Langue française et intégration : un couple ambiguë 1/2
En France, l’apprentissage de la langue est considéré comme un critère nécessaire à l’intégration des personnes allophones. D'où vient cette thèse ? Constitue-t-elle un facteur d'inclusion pour les personnes en exil ?
« Il y a une idéologie nationale en France qui fait de la langue l’un des moyens principaux de l’unification nationale », affirme Philippe Blanchet, linguiste et chercheur à l’université de Rennes (Ille-et-Vilaine) sur les politiques linguistiques et les discriminations liées à la langue notamment.
Une idéologie qui s’enracine au fil de l’histoire française.
Quid de l’histoire de l’unité linguistique française
Dès le XIVe siècle, le français commence à être envisagé comme la langue de l’Etat. En 1539, sous François Ier, l’ordonnance de Villers-Cotterêts impose que les actes juridiques soient « prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement ».
Mais, c’est réellement au XIXe siècle, sous la IIIème République, que l’unification linguistique est amorcée, parallèlement à la construction de la nation. Des politiques linguistiques sont alors mises en place afin de faire du français la langue unique, au détriment des langues régionales.
Dès lors, les Français sont exhortés à délaisser leur dialecte, les obligeant « non pas à apprendre le français en plus de leur langue, mais à la place de leur langue », précise Philippe Blanchet. C’est la première injonction à parler français dans l’histoire linguistique du pays.
La langue de la république
Le français comme vecteur d’unité nationale est transmis par l’école, les lois Ferry faisant de la langue française un élément phare du programme de l’enseignement primaire. Les hussards noirs (instituteurs publics sour la IIIe République – NDLR) enseignent donc en français, langue de l’école républicaine obligatoire.
Au-delà de la métropole, le français aspire à son expansion. C’est ainsi avec la loi Goblet du 30 octobre 1886 qu’apparaissent dans les colonies les « écoles destinées à répandre l’instruction primaire française parmi les indigènes ». De l’Hexagone aux colonies, la langue est bien présentée comme créatrice d’un sentiment d’appartenance commune.
Le français comme langue d’Etat est affirmé dans la Constitution française dès l’article 2 : « la langue de la République est le français ». L’idée de la nation s’est donc bâtie autour de l’usage du monolinguisme.
Un idéal fantasmé ?
Mais, l’idée du français comme agent unificateur et témoin de l’appartenance des habitants à leur pays est largement subjective. « Il y a cette idée d’instrumentalisation de la langue comme symbole de l’unité nationale avec, au fond, une politique linguistique assimilationniste. Elle est très artificielle, car il y a des Français qui ne parlent pas français, notamment dans les départements et territoires d’outre-mer. Ça ne les empêche pas de naître Français et de rester Français », appuie Philippe Blanchet.
Le linguiste aime illustrer cette incohérence dans l’association de la nationalité avec la langue à travers l’exemple de la Martinique : le créole y est parlé en majorité et certains ne parlent que peu, voire pas la langue française, pourtant ils sont tout autant citoyens.
Difficile alors de considérer le français comme un critère valable d’appartenance à l’Hexagone si l’on suit le raisonnement du linguiste, qui interroge : « Si eux peuvent ne pas être francophones ou très peu, pourquoi est-ce qu’on va l’imposer aux étrangers ? ».
Le français, langue d’intégration…
Dans le sillage de l’idéal d’une langue nationale unificatrice, la France a fait de la langue française une partie intégrante de « l’intégration » des personnes en situation d’exil. Philippe Blanchet analyse cette politique comme une obligation de « faire la preuve de l’assimilation à la société française par l’apprentissage du français ».
En arrivant dans l’Hexagone, les personnes étrangères s’engagent ainsi à apprendre le français via le « contrat d’intégration républicaine » (CIR). Il concerne « tous les étrangers primo-arrivants, y compris les réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire, admis pour la première fois au séjour en France et qui souhaitent s’y installer durablement », peut-on lire sur le site du ministère de l’Intérieur.
Un test de positionnement est d’abord effectué afin d’évaluer les compétences écrites et orales des personnes. Une formation « obligatoire » est ensuite prescrite avec l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) en fonction du niveau de chacun afin de respecter « l’une des conditions requises pour l’obtention d’une carte de séjour pluriannuelle ».
Quant à l’obtention de la nationalité française, la langue constitue aussi un moyen de prouver cette envie d’appartenir. En 2012, la création du « Français langue d’intégration » créée un palier : le niveau B1. Le « Français langue d’intégration » doit alors permettre d’atteindre ce niveau via des formations pour ceux désireux d’obtenir la nationalité.
C’est avec l’ordonnance du 19 octobre 1945 qu’est instaurée la connaissance de la langue française comme condition d’obtention de la nationalité. « Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française », pointe l’article 69.
… ou d’exclusion ?
Mais, ce discours sur l’intégration n’est-il pas davantage idéologique ? C’est en tout cas ce que défend Philippe Blanchet. D’après le chercheur, les politiques linguistiques qui consistent à maîtriser le français ne sont en fait que des prétextes pour « faire obstacle à l’intégration des personnes, à décourager les personnes étrangères à s’installer en France ».
Faire de la langue une condition située au début du parcours migratoire représenterait ainsi un choix politique. Tout comme Philippe Blanchet, la juriste et ex-présidente de l’association du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) Danièle Lochak met en lumière des intentions dissimulées derrière les conditions de maîtrise du français.
« Ce qui compte, c’est moins de favoriser l’apprentissage de la langue du pays d’accueil que de tester, dans une optique de tri, la volonté et la capacité d’intégration de l’étranger », appuie-t-elle ainsi dans l’article « Intégrer ou exclure par la langue ?» publié par la revue Plein droit du Gisti.
« Il existe une idéologie du rejet de la différence »
Pour les deux chercheurs, la demande de connaissance du français constituerait bien une logique d’exclusion. Car, la langue conditionne aussi l’entrée sur le territoire national. Justifier son niveau de français n’est demandé « qu’aux étrangers qui viennent de pays hors communauté européenne. Les membres de l’Union européenne ont le droit de s’installer librement en France sans condition linguistique », explique ainsi Philippe Blanchet.
Une preuve selon lui que poser « une condition linguistique à certains mais pas à d’autres sert aussi à trier les personnes. A qui veut-on ou non faciliter l’installation ? », interroge Philippe Blanchet.
L’exemple choisi par le chercheur est celui de la différence de traitement entre un citoyen anglais ou nigérian. Un Anglais souhaitant s’installer en France n’aura pas besoin de prouver sa maîtrise de la langue française, là où un Nigérian, qui parle tout autant anglais, aura une condition linguistique à remplir pour son accès au titre de séjour.
Et d’insister : « il s’agit plus d’idéologie que de fonctionnel. Ce n’est pas parce que cela pose un vrai problème, mais parce qu’il existe une idéologie du rejet de la différence ».
Haro sur la glottophobie
Glottophobie. C’est la dénomination choisie et développée par Philippe Blanchet pour qualifier les discriminations subies en fonction de la langue parlée. Il la conçoit en ces termes : « Cela consiste à instrumentaliser le fait qu’une personne parle une autre langue ou parle la même langue, mais d’une autre façon pour l’exclure. De la même façon qu’on peut instrumentaliser la couleur de peau d’une personne, on peut spécifier que l’on ne veut pas de personnes qui parlent telle langue, ou qui ne parlent pas français, ou qui parlent français avec tel accent ».
Cela peut être le cas pour les langues régionales, comme le breton ou le provençal, mais la glottophobie est particulièrement fréquente pour les personnes en situation d’exil. Pour faire simple, « c’est une forme de racisme linguistique », explique le chercheur.
Et, elle « se manifeste dans toutes sortes de situations de la vie sociale ». Ne pas parler français ou le parler différemment mène fréquemment à la stigmatisation, première conséquence de la glottophobie. Ce sont des « remarques indirectes, d’apparentes plaisanteries, de moqueries, de propos et de comportements condescendants voire méprisants, humiliants, haineux ou injurieux », développe Philippe Blanchet dans la revue Langage et société.
Suivent ensuite les discriminations subies par ceux qui s’expriment en dehors de la norme. Ce sont des « rejets ciblés lors, par exemple, d’une embauche par entretien ou par concours, de l’accès à une formation, à un logement, à des soins, à des financements ou encore à l’exercice de la parole publique, de la citoyenneté, de la liberté d’expression », nous explique le linguiste.
Des discriminations par la langue qui viennent s’ajouter à d’autres, déjà écrasantes pour les personnes en situation d’exil : de genre, d’origine…
Cet article vous a intéressé ?
Abonnez-vous à Guiti News à partir de 2€/mois*