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    [Edito] Régulariser les sans-papiers dans les métiers en tension : « humaniste », vraiment ?

    Présentée comme "progressiste" par une trentaine de parlementaires allant du Modem à EELV en passant par le PCF, la mesure "régularisation des sans-papiers dans les métiers en tension" réactive le discours cher à la droite libérale selon lequel il existerait une "bonne" et une "mauvaise" immigration.

    Manifestation pour les droits des personnes sans-papiers à Paris en 2006. Crédit photo Flickr CC : Karim Amar.

    « Si utiles, si nécessaires ». Voilà à peu près tout ce qui est dit des travailleur·euses sans papier dans la tribune publiée par une trentaine de parlementaires de la NUPES (hors Insoumis) et de la majorité dans Libération ce 11 septembre. Ce qu’il y a de pratique avec des qualificatifs pareils, c’est qu’on n’a même pas besoin de lire entre les lignes. Tout est dit : l’immigration, c’est très bien quand ça sert les intérêts du marché.

    La tribune est portée par des figures comme Marie-Pierre de La Gontrie (sénatrice PS), Stella Dupont (députée Renaissance), mais aussi Fabien Roussel (député PCF), Julien Bayou (EELV) et Sacha Houlié (Renaissance) – la fameuse « aile gauche » de la macronie.

    Et elle était censée défendre le « progressisme » de la mesure qui fâche la droite dans le futur projet de loi immigration, à savoir la régularisation des travailleurs et travailleuses sans papier dans les secteurs qui rencontrent des difficultés de recrutement.

    La photographie jointe au texte nous montre les élu·es tout sourire, mains réunies en position de combat, aux côtés d’un chef restaurateur et d’un cuisinier. L’air de dire qu’ils ont réussi à mettre tout le monde d’accord avec leur « progressisme » : gauche, droite, centre, patrons et travailleurs sans papiers. Dans le même sac.

    Hypocrisie décomplexée

    En réalité, qu’une partie de la gauche considère que la régularisation des travailleurs et travailleuses sans papiers dans les secteurs en tension est « progressiste » est alarmant. Le pire étant peut-être de les présenter en grand·es gagnant·es.

    Car s’il s’agit de défendre les droits des sans-papier·es, pourquoi ne pas demander leur régularisation à tous·tes ?

    En fait, ne délivrer des titres de séjour aux travailleurs et travailleuses sans-papiers que dans les métiers en peine de recrutement implique de faire le tri entre les personnes immigrées qui « servent » et celles qui « ne servent pas ».

    Et de réactiver la vieille rengaine libérale selon laquelle l’immigration n’est « bonne » que lorsqu’elle répond aux besoins du marché. On a vu mieux en matière d' »humanisme », pour reprendre un autre terme qualifiant la mesure dans la tribune.

    La tentation néolibérale

    Plutôt que d’actualiser un discours aux relents sarkozystes en se donnant des airs de défenseurs des droits sociaux, on pourrait attendre des élu·es de la gauche qu’ils fassent des propositions pour un accueil digne des personnes exilées. Par exemple, en ouvrant les frontières, en assurant un accueil inconditionnel aux demandeur·euses d’asile, en permettant aux personnes en situation de migration de se loger et de travailler dignement en France.

    Mais non. Leur seul « rempart » face aux discours haineux de la droite et de l’extrême droite, c’est de tendre la main au libéralisme en réduisant les étranger·es à une variable d’ajustement à la conjoncture économique.

    Les employeurs de l’hôtellerie-restauration, du secteur agricole, de l’aide à la personne ou du BTP ont des difficultés à recruter ? Au lieu de se demander pourquoi personne ne veut travailler dans des secteurs où les emplois cumulent bas salaires, horaires décalés et conditions de travail pénibles, les parlementaires de la gauche et du centre se félicitent d’y assigner une main-d’œuvre étrangère.

    Même l’argument selon lequel les secteurs en tension emploient déjà un grand nombre de travailleur·euses sans-papiers, désireux·ses de voir leur situation régularisée ne tient pas. En fait, les secteurs définis comme « en tension », ne sont pas exactement ceux où les sans-papier·es travaillent déjà. Par exemple, le secteur du nettoyage recrute massivement parmi les personnes exilées, mais n’est pas défini comme « en tension ». A contrario, l’enseignement connait des difficultés de recrutement … alors qu’il est impossible pour les personnes sans papiers d’y être employées.

    Incohérences en série

    Un flou demeure aussi quant à la définition de cette liste : le décryptage du projet de loi Immigration déposé au Sénat en mars 2023 (retiré ensuite) par la Cimade (une association de solidarité envers les personnes exilées) notait que la liste des métiers en tension passait uniquement par les données publiées par Pôle Emploi… Pourtant, de nombreuses branches de métiers ne passent pas par cette plateforme pour recruter.

    Cette fameuse liste pourrait d’ailleurs être amenée à évoluer – toujours selon les besoins de main-d’œuvre déterminés par les employeurs. Or, puisque les personnes sans-papiers souhaitant être régularisées devraient justifier d’avoir déjà travaillé pour prétendre à un titre de séjour (la période s’élevait à huit mois, consécutifs ou non, dans les 24 mois précédent la régularisation, dans le projet de loi déposé en mars), cela signifie qu’elles pourraient être obligées de changer de métier au cours de cette période si la liste des métiers en tension venait à évoluer. Ce qui ne ferait qu’accroitre leur précarité.

    Enfin, abaisser les exigences de la régularisation des sans-papiers aux seuls secteurs « en tension », c’est donner le feu vert au déclassement socio-professionnel des personnes exilées. Ces secteurs concentrent les emplois les moins qualifiés du salariat. Et donc en assignant de fait les personnes exilées à ces emplois, on oublie qu’elles ont des compétences, des diplômes qui pourraient leur permettre de prétendre à une situation plus valorisée sur le marché du travail.

    Main tendue à Darmanin

    Ce que les signataires de la tribune semblent oublier, c’est que le premier projet de loi immigration déposé en mars comprenait, outre le volet « intégration », un volet qui s’intitulait tout banalement « contrôler l’immigration ». Y était inscrit, entre autres choses, une systématisation de la politique des OQTF (obligations à quitter le territoire français), la réduction de l’accès au titre de séjour pour raisons de santé, un durcissement des conditions du regroupement familial, l’émiettement de l’Ofpra (Office Français de la Protection des Réfugiés et des Apatrides, qui délivre le statut de réfugié) et sa territorialisation dans les préfectures, un juge unique à la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile)…

    Certes, une partie des parlementaires a ensuite affirmé que leur soutien à la mesure « régularisations des sans-papiers dans les métiers en tension » ne signifiait pas qu’ils voteraient la loi cet automne. Mais n’est-ce pas un jeu dangereux que s’affirmer prêt·e à faire des compromis avec la droite libérale ?

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