a comptés : « Ils étaient presque cent ce matin ! ». Comme chaque jeudi et vendredi matin, la bibliothécaire voit défiler une centaine de mineurs non accompagnés (MNA) dans une ambiance studieuse. Pendant deux heures, ils assistent à des cours de français langue étrangère (FLE) dispensés par des professeurs bénévoles.
Ouverte à tous, la bibliothèque représente souvent le seul lieu où ces exilés peuvent entrer librement sans inscription. «On est parfois leur premier point d’accueil. Ils y trouvent des sanitaires, des prises de courant et ils sont au chaud » analyse Emilie, la directrice de la médiathèque. Ces besoins qu’elle nous décrit, nous les observons très vite en voyant la queue s’allonger devant les toilettes, et les radiateurs pris d’assaut. Depuis 2014, la bibliothèque de l’est parisien laisse à disposition ses locaux aux associations qui organisent les cours de FLE.
Lorsque les habitants du quartier trouvent leur médiathèque fermée au profit des jeunes, certains s’étonnent. « Toutes les semaines le même monsieur revient pour nous dire que l’établissement ne devrait pas recevoir ces jeunes. Mais les réactions négatives sont très rares» nuance t-elle. D’après la directrice, une habituée de la médiathèque se serait même proposée pour devenir bénévole.
Le livre, pierre angulaire d’une culture de l’accueil
Pour Ana Hours, directrice adjointe des opérations à Bibliothèques sans frontières (BSF), l’exposition aux livres est essentielle pour ces jeunes.« Chez BSF on considère l’accès à la lecture pour les enfants réfugiés comme la pierre angulaire d’une culture de l’accueil. En France nous bénéficions d’un réseau de bibliothèques très dense, particulièrement dans les centres urbains. Le livre, c’est ce qui a de plus précieux à mettre entre leurs mains. Quelque part, c’est leur faire cet honneur qu’ils méritent. »
Toutefois, quelques obstacles rendent l’accès à la lecture plus ardu. Lorsque la majorité d’entre eux dort sous une tente, comment obtiennent-ils une carte de bibliothèque ? D’après Elisenda, qui a l’habitude des inscriptions, aucun justificatif de domicile n’est exigé pour faire une carte. « Nous demandons uniquement un garant et une pièce d’identité ». Certes, un jeune qui arrive tout juste en France n’a pas besoin de justificatif de domicile mais il reste toutefois coincé. Étant mineur isolé, il ne connaît pas d’adulte et le plus souvent il n’a aucun papier d’identité (nécessaire pour emprunter un livre).
A l’impossibilité d’emporter les livres avec eux, s’ajoute la barrière de la langue. Pour faciliter la compréhension et l’attrait du livre, Ana Hours met en avant l’importance du fonds documentaire. « Des lectures adaptées à leur niveau et leur langue doivent être mis à leur disposition. Il faut aussi prendre en compte ce qui les intéresse. Ils n’ont pas les mêmes besoins que les autres, c’est indéniable.»
Une attention toute particulière des agents de la bibliothèque est donc nécessaire. La directrice adjointe des opérations de BSF soulève ici une autre question, celle de la formation du personnel. « Les bibliothécaires se sentent-ils capables de les accueillir pour répondre à leurs attentes? »
« Aidez moi madame »
Lorsque des associations sont présentes à la bibliothèque pour accueillir, elles assurent aisément l’accueil les conseils et l’orientation. En revanche, quand un agent de la médiathèque se retrouve seul face à eux, tout se complique. Par chance, Mina parle arabe et peut alors comprendre les demandes de certains. « Aidez moi madame! C’est ce que me demande presque chaque jour un exilé qui parle l’arabe soudanais » soupire Mina.
On s’éloigne là des missions classiques d’une bibliothécaire. « Un jour, il faisait 3 degrés dehors, et un homme ne portait qu’un simple t-shirt. Je lui ai donné quelques sous pour qu’il aille s’acheter des vêtements» se souvient-elle. «Souvent des personnes viennent nous voir pour demander de l’aide mais nous n’avons pas les bonnes informations, même pour les orienter. C’est quelque chose qu’on pourrait faire beaucoup mieux nous les bibliothécaires.»
Une courte formation est proposée aux bibliothécaires afin de les préparer au mieux à accueillir les publics éloignés. Pourtant, lorsqu’on interroge le personnel, la plupart ignorait que celle-ci existait. « Moi je ne l’ai pas vue passer cette formation, ça m’aurait intéressé » regrette Emilie. Sur les sept agents interrogés, seulement une seule a bénéficier du stage. « On ne va pas les sortir de leur situation mais on pourrait au moins les orienter correctement. Je pense qu’on pourrait être bien mieux préparé et avoir plus d’outils. »
Sortir de la survie pour entrer dans la vie
« Leurs parcours sont tellement compliqués et souvent impossibles à raconter. Ils arrivent ici avec tous leurs traumas. Ce sont des exilés qui vivent dans des conditions d’immense précarité, évidemment que leur intention première c’est la survie » constate la directrice adjointe des opérations à Bibliothèques sans frontières.
A ses yeux, l’assistance humanitaire ne doit pas pour autant se résumer à l’aide médicale et aux distributions alimentaires. « L’accès à la culture et à la connaissance nécessite d’être reconnu comme essentiel à la vie dans les premiers temps de l’urgence humanitaire.»
Ana Hours en est convaincue, les livres et plus généralement la culture présentent une fonction émancipatrice pour les personnes exilées. «Une réponse d’ordre culturelle doit intervenir très vite car elle permet de sortir de la survie et d’entrer dans la vie !»
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